Interview de Patrick Viveret réalisée par Pascal Greboval.
Alternatiba à Bayonne, les États généraux du Pouvoir Citoyen et autres mouvements, voilà bien des signes d’une ébullition citoyenne. Analyse de Patrick Viveret.
Quels sont les points communs entre tous ces mouvements ?
Ils se situent du côté des forces de vie. Nous traversons un contexte où les logiques régressives et mortifères sont de plus en plus inquiétantes. La montée des forces d’extrême droite en donne une démonstration criante. Face à cet afflux d’éléments relevant d’une polarisation négative, il est important de se positionner du côté des forces créatives. C’est l’avenir de l’Europe qui est en jeu, rien de moins. La vitesse à laquelle se forment les replis identitaires et la contagion de la méfiance peuvent laisser craindre que la destruction de cette Europe unie demande moins de temps que sa construction. Heureusement, à l’opposé, des mouvements d’ouverture et des initiatives citoyennes éclosent ; on les retrouve dans les associations, les ONG classiques, mais également dans le secteur de l’entreprise avec par exemple les entrepreneurs d’avenir.
Ces forces positives n’expriment pas leurs revendications par la manifestation. Elles sont ancrées sur le terrain de l’expérimentation. On pourrait résumer cela par une esquisse en trois dimensions du REVE : REsistance créative, Vision transformatrice, Expérimentation anticipatrice et, à chaque étape, une évaluation entendue non comme simple mesure mais comme délibération sur ce qui fait valeur.
Bien que cette créativité et ces élans de vie soient insuffisamment visibles et relayés, on entre dans une nouvelle phase, intéressante. Après la naissance de mouvements tels que Colibris, le collectif Roosevelt, le Pacte civique ou encore le collectif de la Transition (qui s’est concrétisé au festival de Cluny), un besoin de mutualisation et d’organisation émerge afin que ces énergies puissent peser sur certaines grandes échéances économiques et politiques à venir. À Alternatiba à Bayonne par exemple, au sujet du dérèglement climatique, il s’agissait de montrer qu’il est possible de faire autrement grâce à l’ensemble des initiatives qui participent de la sobriété heureuse, puis de préparer la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015.
Pensez-vous que ces mouvements peuvent supplanter les partis politiques ?
Pour paraphraser Clemenceau, on pourrait dire que l’économie et la politique sont des choses trop sérieuses pour les laisser aux économistes et aux politiques. Effectivement, il faut sortir de la politique compétitive qui nous met en danger. On ne peut que constater la dégradation du débat politique, sa simplification délétère, les disqualifications systématiques des positions des uns et des autres. Cela révèle une véritable régression. De même, on ne peut pas réguler l’économie si la politique fonctionne sur un système de rivalité permanente. Ainsi dans le processus initié par les états généraux du pouvoir citoyen, il existe des points d’accord mais également des débats où plusieurs visions se confrontent, notamment à propos de la soutenabilité écologique, la réforme des retraites ou la solution à apporter au problème du chômage. Pour autant, cela procède d’une vraie mutation de la qualité démocratique.
Cela signifie-t-il qu’une masse critique des forces créatrices va se constituer ? Qu’elle va entrainer toute la société ? Ou, au contraire, qu’elle pourrait provoquer un clivage, un affrontement ?
La seule chose qu’on puisse affirmer, c’est qu’il faut tout faire pour que ces forces créatrices soient victorieuses. Il faut aussi être prêt à rebondir si nécessaire en cas d’éventuels chocs ou d’évènements dramatiques, en s’inspirant de la notion de résilience. Mais on besoin de bien plus qu’une révolution : on a besoin d’une métamorphose, comme le dit Edgar Morin. Les révolutions se contentent d’inverser les pouvoirs, les dominés deviennent les dominants. Il nous faut une mutation qui ne soit pas seulement un renversement des dirigeants. Elle doit être aussi une modification des rapports au pouvoir, afin de passer du pouvoir de conquête et de rivalité au sens originel du verbe pouvoir : un pouvoir de création démultiplié par la coopération. Un pouvoir conçu comme une énergie renouvelable en somme.
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