Michèle Rivasi, Dominique Eraud : « se diriger vers la médecine intégrative »

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    APRÈS DES PARCOURS SCIENTIFIQUES CLASSIQUES, MÉDECINE POUR DOMINIQUE ERAUD, AGRÉGATION DE SCIENCES NATURELLES POUR MICHELE RIVASI, CES DEUX FEMMES SE SONT OUVERTES AUX MÉDECINES COMPLÉMENTAIRES. LEURS EXPÉRIENCES LES MOTIVENT POUR UNE MÉDECINE PLUS ÉCOLOGIQUE, PLUS HUMAINE,PLUS INDÉPENDANTE. REGARDS CROISÉS.

     Comment vous êtes-vous intéressées aux médecines complémentaires ?

    Michèle Rivasi J’ai une formation de biologiste, mais le monde des plantes m’a toujours passionnée. Il y a d’abord eu une rencontre avec un spécialiste des plantes qui m’a incitée à la réflexion : « Toi, tu connais les plantes d’un point de vue biologique, mais moi, je les connais d’un point de vue médical, thérapeutique. » Puis en Afrique, j’ai rencontré des chamanes qui soignaient par les plantes. Je trouvais que c’était une perte de culture, de mémoire d’amener des médicaments des pays occidentaux et ne pas utiliser leur savoirfaire. Et je voyais des laboratoires qui venaient espionner, récupérer, pour en faire des brevets. C’est ainsi qu’a commencé mon combat contre eux sur le plan politique.

    Dominique Eraud J’ai grandi dans ce double univers. Mon père, Henri Eraud, a créé le Syndicat national des médecins acupuncteurs de France (SNMAF). J’étais en fac de médecine et un jour il me dit : « Il y a une journée portes ouvertes à l’École française d’acupuncture. Voudrais-tu voir ce qu’on y fait ? » Quand je suis sortie, je me suis dit : « C’est exactement la médecine que je veux. » Cela remplissait le vide que je ressentais pendant mes études de médecine. Donc j’ai fait médecine, et je me suis spécialisée en acupuncture, puis en homéopathie et phytothérapie.

    Vous évoquez toutes les deux les plantes. L’arrêt de l’usage des plantes est-il le symbole d’un passage d’une médecine à une autre ?

    MR. D’un point de vue historique, c’est vrai. Par exemple, l’interdiction de l’herboristerie en France a été déclenchée par l’Ordre des pharmaciens sous le gouvernement de Vichy. Ce corps avait un marché et ne voulait pas le partager. Ensuite, l’industrie pharmaceutique a imposé des normes très exigeantes pour que seuls les gros labos puissent vendre les médicaments. Et, dernière chose, la directive européenne de 2014 sur les médicaments à base de plantes avait pour objectif d’empêcher le développement de ceux-ci, en imposant des contraintes insurmontables. C’est comme si on voulait détruire la mémoire ancestrale sur la capacité de soigner avec les plantes

    DE. Le parcours de la médecine suit le même parcours que l’agriculture. Avant, on n’utilisait que les plantes pour soigner les humains et les cultures (purin d’ortie et autres décoctions), puis on a regardé dans la plante pour chercher la molécule active, en se disant qu’on n’avait pas forcément besoin de toute la plante. Ces molécules actives ont été identifiées, mais on n’a pas mesuré que leur efficacité était liée aux interactions avec d’autres éléments de la plante. Et ensuite les labos ont reproduit ces molécules par synthèse pour éviter de cultiver les plantes. Et on a déraillé.

    MR. Exact. D’autant que lorsque les labos ne prennent que la substance active d’une plante, ils oublient qu’elle est amplifiée par tous les autres éléments de la plante. On a une vision très réductionniste des choses, qui mène à des impasses. On constate, par exemple, une perte d’innovation dans la création de nouveaux médicaments. Nous devons rouvrir nos horizons, et tout le monde doit avoir sa place.

    Mais aujourd’hui, la médecine allopathique s’appuie sur des résultats tangibles, alors qu’on n’a pas d’études qui attestent de l’efficacité des médecines complémentaires ? 

    DE. Il n’y a pas d’études avec les normes de la médecine allopathique. Ce qui n’est pas pareil. Par exemple, prenez un gelsemium en homéopathie, c’est une plante, un sel : si on l’utilise en 9 CH pour la grippe, il fait descendre la fièvre. Et si on l’utilise en 15CH, c’est un anti-trac. Donc comment voulez-vous faire une étude sur le gelsemium puisque selon sa dilution, en 9CH ou en 15CH, l’indication n’est absolument pas la même ? Nous devons trouver des chercheurs qui acceptent qu’on ait des méthodologies de recherche différentes de la médecine allopathique.

    MR. Oui, il faut qu’on se mette d’accord sur la façon dont on procède. Mais pour l’instant, les études sont confisquées à cause de leur financement. En fait, on a besoin d’un fonds qui soit financé grâce à une taxe sur les médicaments ou pourquoi pas aussi sur les gélules, pour lancer des études sur les médecines complémentaires et même sur la médecine allopathique qui reposent sur d’autres critères. Aujourd’hui, ce sont les critères dits « de l’OCDE », c’est-à-dire des critères internationaux élaborés par les entreprises elles-mêmes, avec des standards d’études très exigeants. Ils sont difficilement adaptables aux médecines qui n’ont pas la même approche. Or on peut trouver des solutions. Par exemple, un fonds d’à peu près 3 millions d’euros a été créé en taxant les opérateurs de téléphonie mobile pour faire des études sur les ondes électromagnétiques. Et ce sont des scientifiques indépendants des industriels qui réalisent ces études. Donc l’important, c’est la façon dont la recherche est financée.

    DE. Mais on constate des évolutions. D’abord une note d’analyse diligentée par le premier ministre 1 dont la conclusion est : « Dans l’avenir, offrir la meilleure stratégie thérapeutique au patient passera par la combinaison, quand cela sera pertinent, de la médecine conventionnelle et des approches soignantes différentes, qu’elles soient fondées sur la parole, des produits ou des gestes. Le système de santé pourra ainsi mieux répondre aux attentes des usagers en termes de bien-être et de qualité de vie, d’autant plus que ces variables contribuent au maintien, voire à l’amélioration de l’état de santé. » Et en Suisse, depuis mi-2017, les dépenses en médecine anthroposophique, homéopathie classique, médecine traditionnelle chinoise et phytothérapie sont remboursées par le régime d’assurance maladie de base sans aucune limitation dans le temps [lire page 36]. Ces médecines bénéficient du même statut que la médecine conventionnelle. Cela fait suite à un référendum et différentes études, notamment le « Rapport du gouvernement suisse concernant la médecine homéopathique » réalisé en 2011 2 qui incluait une évaluation d’essais randomisés en double aveugle ainsi que d’autres corpus de preuves démontrant que les médicaments homéopathiques sont efficaces.

    Les labos sont devenus des lobbys ?

    MR. Qui fixe le prix des médicaments ? C’est le CEPS, Comité économique des produits de la santé, qui regroupe des gens qui ont souvent des liens de proximité avec l’industrie et qui ne raisonnent qu’économiquement. C’est-à-dire que si on ne rembourse pas suffisamment des médicaments, ils mettent en balance l’emploi dans des labos, qui ont des succursales en France. Les intérêts économiques priment sur l’intérêt sanitaire. Par ailleurs la formation continue des médecins est assurée exclusivement par les laboratoires pharmaceutiques. Les labos vont voir les doctorants en leur proposant de payer leurs thèse, pot de départ, etc. La majorité des étudiants acceptent. En résumé, les labos tissent des liens dès qu’ils peuvent. Donc, oui, le poids des labos est fort, mais c’est un peu comme des vieilles civilisations, des dinosaures : ça ne correspond plus au siècle. D’ailleurs, regardez les agressions que subissent les médecines complémentaires. [NDLR Exemple : « L’appel de 124 professionnels de la santé contre les “médecines alternatives” » du Figaro en mars 2018] Quand on fait preuve d’agressivité, c’est qu’on est en faiblesse.Quand on est joyeux et délivré, on n’a pas besoin d’être agressif dans la vie. Ils sentent bien qu’ils sont dans la faiblesse. Et nous, on n’a pas besoin d’être agressifs.

    DE. Je suis d’accord. Je pense que les mentalités changent parce que les patients changent, même si les médecins changent moins vite. Les parents qui commencent à voir que leur enfant est moins malade, ou qu’une personne âgée a ses douleurs d’arthrose qui diminuent, avec trois granules de quelques plantes, ils s’éloignent de l’allopathie. Dans un second temps, ils en parlent à leur médecin : « Ma copine a pris du curcuma. » Et on avance comme ça. Je crois à la force citoyenne. Je pense qu’on arrive à un autre moment politique maintenant.

    Vous pensez que les médecines complémentaires se développeront via les patients ?

    MR. Oui, il faut former les patients. Leur dire que plus on leur donne de médicaments, plus cela aura des effets secondaires. Et les informer de l’existence d’alternatives qui sont beaucoup moins chères. L’information circule aussi via l’entourage. Par exemple, pour les gens qui ont un cancer, c’est incroyable. Ils font confiance aux médecins qui les soignent, et en même temps ils savent qu’il y a autre chose à côté. Quand vous voyez qu’une personne va beaucoup mieux parce qu’elle se fait aider par une médecine complémentaire, c’est le meilleur exemple.

    DE. C’est moins cher, et il n’y a pas d’effets iatrogènes effectivement ! C’est quand même très important. Un effet iatrogène, c’est la possibilité de déclencher des maladies avec la prise de médicaments. Rappelons tout de même que les médicaments provoquent environ 10 000 morts par an en France 3. [NDLR En plus des interactions entre plusieurs médicaments, le mauvais dosage, la mauvaise prise ou le non-respect du traitement prescrit sont aussi en cause dans ces décès.]

    MR. C’est à la fois une question de culture, mais aussi de formation initiale des médecins. Si vous dites à votre médecin que tous ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires et que l’effet cocktail des médicaments vous questionne, il peut y réfléchir. Car aujourd’hui par sa formationinitiale, il prescrit un médicament pour chaque symptôme. [NDLR Entre 75 et 84 ans, les personnes prennent en moyenne quatre médicaments différents.] La médecine, ce n’est pas de la consommation.

    DE. Il faut éduquer les médecins et les patients. C’est de l’intelligence collective. Choisir son type de médecine, c’est un acte citoyen, comme choisir son alimentation.

    Choisir son type de médecine, c’est un acte citoyen, comme choisir son alimentation.

    Mais c’est complexe de comprendre, de se former en tant que patient ?

    DE. C’est un travail à faire dès l’école. Apprendre à un enfant qu’on peut parfois soigner certaines maladies par des plantes et par d’autres médecines.

    Est-ce le rôle des enseignants ? Ils n’ont pas ces compétences.

    MR. C’est de l’éducation à la santé quand même !

    DE. De l’éducation civique ! On fait bien de l’éducation sexuelle, on peut faire l’éducation aux plantes. Les enfants sont un bon vecteur de sensibilisation. Dans mon cabinet, maintenant, j’ai la deuxième génération, les enfants de mes patients qui sont devenus adultes, et qui savent qu’on peut se soigner par les plantes, l’homéopathie, etc. Ce sont des principes qu’on peut introduire dès l’enfance, comme l’écologie.

    Et côté médecins, comment ouvrir ces horizons ?

    DE. À la génération de mon père, on disait des médecins qu’ils faisaient leurs humanités. C’étaient des humanistes. Ils étaient à l’écoute des anciens, des textes des anciens. Maintenant, on forme des médecins essentiellement sur la base de maths et physique. Donc un étudiant, quand il sort de médecine, il pense maths et physique. Et que fait quelqu’un qui pense maths et physique ? Il crée des nouvelles technologies ou des nouveaux médicaments qui sont de plus en plus puissants, de plus en plus toxiques et il appelle ça le progrès. Pour moi, le progrès, c’est traduire, être à l’écoute des textes anciens. Et dans l’humanité des humanistes, il y a le mot qu’adore Pierre Rabhi, « humus », la terre, l’humilité. Il faut que le médecin revienne à la source, revienne à la terre. On a perdu notre référence à la terre. On est passé à une autre médecine. Et les patients ressentent un vide. Ils ne se sentent plus écoutés, les médecins ne prennent pas assez le temps de les écouter.

    MR. Oui, mais pas seulement. Je pense qu’on doit intégrer, dans la formation initiale des médecins, des qualifications, des certificats de médecines complémentaires qui soient obligatoires. Ce que l’on rencontre fréquemment, ce sont des étudiants qui, devenus médecins, choisissent après l’homéopathie, par exemple. C’est une forme de sélection. Moi, je voudrais que ces pratiques, comme l’homéopathie, soient intégrées dans le cursus.

    D E. C’est vrai, je pense que ce n’est pas une solution harmonieuse d’opposer les deux médecines. Il me semble plus éthique de se diriger vers la médecine intégrative. Faire un pas les uns vers les autres. Passons du discours « je suis contre l’allopathie », ce qui braque les médecins, c’est normal, à « est-ce qu’on ne pourrait pas travailler avec vous ? » Les gens adorent qu’on les mette dans un système, qu’on leur dise qu’on a trouvé un traitement ensemble. C’est ce que font les hôpitaux, de Nice, Strasbourg, Nantes, Bordeaux. Avec des centres de médecine intégrative. Et tout le monde est heureux d’ailleurs, même le personnel soignant est beaucoup plus heureux parce que cela correspond à une notion d’éthique, parce que les gens ont besoin d’éthique. On est en quête de sens. Quand on manque de sens, ça ne va pas. C’est pour cela qu’on est dans une période charnière. Je pense qu’on est à un moment de la civilisation où on est au bord de la falaise, on a encore un petit moment à tenir – à tous niveaux : alimentation, médecine… –, mais je suis convaincue qu’on va changer. La médecine future sera écologique. l

    Propos recueillis par Pascal Greboval.

    1 Centre d’analyse stratégique, « Quelle réponse des pouvoirs publics à l’engouement pour les médecines non conventionnelles ? », La Note d’analyse, n° 290, octobre 2012. Disponible sur www.strategie.gouv.fr.

    2 Gudrun Bornhöft et Peter Matthiessen, Homeopathy in Healthcare: Effectiveness, Appropriateness, Safety, Costs, Springer Verlag, 2011. 3 « Victimes d’effets indésirables graves de médicaments. État des lieux

    et recommandations », février 2015. Note de synthèses conjointe disponible sur www.prescrire.org.

    POUR ALLER PLUS LOIN

    www.michele-rivasi.eu • www.humanisme-mindfulness.net

    www.solidarite-homeopathie.org • www.meridiens.org

    www.acumedsyn.org

    1 COMMENTAIRE

    1. L’allopathie n’existe pas, c’est une invention des homéopathes pour discréditer la médecine. Si je n’ai aucun doute sur l’efficacité de la phytothérapie et que je souhaite la réhabilitation des herboristes je trouve très dangereux ce genre d’articles qui font la promotion de pratiques (homéopathie, acuponcture, médecine anthroposophique etc.) qui n’ont d’autre effet que le placebo et qui éloignent les patients de la vraie médecine, ce qui peut les pousser à renoncer à se soigner correctement et avoir des conséquences très graves sur leur santé. L’avantage des ‘médecines’ alternatives est la capacité d’écoute des praticiens et le temps qu’ils consacrent à leur patient. Il vaut mieux se battre pour que les hôpitaux disposent de plus de moyen et de suffisamment de personnel, que les médecins soient plus à l’écoute de leur patient, qu’il soient mieux répartis sur le territoire et pour protéger la Sécurité Sociale des attaques des libéraux. Big Pharma, c’est aussi les laboratoire Boiron. Il y a des abus partout, ne vous trompez pas de combat.

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