Tikopia, une île qui dialogue avec la nature

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    A l’occasion de la sortie du film documentaire de Corto Fajal, le 7 novembre en France, Nous, Tikopia nous emmène dans un voyage poétique, riche d’enseignement sur cette île méconnue des Salomon dans le Pacifique. Depuis 3 000 ans, ce peuple insulaire maintient une relation de profond respect et de protection de la nature. Une complicité telle, qu’à Tikopia, les cyclones ne font aucune victime ! Une délégation d’habitants, représentée par leur roi Ti Namo, a fait le voyage jusqu’en France pour témoigner de leur mode de vie. Rencontre.

    Quel lien votre peuple entretien-il avec la nature ?

    La nature est au centre de notre mode de vie. Nous communiquons avec elle, nous lui parlons et elle nous parle. Nous savons comment elle se porte, en observant par exemple le comportement des animaux, la manière dont une plante pousse, l’état de la terre et de la mer… Nous pouvons ainsi dire si une plante ou la nature est heureuse ou pas. Il est de notre devoir d’en prendre soin parce que la nature est un don. Un cadeau pour l’humanité. Une offrande, un cadeau divin que devons protéger.

    Vous la considérez comme un esprit ou un dieu ?

    Nous croyons que la nature nous a été donnée en cadeau par Dieu. Si aujourd’hui nous sommes chrétiens, nous avions les mêmes croyances traditionnelles avant. L’arrivée du christianisme n’a fait que renforcer nos croyances sur la nécessité de continuer à vivre avec la nature sans la détruire. Nous avons tous un impact sur elle, et si nous continuons à la détruire nous serons tous malheureux. Il est donc de notre responsabilité à tous de la préserver afin que nous puissions nous réjouir d’être un seul peuple, sur une seule planète. Si nous agissons tous pour faire en sorte qu’elle nous rende heureux, nous pourrons avoir un avenir meilleur.

    Quels sont les principaux problèmes environnementaux auquel vous faites face ?

    L’un des problèmes sérieux concerne l’érosion des côtes. De nombreuses côtes sont emportées par les eaux, alors qu’auparavant, les vagues, devenues aujourd’hui plus en plus forte, n’arrivaient pas aussi haut.

    Mais c’est sans doute la sévérité des cyclones qui est devenue très inquiétante pour nous. Nous avons fait face au plus grand cyclone du siècle, le cyclone Zoé[1]. Aujourd’hui nous observons quelque chose de nouveau que nous n’avions jamais vu avant : le nombre de plus en plus importants de cyclones, plus proches et plus intenses sur notre île. Ils nous menacent de plus en plus et nous voyons bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas.

    Comment faites-vous pour vous protéger des cyclones ?

    Nous communiquons avec la nature : elle peut nous prévenir si un cyclone approche en observant uniquement le comportement des oiseaux, des nuages et des vagues. Nous pouvons ainsi les anticiper. Dès que nous sommes alertés à l’avance, nous nous préparons et nous prenons toutes les précautions nécessaires, car si vous savez anticiper, vous pouvez faire face au danger.

    Nous savons exactement où nous réfugier : dans des grottes avec des réserves de nourritures, où nous mettons d’abord à l’abri les femmes et les enfants. Nous nous organisons par communauté grâce un système d’échanges qui forme la base de notre organisation sociale de don et contre-don. Même si nous avons besoin de faire d’importantes réserves avant les cyclones, nous ne vivons jamais en laissant derrière nous des démunis. Nous nous assurons que nous marchons tous ensemble, et nous stockons la nourriture pour aider ceux qui sont dans le besoin. Si tout le monde avait ce qu’il faut, nous serions tous heureux.

    Grâce à cette communication avec la nature et cette solidarité, après le passage d’un cyclone, nous avons très peu de dégâts. Même après le passage du grand cyclone du siècle, nous n’avons eu aucune victime ! Alors que dans les petits cyclones qui arrivent partout dans le monde, des vies sont perdues. Mais chez nous non, car nous sommes très attentifs à ce que nous faisons.

    Pensez-vous que vous pourriez inspirer d’autres cultures ?

    Nous l’espérons. Car il est possible que votre société puisse apprendre de la nôtre.

    C’est la première fois que vous venez en France. Quelles sont vos impressions ?

    Nous avons fait un très long voyage pour venir en France. C’est un voyage rempli de questions car nous sommes surpris par de nombreuses choses ici : les belles routes, les beaux immeubles, les belles personnes, vous avez un accès facile à la nourriture, à l’eau et aux soins. Pour autant, nous ne voulons pas de ce mode de vie capitaliste de l’Occident, c’est au delà de nos capacités. Nous sommes une petite île et nous n’avons pas le luxe d’une abondance de ressources que l’on trouve dans les pays où l’économie est développée.

    Nous préférons vivre avec la simplicité de notre mode de vie traditionnel. Notre espoir repose sur la protection de notre culture, parce que nous savons que c’est notre futur. Mais nous croyons aussi que nous ne pouvons pas agir seuls, nous sommes trop petits. Les grandes nations doivent elles aussi partager cette responsabilité de prendre soin des petites îles comme la nôtre.

    Pourquoi est-il important de vous faire connaître à travers le film Tikopia ?

    Parce qu’il témoigne de notre mode de vie et que nous souhaitons saisir cette opportunité pour raconter notre histoire en France et dans d’autres pays. C’est aussi l’occasion de parler du défi que nous sommes en train de vivre avec le changement climatique.

    Bien que nous soyons un petit Etat insulaire, nous pensons que le monde est devenu un peu irresponsable. Car s’il s’engage avec des décisions qui redonnent de l’espoir, par exemple avec l’accord de Paris, les gouvernements continuent de prendre des décisions irresponsables avec l’économie, sans s’inquiéter réellement des conséquences qui se répercutent sur les petites îles. C’est le cas par exemple, des industries qui polluent l’air et qui influent sur le climat ou de celles qui utilisent des matériaux d’emballage, comme le plastique. Le problème est que sur nos îles, nous adorons les produits emballés mais que nous ne pouvons pas les jeter sur nos îles. On ne préoccupe pas de cette question qui affecte notre vie. Or nous sommes persuadés que si chacun respecte les engagements de Paris, nous aurons une chance de perpétuer un futur durable.

    Propos recueillis par Sabah Rahmani

    [1] Le cyclone Zoé, le plus important cyclone tropical connu, a traversé l’île de Tikopia entre décembre 2002 et 2003.

    Bande annonce du film :

    Pour aller plus loin :

    Pour consulter la liste des projections en France, cliquez ici.

    A voir aussi :

    https://kaizen-magazine.com/article/freres-des-arbres-l-appel-d-un-chef-papou/

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