Quelle place occupe l’environnement dans les médias généralistes ? Traités jusque-là de manière périphérique, les sujets autour du climat prennent de plus en plus d’ampleur dans les rédactions traditionnelles. Etat des lieux avec Simon Roger, chef du service Planète du quotidien Le Monde.
Comment notez-vous l’évolution du traitement médiatique de l’environnement dans les médias généralistes ?
Il y a eu selon moi un changement progressif d’angle de vue. Il était courant d’aborder la question environnementale par le biais des conférences et négociations internationales sur le climat ou par de simples constats sur l’état environnemental de la planète. Aujourd’hui, cette question laisse beaucoup plus de place aux mobilisations citoyennes et à la transition écologique avec des articles plus longs et plus fouillés. Je pense par exemple au projet Human Climate Change Stories, porté par les grands-reporters indépendants Samuel Turpin et Benjamin Bilbas, qui suit l’impact du changement climatique sur les vies de 12 familles dans 12 pays du monde pendant les 10 prochaines années.
Les rapports et études scientifiques, l’effondrement de la biodiversité, l’accélération du dérèglement climatique ont aussi permis des prises de conscience dans les rédactions. Il y a quelques années encore au Monde, il était courant de se demander en réunion si les sujets environnementaux étaient des sujets majeurs ou pas… Il y a eu certainement un virage à la COP21, où on a pu faire des croisements entre préoccupations écologiques et prises de décisions politiques en multipliant les reportages et les décryptages. On a tous intégré, je pense, le fait que l’écologie est un sujet transversal et touche aussi bien l’économie que nos modes de vie. On est passé de « Est-ce qu’on traite ce sujet sur le climat ? » à « Comment on traite ce sujet sur le climat ? » et aujourd’hui, les pages « Planète » du Monde sont pérennes et de plus en plus de Unes du journal viennent de cette rubrique.
Informer sur l’écologie signifie aussi remettre en cause le modèle dominant actuel…
Oui en effet. En abordant de plus en plus la question de la transition écologique, les médias généralistes interrogent davantage, directement ou indirectement, le modèle économique et social en place. Quand 30 000 paysans équatoriens se mobilisent pour dénoncer les dégâts environnementaux et sociaux en Amazonie après le géant TEXACO, cela illustre de manière pertinente que le modèle productiviste n’est plus tenable. Plus implicitement, si l’on écrit des papiers sur la pollution atmosphérique ou les particules fines en France ou à l’étranger, c’est le modèle économique derrière qui est visé et c’est la nature du papier, même si ce n’est pas explicite dans le titre.
Face à l’urgence de la situation qui se dégrade, on a pu voir, en parallèle des quotidiens traditionnels, des médias en ligne s’emparer de la question écologique. C’est le cas de Reporterre qui a basé toute sa ligne éditoriale sur le sujet mais aussi d’autres sites comme l’Agence d’informations spécialisés (AEF info) qui fait du très bon travail sur les questions d’énergies ou également Euractiv qui consacre une très grande partie de son site aux questions environnementales à l’échelle européenne. Et je trouve ça très bien. D’autres encore, comme Kaizen, se tourne vers les initiatives écologiques pour inverser la tendance.
« …si l’on écrit des papiers sur la pollution atmosphérique ou les particules fines en France ou à l’étranger, c’est le modèle économique derrière qui est visé et c’est la nature du papier, même si ce n’est pas explicite dans le titre. »
Justement, l’actualité environnementale dans la presse généraliste reste dans l’ensemble traitée de manière anxiogène. Comment articulez-vous les sujets de dénonciation et les sujets qui proposent des solutions ?
Il nous arrive d’avoir des retours des lecteurs sur la rubrique Planète, nous disant qu’ils avaient une baisse de moral en lisant beaucoup trop souvent de « mauvaises nouvelles » qui entravaient avec leur capacité de réaction alors que des initiatives écologiques et solidaires fleurissent partout dans le monde. La maturation est lente dans les rédactions traditionnelles mais le relai d’initiatives inspirantes dans le domaine de l’écologie se fait aujourd’hui de plus en plus. Et ça nous interroge évidemment sur nos pratiques et comment on raconte le monde le mieux possible.
C’est pour cela que vous avez créé récemment la rubrique « Des solutions pour la planète » ?
Oui cette initiative ne date que de quelques mois. Sans pour autant dire que tout va se régler tout de suite, l’objectif de cette rubrique est de réfléchir à nos pratiques quotidiennes et de les faire évoluer en relayant des initiatives inspirantes portées en France et à l’étranger à différentes échelles, en montrant que les personnes derrière tout cela construisent de nouveaux modes de vie. Les médias généralistes qui ont autant de visibilité, se doivent de mettre en lumière ces nouveaux leviers d’actions en faveur de la planète.
« Les médias généralistes qui ont autant de visibilité, se doivent de mettre en lumière ces nouveaux leviers d’actions en faveur de la planète. »
La théorie de l’effondrement pourrait-elle entrer dans cette rubrique ?
On pourrait croire que non puisque cette théorie peut paraître assez catastrophiste avec l’idée que l’on arrive à un point de rupture des ressources et à un effondrement civilisationnel. Mais ça sous-entend aussi que l’on peut choisir de vivre autrement, en changeant son mode de transport ou d’alimentation ou bien en changeant de voie professionnelle et se tourner vers la permaculture par exemple.
Est-ce que cette période d’urgence, de luttes, vous donne parfois l’envie de vous engager ?
Pour la première fois, la rédaction du Monde a investi l’espace du Think Tank du festival We Love Green pour sensibiliser le public aux enjeux économiques et sociaux. C’était très riche avec une audience jeune assez loin du lectorat type du Monde. Ce qui était très intéressant c’était qu’au-delà des questions globales autour de la pollution, le changement climatique ou le déclin de la biodiversité, les échanges portaient sur nos pratiques et nos comportements pour entamer une transition écologique. Dans ce cas-là, on peut dire que l’on donne certaines clefs pour mettre en action le citoyen.
En ce qui concerne mon engagement personnel, il ne tient qu’à moi, et oui j’essaye de m’engager au quotidien comme n’importe quel citoyen pourrait le faire. Mais transposer mon engagement dans mon travail, non, on tomberait dans du mauvais journalisme. Nous faisons ce travail pour raconter le réel et l’une des réalités aujourd’hui est que les études scientifiques ou les derniers rapports du G.I.E.C montrent que l’on va atteindre un point de rupture si l’on ne modifie pas nos comportements. Je veux donc bien assumer le fait que certains de nos articles tendent à éveiller des consciences et donner l’envie d’agir pour la planète.
Propos recueillis par Maëlys Vésir