Eau : l’agriculture consomme 90% de nos ressources en eau

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    A l’origine de la vie, l’eau est une ressource essentielle de la nature, vitale pour tous les êtres vivants. Dans leur dernier ouvrage de la série carnets d’alerte, la journaliste Juliette Duquesne et le paysan-philosophe Pierre Rabhi ont mené l’enquête sur L’eau que nous sommes. Un élément vital en péril (Presses du Châtelet, 2018). Rencontre avec Juliette Duquesne.

    Pourquoi avoir choisi ce titre L’eau que nous sommes ?

    C’est Pierre Rabhi qui l’a trouvé parce que nous sommes faits d’eau. On l’oublie souvent. Nous sommes en moyenne constitués à 65 % d’eau, sachant que les nourrissons en ont un peu plus et les personnes âgées un peu moins. Pour Pierre Rabhi il n’y a pas de séparation entre la nature et nous. Le sous-titre Un élément vital en péril fait à quant à lui référence à l’état des lieux de l’eau dans le monde.

    Quels sont aujourd’hui les grands enjeux de l’eau dans les océans  ?

    On parle beaucoup des plastiques dans les océans car c’est un problème majeur, mais on oublie parfois le rôle vital de l’océan dans le climat. C’est un régulateur au même titre que les forêts. Les océans forment eux aussi les poumons de la planète puisqu’ils dégagent près de la moitié de l’oxygène dans le monde. Ils sont de formidables puits de carbone car tous les ans ils absorbent près de 25 % du CO2 émis par nos activités. Les océans atténuent les changements climatiques.
    Les chercheurs sont particulièrement inquiets en raison de l’augmentation des émissions gaz à effet de serre qui acidifient les océans. Cette acidité a grimpé de 30 % en 250 ans ! Ce phénomène s’accélère et a un impact sur les coraux. Depuis 1945, 25 % des récifs coralliens ont disparu et 35 % de plus pourraient disparaître d’ici 2050. Dans certaines régions ils ont même totalement disparu.

    Dans le livre vous rappelez que 90 % de l’eau douce consommée dans le monde est destinée à l’agriculture. C’est énorme !

    Oui tout à fait. Car même si l’agriculture nous nourrit, il est essentiel de se poser la question : pour quelle agriculture ? L’agriculture industrielle est la première consommatrice d’eau et n’est malheureusement pas remise en cause dans sa gestion de l’eau. En France par exemple, presque toutes les nappes phréatiques sont aujourd’hui polluées par les nitrates et les pesticides en raison des traitements chimiques agricoles.

    Comment gérer alors durablement la consommation d’eau ?

    D’abord en pratiquant une agriculture biologique, en agroécologie ou permaculture. Car le poids de l’agriculture est énorme, même par rapport à la consommation domestique ou industrielle. Dans le livre je cite en exemple l’agriculteur agronome Benoît Biteau qui pratique la polyculture avec l’agroforesterie, alors que son père cultivait du maïs irrigué. En convertissant son exploitation il a réussi à économiser l’équivalent de la consommation en eau d’une ville de 7 000 habitants par an ! Car les pratiques agroécologiques permettent de multiplier de 5 à 10 fois la capacité de rétention des sols. Il y a donc des solutions, même si dans les zones semi-arides, cela met un peu plus de temps.
    Les rares sources qui sont préservées en France, sont celles où il y existe des accords avec les agriculteurs environnants qui cultivent en bio ; parce qu’ils n’ont pas le droit de traiter les sols. Dans ces zones, il n’est pas nécessaire de dépolluer l’eau. Or les mesures préventives coûtent jusqu’à 87 fois moins cher à mettre en place que les traitements de l’eau après contamination.

     

    Certains de vos interlocuteurs pensent également que l’on n’a pas forcément besoin de technologie pour mieux gérer l’eau, qu’il faut pouvoir réutiliser les savoir-faire traditionnels, notamment pour les aménagements durables…

    Oui, car il est vrai qu’il existe une tendance à vouloir imposer la même gestion de l’eau partout dans le monde. On impose une gestion occidentale de l’eau, sans prendre en compte le contexte local. On a par exemple essayé de mettre le goutte-à-goutte partout pour consommer moins d’eau. Et parfois on a installé des cultures qui n’étaient pas appropriées aux lieux : par exemple au Maroc on a planté des fruits et légumes destinés à l’exportation qui n’étaient pas adaptés aux sols locaux. Le goutte-à-goutte n’a pas permis d’économiser de l’eau, au contraire. Dans certains cas il vaut mieux encourager les savoir-faire locaux avec des systèmes traditionnels de récupération d’eaux pluies, de diguettes et de nombreuses techniques ancestrales.

    Beaucoup de chercheurs préconisent aussi de ne pas mettre en place le modèle du tout tuyau par exemple. En France nous avons plus d’un million de kilomètres de tuyaux sous nos pieds : c’est un investissement et entretien énorme. Est-ce approprié à tous les pays ? Il semble que non. Dans de nombreux pays on livre par exemple l’eau potable à domicile et l’eau grise du robinet est utilisée uniquement pour se laver et pour les besoins domestiques.
    La gestion du tout tuyau est encouragée par les multinationales de l’eau qui ont impulsé cette gestion. Mais aujourd’hui ce modèle est remis en cause.

    L’eau est une ressource naturelle reconnue comme un droit fondamental par l’ONU. Qu’a révélé d’autre votre enquête sur la gestion de l’eau par ces multinationales. ?

    Ce qui est ressorti de l’enquête c’est que si la ressource en eau est gratuite, c’est la gestion de l’eau qui est privatisée et souvent entre les mains de multinationales qui maîtrisent tout, comme Veolia et Suez, deux géants français de l’eau à l’échelle internationale qui imposent leur façon de gérer l’eau.

    Des enquêtes ont aussi révélé beaucoup d’affaires de lobbying, de contrats douteux et de corruption… Or les communes ne sont pas toujours bien armées pour déchiffrer les contrats complexes et démasquer les surfacturations par exemple. Certaines associations réclament des audits pour mettre en place un contre pouvoir. Des personnes comme le journaliste Marc Laimé, spécialiste des questions liées à l’eau, Jean-Luc Touly, porte-parole de l’ACME (Association pour le Contrat Mondial de l’Eau) conseillent parfois les collectivités locales.

    L’idée est de ne pas laisser la gestion de l’eau entre les mains de multinationales. Il est possible de faire autrement car la ville de Paris par exemple, est repassée en gestion municipale en 2010 et le prix de l’eau a baissé de 8% dès 2011. Cela évite les dividendes et les salaires disproportionnés comme celui du directeur général de Suez, Jean-Louis Chaussade, qui a perçu en 2016 1,6 millions d’euros ! Celui-ci justifie son salaire par quarante ans d’expérience en déclarant qu’ « on rémunère un “talent“ ».

    Qu’en est-il alors du talent de ceux qui pratiquent l’agroécologie comme Benoît Biteau dont vous parliez et qui économise l’équivalent de la consommation en eau d’une ville de 7 000 habitants par an ? 

    C’est clair…

    Que peut faire le citoyen au quotidien pour contribuer à une meilleure gestion de l’eau ?

    Manger bio ! Car l’impact de l’agriculture est énorme. Même si c’est un peu plus cher en moyenne, cela coûte moins cher que le coût de la dépollution de l’eau. Réduire sa consommation en eau joue également un petit rôle dans la réduction du cycle du traitement de l’eau. Par exemple le fait d’utiliser 10 litres d’eau potable pour tirer chasse d’eau, symboliquement ça n’a pas de sens. Pourquoi utiliser de l’eau pour véhiculer nos excréments ? Nous pourrions utiliser un autre liquide ou des toilettes sèches.

    En France peut-on boire l’eau du robinet en toute confiance ?

    Selon l’association UFC-Que Choisi 96% des Français peuvent boire de l’eau du robinet en toute confiance. L’eau est potable partout en France mais selon certaines associations dont UFC-Que Choisir, elle est de moins bonne qualité et peut-être polluée par des pesticides, les nitrates ou le plomb pour 4% de la population, soit 2.8 millions de français. Une carte précise a été réalisée par UFC-Que Choisir pour identifier la qualité de l’eau.
    Notre consommation en eau potable est en réalité minime comparée à l’utilisation de l’eau douce. Il est d’ailleurs révélateur que lorsque l’eau est gratuite, comme en Irlande, on n’observe pas d’augmentation de la consommation. De même dans les pays où il y a des compteurs d’eau individuel, on ne consomme pas moins d’eau.

    Pour palier au risque de manque d’eau dans certains pays, certains mettent en avant la possibilité de dé-saler l’eau de mer. Qu’en pensez-vous ?

    C’est une fausse solution car cette technique consomme beaucoup d’énergie et on ne sait pas quoi faire des résidus de sel après. Il faut adapter et changer les modes de consommation, notamment en agriculture.

    A l’échelle de la collectivité vous valorisez la phyto-épuration pour le traitement des eaux usées. Pourquoi ?

    Oui, car même si la phyto-épuration, assez utilisée dans les petites communes, n’enlève pas toujours toute la pollution chimique, elle présente de nombreux avantages. J’ai rencontré par exemple une entreprise très intéressante, Phytorestore, qui met en place des zones humides pour traiter les eaux usées. Elle recrée des jardins filtrants dans les communes en France et ailleurs dans le monde en privilégiant une gestion de l’eau locale, plutôt que d’envoyer l’eau dans les tuyaux à des kilomètres pour parvenir aux stations d’épurations. Les zones humides végétales font naturellement le travail. De plus, les zones humides peuvent servir de zone tampon lors des inondations, ou de zone de fraicheur dans les villes, tout en favorisant la biodiversité !

    Propose recueillis par Sabah Rahmani

     


    AUTRES CHIFFRES CLES SUR L’EAU

    • 2,1 milliards de personnes ne disposent pas d’eau potable chez elles.
    • À l’échelle mondiale, 80% des personnes utilisant une eau impropre à la consommation et des sources non protégées vivent en milieu rural.
    • Les femmes et les jeunes filles sont chargées de la collecte de l’eau dans 8 ménages sur 10 n’ayant pas de point d’eau à domicile.
    • Près de 159 millions de personnes puisent de l’eau de boisson dans des eaux de surface (par exemple des mares ou des cours d’eau).
    • Source : ONU

    A écouter :

    Jacques Caplat : « L’agroécologie sauvera notre puissance agricole »

    Lire aussi : 

    Le grand potentiel de l’agroécologie et de la permaculture à l’horizon 2030.

    1 COMMENTAIRE

    1. Deux notions: consommation et prélèvements.
      Source CIEAU ( agences de l’eau) Dans le territoire de la France
      l’activité agricole équivaut à 9% des prélèvements. Cette eau étant, pour partie, utilisée pour irriguer les plantes, infiltrée dans le sol ou encore évaporée, la quantité d’eau effectivement consommée est, en revanche, importante : 48%. L’eau de pluie utilisée directement par les cultures n’est pas comptabilisée.

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