Daniel Bertone : « L’enjeu d’Aéroports de Paris est également écologique »

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    Le 11 avril 2019, les députés ont adopté le projet de loi Pacte, qui prévoit notamment la vente par l’État de ses parts au sein du Groupe ADP (anciennement Aéroports de Paris), dont il est actionnaire à hauteur de 50,63 %. Cette privatisation, ainsi que celles de la Française des Jeux et d’Engie, permettrait d’alimenter le « fonds pour l’innovation et l’industrie ». 218 parlementaires de tous bords politiques se sont rassemblé.e.s autour d’une proposition de loi pour mettre en place un référendum d’initiative partagée (RIP). Le but : consulter les citoyen.ne.s sur la privatisation d’ADP. Pour que le RIP soit organisé, 4,7 millions d’électeurs (soit 10 % du corps électoral) doivent marquer leur soutien via une plateforme en ligne mis en place par le gouvernement.

    Depuis son lancement le 13 juin 2019, seul.e.s 725 000 Français.es ont signé en faveur de la tenue d’un RIP. Explication des enjeux avec Daniel Bertone, Secrétaire général CGT d’ADP.

    Daniel Bertone, Secrétaire général CGT d'Aéroports de Paris
    Daniel Bertone, Secrétaire général CGT d’Aéroports de Paris

    Pourquoi privatiser Aéroports de Paris n’est pas une bonne solution, à vos yeux ?

    L’une des raisons de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) est de constituer le fonds pour l’innovation et l’industrie. Ce fonds, voulu par le gouvernement, s’élève à 200 millions d’euros par an. Par comparaison, ADP a versé 189 millions d’euros de dividendes en 2019, par rapport à ses résultats de 2018. Nous n’étions donc pas loin de la somme que l’État demande pour ce fonds.

    Ce chiffre démontre qu’une entreprise publique peut avoir de bons résultats économiques. Nous sommes dans un secteur en croissance continue. Nous avons doublé les bénéfices entre 2013 et 2018, en passant de 305 à 610 millions d’euros. ADP annonce qu’en 2025, nous atteindrons 1,2 milliard d’euros de bénéfices. Nous sommes sur des montants en augmentation constante, liée à l’augmentation du trafic aérien. D’un point de vue économique, le gouvernement se séparerait d’une rente importante.

    Par ailleurs, ADP représente 1 400 emplois aujourd’hui. À l’échelle nationale, cela représente 2,2 % des emplois, en comptant les emplois directs et indirects. Par rapport à 2004 (l’année précédant celle où nous avons changé de statut, en passant du statut d’établissement public à celui de société anonyme), nous avons perdu 1 700 postes en 2018, avec l’État en actionnaire majoritaire. Nous pouvons donc nous attendre à des pertes d’emplois encore plus importante si une entreprise privée reprend ADP. Celle-ci voudra augmenter la productivité. Dans certains cas, des emplois pourraient même être supprimés parce que l’entreprise privée assurerait déjà certaines activités (comme Vinci, leader du BTP pressenti comme l’un des racheteurs potentiels du Groupe ADP).

    Siège du Groupe ADP à Roissy pôle Est, Paris-Charles de Gaulle / © Bruno Pellarin pour Groupe ADP
    Siège du Groupe ADP à Roissy pôle Est, Paris-Charles de Gaulle / © Bruno Pellarin pour Groupe ADP

    Outre l’aspect économique, quels sont les points que vous craignez dans cette privatisation ?

    La privatisation d’Aéroports de Paris se fait au moment où l’entreprise se porte bien et que nous sommes en plein débat sur l’environnement et le climat. L’enjeu d’ADP est également de nature écologique. Certes, le transport aérien est un outil d’aménagement du territoire, de rayonnement de la France dans le monde pour ses échanges économiques et touristiques. Mais c’est aussi un enjeu sur le développement futur des aéroports, savoir ce qu’on voudra faire de nos aéroports demain : est-ce qu’on voudra continuer à développer le trafic aérien sans fin, ou voudrons-nous faire d’autres choix ?

    De la même manière que les aéroports ont d’abord été aménagés pour accompagner le développement économique de la France, il s’agit d’en garder la maîtrise publique pour gérer son développement écologique. Pour cette raison, il ne faut pas qu’ADP soit récupéré par une entreprise à but uniquement lucratif.

    Vue depuis le Siège Groupe ADP, Roissy pôle Est, Paris-Charles de Gaulle / © Bruno Pellarin pour Groupe ADP
    Vue depuis le Siège Groupe ADP, Roissy pôle Est, Paris-Charles de Gaulle / © Bruno Pellarin pour Groupe ADP

    Pourquoi le référendum d’initiative partagée (ou RIP) serait un bon outil démocratique pour les citoyen.ne.s ?

    Au mois de février, le Sénat s’était prononcé contre la privatisation d’ADP et de la Française des Jeux. Cela veut dire qu’une opposition à ces projets existe bien. Le RIP est venu à point nommé parce qu’il permet aux citoyens, pour la première fois dans l’histoire des privatisations, de dire qu’il y a besoin d’un débat. Celui-ci permettrait non seulement de participer à la décision, mais également de mieux comprendre les enjeux. Les Français ne connaissent pas ADP aussi bien qu’EDF ou la SNCF. Mais justement, si un RIP aboutit sur ce sujet, cela pourrait être prometteur pour d’autres sujets, plus connus.

    Il y a un ras-le-bol des citoyens, qui demandent à ce que des débats publics soient tenus pour aborder ces questions comme la privatisation d’entreprises publiques – qu’ils soient pour ou contre ! Effectivement, c’est un acte démocratique fort. Cela ne remet pas en cause le vote du parlement, parce que c’est un outil constitutionnel. C’est une opportunité qui est offerte, et qui est par ailleurs revendiquée par les Gilets Jaunes à travers le référendum d’initiative citoyenne (le RIC).

    Vue aerienne du Terminal 1, Paris-Charles de Gaulle / © Alain Leduc pour Groupe ADP
    Vue aérienne du Terminal 1, Paris-Charles de Gaulle / © Alain Leduc pour Groupe ADP

    Le nombre de signatures recueillies pour la tenue du RIP stagne ces dernières semaines. Comment l’expliquez-vous ?

    Nous nous attendions à un ralentissement des soutiens durant les grandes vacances. Mais les dysfonctionnements du site internet en place n’incitent pas les citoyens à participer. Or, cette plateforme devrait être fonctionnelle ! Le président Emmanuel Macron veut modifier la Constitution et descendre à 1 million le nombre de votants pour un RIP. En attendant, cette plateforme doit être complétée par d’autres moyens, comme une campagne de communication plus importante et la mise en place d’un accompagnement dans des mairies pour rendre le site accessible.

    Se pose également la question de la fracture numérique en France. Dans le Pas-de-Calais par exemple, où celle-ci est importante, très peu de gens ont voté. Là aussi, il y a un problème démocratique. La démocratie, ce n’est pas seulement indiquer un site internet sur lequel voter. La démesure de ce qui a été mis en place pour le Grand débat national contrairement au RIP pose de vraies questions.

    Le succès du nombre de signataires repose sur une couverture médiatique accentuée, mais également sur la création de moments démocratiques, comme en 2005, pour le traité constitutionnel. Des réunions publiques s’étaient alors montées un peu partout. Cela pourrait se faire à nouveau pour Aéroports de Paris, dépassant même la question de cette privatisation en particulier. Ce serait l’occasion d’ouvrir le débat sur des privatisations de cette sorte, de l’évolution des aéroports, et des enjeux écologiques, économiques et sociaux qui accompagnent ces sujets.

    Par Cypriane El-Chami


    Aller plus loin

    Samedi 3 août prochain, le collectif contre la privatisation d’ADP sera à Paris Plage entre 16h et 19h au niveau de l’Hôtel de Ville, à Paris. Le collectif donnera des informations sur le référendum d’initiative partagée et le projet de privatisation d’ADP.

    Pour signer la proposition de loi pour la tenue d’un référendum d’initiative partagée, rendez-vous ici : https://www.referendum.interieur.gouv.fr/soutien/etape-1 


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