Fait de roche et de résine, le papier de pierre est réutilisable pendant près de cent ans. Étanche, il peut être converti en livres, en affiches, en carton et même, remplacer les emballages plastique. En considérant le déchet comme une matière première, ce papier minéral s’inscrit durablement dans l’économie circulaire.
Oubliez tout ce que vous savez sur le papier. Il peut être fabriqué sans arbres, ni eau. Comment ? Avec de la pierre calcaire ajoutée à une résine plastique non toxique. Ce papier de pierre étanche et particulièrement résistant se recycle pendant près de cent ans. Sa production permet d’économiser 50 à 85 % d’émissions de CO2 par rapport à un papier traditionnel à base de bois. Si ce dernier génère 15 kilogrammes de déchets par tonne produite, le papier de pierre, lui, n’en crée pas un gramme ! Il préserve même la qualité des eaux et des sols en contournant l’emploi d’agents blanchissants polluants (souvent à base de chlore ou d’eau de Javel).
Dans l’imprimerie, marché le plus porteur pour le papier de pierre, ce matériau se décline sous tous les supports : livres, blocs-notes, prospectus, cartes de visite, cartes géographiques, enveloppes matelassées et même affiches et étiquettes résistant aux intempéries. Dans les quarante pays où il est breveté, le papier minéral séduit particulièrement les entreprises, puisqu’elles représentent les premiers acheteurs de cette matière inventée en Chine en 1998.
Réutilisable pendant cent ans
Le papier de pierre sème les cailloux de l’économie bleue. Le carbonate de calcium, qui le compose à 80 %, est issu de déchets miniers ou de la construction. Quant aux 20 % restants, il s’agit de polyéthylène 1, recyclé ou non, selon la disponibilité des stocks des filières de tri. Un dérivé du pétrole, certes, mais qui, en servant de liant, assure au papier de pierre la possibilité d’être recyclé à volonté pendant près de cent ans. « Il pourrait être remplacé par un matériau biodégradable, mais dans ce cas, le papier de pierre serait à usage unique », analyse Gunter Pauli, entrepreneur, auteur de fables pour enfants imprimées sur feuilles minérales et père de l’économie bleue. « C’est la première grande tentative de fabriquer un produit de consommation courante [le papier] à partir d’ingrédients réutilisables aussi longtemps », ajoute l’économiste belge.
Alors que 279 kilogrammes de papier et carton sont jetés chaque seconde en France, leur équivalent minéral fait du déchet une matière première. Pour être réutilisé, il doit être broyé en granulés, qui seront assemblés grâce à la chaleur, selon le même procédé utilisé lors de la première fabrication. Sans ajout de nouvelles matières. De quoi remplacer même le papier plastifié, trois fois plus cher et impossible à recycler. Quant au papier classique, réutilisable cinq à sept fois, il nécessite à chaque nouveau traitement l’ajout – parfois jusqu’à 50 % – de fibres de bois vierges (cellulose), dont l’extraction consomme des milliers de litres d’eau. Une eau également nécessaire au blanchiment des feuilles traditionnelles. Alors que le papier de pierre, lui, peut être désencré sans la moindre goutte, avec la seule addition d’un pigment naturel minéral. Peu absorbant, il consomme 20 à 30 % d’encre en moins pour un résultat parfaitement uniforme. De plus, la plupart des imprimantes professionnelles classiques conviennent à ce support certifié « Cradle-to-Cradle 2 » (« du berceau au berceau »), label mondial de l’économie circulaire.
Un marché prometteur…
En offrant la même résistance et la même étanchéité, le papier de pierre et son épaisseur adaptable se substituent aussi aux emballages jetables et sacs en plastique, qui sont, eux, faits à 100 % de polyéthylène. 80 % de ce plastique pourrait ainsi être éliminé. Mais la matière minérale représente aussi une alternative durable pour les conditionnements multicouches, dont les briques de lait. « Ces matériaux sont particulièrement compliqués à recycler puisqu’il faut séparer le plastique des autres composants comme l’aluminium », commente François Danel, président de l’association Earthwake, dont le but est de revaloriser les déchets de plastique en ressources vertueuses dans les pays émergents.
« Les applications sont énormes, et il en reste encore des dizaines à explorer », se réjouit Yves Heribert, directeur du développement d’Armen Paper, premier des deux importateurs de papier de pierre en France. En un an, la start-up bretonne a rapatrié 200 tonnes de papier de pierre sur l’Hexagone. Un succès qui pousse Armen Paper à imaginer l’installation d’une usine en France d’ici deux ou trois ans. « Des tests ont été faits sur le kaolin [une argile blanche présente en Bretagne], et il convient parfaitement, atteste Yves Heribert. En Picardie, à Arras, le carbonate de calcium est déjà exploité et revendu partout dans le monde. Les résidus de cette activité pourraient également nous servir de base. » Ce système, s’il voit le jour, permettrait de recycler ce papier à l’échelle locale.
… mais controversé
Aujourd’hui, pour qu’une feuille de pierre soit broyée et retransformée en sac, en emballage ou en une autre page, elle doit impérativement faire le voyage jusqu’en Asie, faute de technologie adaptée ailleurs. Car pour l’heure, jeter ce papier minéral dans la benne de collecte du papier rend impossible le recyclage de la matière. « Comment faire savoir aux consommateurs qu’ils n’ont pas entre les mains du papier classique, mais un papier de pierre qu’ils ne peuvent pas recycler normalement ? », s’inquiète Jan le Moux, directeur économie circulaire de Copacel, l’Union Française des Industries des Cartons, Papiers et Cellulose.
Autre point noir montré du doigt par l’industrie papetière : le papier de pierre ne bénéficie pas de la norme ISO 14021, référence internationale permettant de définir la recyclabilité d’un produit. Autrement dit, le recyclage de cette matière minérale ne serait pas assez, pour l’heure, strictement contrôlé.
Enfin, certains revendeurs louent, à tort, la biodégradabilité du papier de pierre. Photosensible, ce matériau se dissoudrait en fine poussière après une exposition de plusieurs mois au soleil. Ce processus faussement écologique laisserait donc des particules de plastique disparaître dans la nature.
Commercialisé à grande échelle depuis six ans seulement, le papier minéral n’en est qu’à ses balbutiements. Pourtant, il parvient déjà à révolutionner l’une des industries les plus vieilles du monde, et pourrait, en prime, remplacer en partie le plastique des sacs et emballages qui finissent trop souvent leur vie dans l’environnement.
1 Le polyéthylène haute densité (ou PEHD) est utilisé notamment dans la fabrication de bouteilles et flacons. Il est l’un des plastiques les plus utilisés pour l’emballage dans l’industrie agro-alimentaire car il ne transmet pas de substances chimiques aux produits consommables. Incinéré dans un réacteur hermétique, le PEHD ne dégage aucun gaz toxique.
2 L’approche circulaire « Cradle-to-Cradle » privilégie l’éco-conception d’un produit en considérant les déchets qu’il génère comme une matière première à exploiter. Tous les composants des produits certifiés sont non toxiques, recyclés et/ou recyclables, et leur fabrication doit afficher une faible consommation en eau et en énergies.
« On ne peut plus produire pour détruire » dans le monde de l’édition
Derrière la pierre et son papier, la philosophie. C’est ce qu’incarne Magali Defleur, fondatrice de l’une des premières maisons d’édition de France à utiliser la feuille minérale. Depuis Marseille, Indi Blue défend une ligne éditoriale fondée sur l’écologie et la spiritualité non religieuse. « Le papier de pierre fait écho à nos valeurs et s’ancre dans une démarche de consommation responsable, détaille la directrice de l’entreprise encore en pleine création. C’est une réflexion globale sur les déchets industriels : qu’est-ce que j’achète et à quelles fins ? »
Ces déchets sont aujourd’hui partie prenante du monde de l’édition. Selon L’Express, un livre sur cinq finit au pilon, une machine qui détruit les ouvrages usés ou invendus avant de les redistribuer aux filières de recyclage. Chaque année, 100 000 livres sont ainsi détruits en France. « Ce processus, rentable pour les intermédiaires, est complètement intégré au business model de l’édition », déplore Magali Defleur qui s’attache à ne faire que des petits tirages, reconductibles selon la demande. « On ne peut plus produire pour détruire, c’est incohérent. »
Pour une production plus responsable, Indi Blue Édition refuse de travailler avec des imprimeries bulgares ou malaisiennes, qui tirent leur coût et leurs préoccupations environnementales vers le bas. Alors, la jeune maison d’édition s’est tournée tout naturellement vers la société hollandaise qui imprime également les fables de Gunter Pauli, elles aussi éditées en France par les éditions Blu. Papier de qualité, toucher lisse et doux, belle reproduction des photos… En plus d’utiliser la feuille de pierre depuis sa commercialisation, l’imprimerie Ecodrukkers privilégie transports électriques, énergies vertes et bio-encres végétales, sans pétrole ni métaux lourds.
Cette sensibilité à la nature sera d’ailleurs l’un des maîtres-mots du premier ouvrage édité par Indi Blue, Visions renversantes d’un éclaireur toltèque. Imprimé sur feuilles de pierre évidemment, l’ouvrage de Paul Degryse, chamane dont l’enseignement vise à rapprocher écologie et spiritualité, devrait être proposé à la vente, en ligne ou en boutique, d’ici la rentrée prochaine au prix de 29,85 euros. Cinq autres projets, à sortir à l’orée de 2019 sont en cours d’élaboration. « Ce n’est pas un produit qu’on met en librairie comme ça, défend la jeune directrice d’Indi Blue. Il faut donner aux lecteurs des explications autour de cette démarche, et surtout, du matériau. »
Bonjour,
Je ne comprend pas bien cet article dithyrambique pour un papier non biodégradable qui va remplacer du papier biodégradable. Le papier de bois consomme effectivement du bois et de l’eau, mais avec une gestion intelligente du bois et de l’eau, ce n’est pas un vrai problème, seul le chlore est un problème, parce que l’on ne veut pas faire autrement. L’oxygène blanchi aussi et ne pollue pas. L’être humain étant un imbécile qui n’apprend pas de ses erreurs, on va avoir un « papier » fait de plastique que l’on va retrouver dans les océans pendant des centaines voire des milliers d’année ! Où est l’intérêt ?
L’impact carbone de ce papier prend-il en compte celui de son transport depuis Taïwan ?
En l’absence de filière de tri spécifique, que ce passera-t-il quand il se retrouvera dans la filière tri du papier habituel ?
Décrit comme « photodégradable », le papier de pierre l’est-il vraiment ? Que deviennent dans ce cas les 20% de plastique le composant ?
Bonjour S T, merci pour votre intérêt à Kaizen.
L’impact carbone exclue en effet le trajet depuis Taïwan.
Actuellement, si le papier de pierre rejoint la filière de tri du papier classique, il finira à l’incinérateur, auquel cas il ne dégagerait aucun gaz toxique, mais ne pourrait pas être réutilisé. Ne pas le recycler est donc un problème mais l’intérêt grandissant de la France autour de ce matériau laisse présager la création d’une filière de tri locale. Dans la mesure où cela a déjà été fait à Taïwan, cela peut être reproduit sur l’Heaxgone. Il faut être patient, le papier de pierre n’est commercialisé que depuis 2012…
Comme vous l’avez remarqué, nous n’avons pas mentionné la photodégradabilité du papier de pierre, puisque l’exposition au soleil ne fait évidemment pas disparaître le plastique, mais le réduit en petites particules. Il vaut mieux donc réutiliser plutôt que de le laisser se dégrader ainsi.
Cordialement,
Solène, de l’équipe Kaizen
Bonjour Nathalie, merci pour vos remarques.
Vous avez raison, le papier de pierre n’est pas biodégradable, mais il se réutilise bien plus de fois que le papier classique, sans ne générer aucun déchet et en consommant bien moins d’énergie. Concernant l’eau, pouvons-nous vraiment parler de gestion « intelligente » lorsque, potable, elle est consommée à foison et souvent imbibée de chlore pour produire un matériau à usage unique ?
Comme vous l’avez compris, il y a du plastique dans le papier de pierre, mais puisqu’il est appelé à évoluer, nous pouvons deviner qu’au fil du temps, ce plastique sera majoritairement issu des filières de recyclage. Alors oui, c’est vrai, le plastique sera toujours là, mais est-ce un mal d’exploiter un déchet déjà existant pour le réutiliser au maximum, au détriment des matières classiques et à usage unique ?
Cordialement,
Solène, de l’équipe Kaizen
Bonjour, Je viens de tomber sur cet article étudiant le papier de pierre et son intérêt. Savez vous s’il y a du nouveau depuis cet article sur des filiaires de recyclage en France pour ce matériau ?