Journaliste et écrivaine, Katja Pantzar décrypte dans son livre Les Finlandais sont des gens heureux (Belfond, 2019) ce qui lui a permis de trouver le bonheur dans le pays reconnu le plus heureux du monde selon le World Happiness report. Après avoir vécu la première partie de sa vie au Canada, dont elle écrit qu’une bonne soirée « [dépendait] du nombre de VIP repérés et des verres d’alcool consommés », elle préconise désormais le « sisu », un état d’esprit finlandais, un retour à la nature et un mode de vie minimaliste.
Dans votre livre Les finlandais sont des gens heureux, vous placez le « sisu » comme valeur centrale de votre bien-être, de quoi s’agit-il ? Comment un « débutant » pourrait-il l’aborder ?
Lorsque je suis arrivée à Paris, j’ai vu des gens faire du vélo alors qu’il pleuvait très fort. C’est déjà un bon exemple de sisu ! Je dirais pour le définir que c’est essentiellement une force d’âme finlandaise, une forme d’approche de la vie qui transforme la façon de percevoir les obstacles en défis. Cela consiste à persévérer, quelle que soit votre situation.
Dans cette pratique du sisu, la marche et le vélo sont par exemple des transports actifs bénéfiques autant pour votre santé que pour votre bien-être. On prend l’air et on fait de l’exercice. S’il est impossible d’en faire là où vous vivez, peut-être est-il possible de marcher plus longtemps dans la nature ou dans un parc.
Depuis quand diriez-vous que vous avez adopté un mode de vie « sisu » ?
Je ne me suis pas réveillée en me disant » j’ai l’esprit sisu « . C’est plutôt un retour que les gens m’ont fait au fur et à mesure que je changeais d’attitude, comme lorsqu’ils m’ont vue arriver à vélo au milieu d’une tempête de neige !
Une dizaine d’années avant d‘emménager en Finlande, des médecins canadiens m’ont diagnostiquée dépressive sans jamais m’interroger sur mon mode de vie. Quand vous souffrez de dépression, l’une des choses les plus difficiles à faire est de vous lever et de faire des choses, et pourtant c’est déterminant car le bien-être est tout autant une question de santé de l’esprit et que celle du corps. C’est une approche holistique, vers laquelle j’espère que nous nous dirigeons.
S’il y a bien une pratique dans laquelle vous avez investi votre sisu, c’est la natation d’hiver…
Oui. Je voyais des gens dans le centre d’Helsinki en hiver se rendre vers ces quais où ils pratiquent la natation. Il faisait froid, sombre, et ces gens étaient en maillot de bain ! J’ai pensé que je devais essayer, en tant que bonne journaliste, ou même aventurière ! Ça avait l’air dingue.
La première fois, j’ai plongé dans l’eau et je suis remontée. Le froid faisait mal. Puis mon corps s’est mis à frémir sous l’effet des endorphines. Je me suis exclamée : « Oh, je me sens bien ! » et un de mes amis finlandais m’a répondu : « Oui, c’est le sisu ! » Nous sommes rentrés au sauna et j’ai tout de suite voulu réessayer !
Je n’ai jamais eu l’intention de m’adonner à ce passe-temps, mais je me suis rendue compte du bien que cela me procurait et comment je pouvais m’en servir. Si je ne le fais pas, je me sens déprimée, fatiguée et stressée. Désormais, j’ai construit une résistance au froid en étendant ma pratique de la natation. Quel que soit le temps, je vais à la mer ! C’est aussi très social, ce qui est un autre point attractif, nous faisons cela par groupe de 8 ou 9 et c’est comme une communauté.
Au-delà de cet état d’esprit, de quelle manière votre quotidien a-t-il changé en Finlande par rapport au Canada ?
Quand j’ai emménagé en Finlande, j’ai vu des gens se rendre au travail à vélo, alors même qu’ils possédaient une voiture, je ne comprenais pas ! Puis j’ai réalisé que leur mode de vie était empreint d’une conscience écologique et d’un respect de la nature. Ils ont déjà depuis longtemps cette habitude du recyclage, de l’achat de seconde main, puisqu’il y a assez de choses dans le monde. J’y ai adopté un style de vie plus minimaliste.
Mes parents m’ont élevée selon ce même état d’esprit très finlandais, mais au Canada je ne l’appréciais pas. Par exemple, nous n’avions pas de voiture alors qu’en Amérique du Nord, avoir une voiture est comme un droit ! Je n’avais pas remis cela en question à l’époque. J’étais une enfant d’immigrés qui essayait de s’intégrer et d’être une « canadienne », quoi que cela puisse signifier. Maintenant, moi-même je considère que mon plus grand luxe n’est pas de posséder une voiture mais de pouvoir ne pas en posséder une !
Comment faire pour que ce que vos défis quotidiens ne se transforment pas en charge mentale ?
Il est important d’exercer un sisu sain, c’est-à-dire reconnaître quand on est fatigué. Je pense qu’une bonne capacité de résilience signifie aussi demander de l’aide quand on en a besoin. Cependant, beaucoup de choses que j’ai adoptées sont faciles à faire, comme aller se baigner, cela ne me prend que dix minutes parce que je vis très près de la mer, tout comme la plupart des gens qui le font à Helsinki, la ville est entourée d’eau.
Un chapitre de votre livre est dédié à l’éducation des enfants dans un état d’esprit sisu, comment appliquez-vous cela avec votre fils de 9 ans ?
J’essaie de l’encourager à ne jamais abandonner face aux obstacles, à avoir une alimentation équilibrée et à favoriser le transport actif. Mais je pense qu’il est assez résistant, et il m’a même encouragée lui aussi le mois dernier : « Maman, n’abandonne pas ! Continue d’essayer ! » En Finlande, les enfants sont élevés pour avoir le sens du sisu, mais c’est peut-être quelque chose avec lequel beaucoup naissent. Ils possèdent simplement cette grande détermination à apprendre, à essayer des choses, escalader des rochers … Ils persévèrent jusqu’à réussir.
C’est une question d’état d’esprit, lorsqu’il pleut par exemple mon fils penserait plutôt « il y a tellement de flaques dans lesquelles je peux sauter ! » Les approches sont très différentes. C’est ce que j’apprends de lui aussi. Il attend les premiers flocons de neige et éprouve tant de joie dans les choses quotidiennes !
L’environnement semble y prendre une place très importante. Pensez-vous que vous seriez capable de conserver votre état d’esprit si vous retourniez au Canada ?
Je pense que je pourrais l’exercer n’importe où, puisque que c’est une forme d’approche de la vie. Mais être aussi heureuse au Canada serait plus difficile car je ne pourrais pas réunir tous les aspects de mon mode de vie actuel. Néanmoins, il reste possible de se rendre à la campagne, dans des parcs ou dans la nature, faire du vélo, marcher ou nager. En somme, il suffit de se rendre partout où l’on peut se reconnecter aux choses sensibles, à la nature, car c’est cela qui améliore le style de vie et le bien-être.
Propos recueillis par Laura Remoué
En savoir plus:
Les Finlandais sont des gens heureux de Katja Pantzar
Editions Belfond
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