François Sarano : Océan dernier espace sauvage

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    François Sarano est un expert mondial des fonds sous marins : docteur en océanographie, il a participé à une vingtaine d’expéditions à bord de la Calypso en tant que conseiller scientifique du Commandant Cousteau.
     
    François Sarano

    Pascal Greboval – Comment vous est venue l’idée de photographier l’océan et ses habitants ?

    François Sarano – Au sein de l’équipe Cousteau, à bord de la Calypso, j’ai profité des conseils que mes amis photographes m’ont donnés. C’est surtout le besoin de témoigner qui m’animait, de rendre compte de nos observations, d’expliquer. Mais les notes et les croquis ont autant d’importance à mes yeux que la photo.

    P. G. – Quelle évolution avez-vous constatée dans les fonds sous-marins depuis que vous avez commencé à plonger ?

    F. S. – Mon expérience corrobore celle des scientifiques : de nombreuses espèces sont en voie de disparition à cause de la surpêche, en d’autres termes l’avidité humaine. La raison est simple, on pêche des poissons de plus en plus petits qui n’ont plus le temps d’atteindre la taille de maturité sexuelle pour se reproduire. Le thon rouge en Méditerranée est un exemple frappant, on ne pouvait pas imaginer il y a 40 ans qu’il deviendrait si rare. De même, certains requins , les raies, les merlus sont en voie de disparition, alors que dans les années 1980 avec la Calypso, on en observait un grand nombre. On peut voir également des espèces remonter vers les zones septentrionales à cause du réchauffement de l’eau.

    Mais ce n’est pas inéluctable, si l’on réagit à temps il n’y a pas d’irréversibilité. Durant ces 40 dernières années, grâce à l’interdiction de leur chasse, les mammifères marins, les baleines, les otaries, ont vu leur population s’accroître considérablement. C’est formidable. Cela montre que la nature est solide. Bien des mesures sont prises pour préserver certaines espèces en danger critique d’extinction. Cependant le marsouin de la mer de Coretz, ou celui du Yang Tsé Kiang pourraient bien s’éteindre dans les années qui viennent comme le dauphin du Yang Tsé Kiang disparu dans l’indifférence générale en 2007.

    P. G. – L’exploration des mers est récente – Cousteau et la Calypso en ont été les pionniers – mais celles-ci ne demeurent-elles pas un domaine inconnu ?

    F. S. – Les scientifiques eux-mêmes ne savent presque rien des océans. C’est le plus vaste espace sauvage de la planète. On n’a pas exploré ses profondeurs et même les zones côtières restent bien méconnues. Sur les millions d’espèces estimées, seules 240 000 ont été décrites. Or la description morphologique d’une espèce ne dit rien de sa vie. Une espèce se définit par ses comportements, sa dynamique et surtout par les relations qu’elle tisse avec ses congénères et les autres espèces.

    C’est la raison pour laquelle la disparition d’une espèce est si grave, car ce n’est pas seulement la suppression d’un élément dans une collection. La vie n’est pas une collection de bocaux sur une étagère. Ce sont les relations qu’elle a tissées qui disparaissent, et c’est toute la toile du vivant qui est déchirée. Et comme tout est lié, l’extinction d’une espèce affecte toutes les autres et bien sûr nous mêmes indirectement.

    P. G. – Que représentent ces espaces sauvages pour l’humanité ?

    F. S. – Ils sont un modèle d’équilibre dynamique, c’est une chance d’avoir encore à les découvrir. La nature crée de la diversité en permanence, elle propose toujours de nouvelles potentialités, contrairement à l’espèce humaine qui estime progresser par la spécialisation et la sélection mais qui réduit par là ses possibilités d’adaptation. Ainsi les organismes que nous sélectionnons pour qu’ils soient les plus performants dans un contexte donné sont incapables du moindre changement. Alors que la nature, qui n’a aucun projet, conserve tout se qu’elle « invente » et trouve toujours des solutions pour s’adapter.

    P. G. – Ne risque-t-on pas, en allant les observer, de fragiliser les océans ?

    F. S. – On ne peut être en harmonie avec quelqu’un que si on le ressent et le comprend bien. La connaissance est un atout indispensable pour préserver les océans ! Je pense que ce n’est pas la vie qui est fragile, mais nous, les humains. La vie nous survivra. Si l’humain ne cesse pas son combat vain contre la nature, c’est lui qui le perdra. La nature est notre alliée, ce n’est pas notre ennemie. La vie sauvage, seule à même de créer de la « diversité », garantit notre vie sur cette planète.

    P. G. – Comment se situent les humains dans cet ensemble ?

    F. S. – Nous faisons partie du tissu vivant de notre planète et nous sommes l’un des organismes les plus fragiles. C’est nous, les humains, qui donnons un sens et une histoire à la vie, ce n’est pas une raison pour l’asservir ! La nature n’est pas réductible à une somme de ressources dans la quelle nous pouvons puiser à l’infini. Nous devons comprendre que c’est la diversité biologique et culturelle qui fait la richesse de notre planète, ce qui la caractérise par rapport à toutes les autres. Ce sont la préservation et la création de diversité qui devraient faire la grandeur d’une nation, et plus généralement de l’être humain, et non pas sa conversion en argent !

     Retrouvez l’ensemble de l’interview et toutes les photos dans KAIZEN 3

    Association de François Sarano : www.longitude181.com

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