Lundi 9 janvier, à Dax, en parallèle du procès du « faucheur de chaises » Jon Palais, deux mille personnes se sont mobilisées pour organiser celui des banques impliquées dans l’évasion fiscale. Reportage.
Quand la justice est embarrassée, elle n’agit pas autrement. Voilà des semaines que le procureur de la République de Dax, Jean-Luc Puyo, déclare à l’envi qu’il demandera la relaxe, manière, peut-être, d’éteindre la flamme de la mobilisation. Trop tard. Il y a ce pas en avant, volontaire, de Jon Palais, entraînant dans son sillage plusieurs milliers de personnes – au moins deux mille –, à Dax, ce 9 janvier, pour l’accompagner devant les portes du tribunal correctionnel. Et un pas de côté de la BNP, qui, s’étant constituée partie civile, a déposé plainte contre ce « faucheur de chaises », mais ne s’est même pas déplacée pour l’ouverture du procès. Du reste, la quatrième banque mondiale ne réclame plus qu’1 euro symbolique au titre du préjudice subi, contre les cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende encourus, payant cette ambition à la baisse de l’ironie du ministère public.
« Ce n’est pas les faucheurs qu’il faut juger, mais l’évasion fiscale en bande organisée »
Face à cette accusation en recul, la meilleure défense de Jon Palais semble être l’attaque. D’abord parce que le militant, membre de l’association basque altermondialiste Bizi !, n’a jamais caché son intention de profiter de cette tribune pour faire un autre procès, celui de la BNP et de l’évasion fiscale. « On attend deux verdicts : la relaxe pour les chaises et celui de la société civile sur l’évasion fiscale », déclarait Jon Palais, peu avant de pénétrer dans la salle d’audience. Ensuite, parce que son avocate, une certaine Eva Joly, ne pouvant demander mieux que cette « dispense de peine » requise par le procureur, a eu tout le loisir de dérouler sa condamnation d’un système bancaire qui favorise l’évasion fiscale, dossier sur lequel elle s’est illustrée en tant que juge d’instruction et qu’elle continue de porter au Parlement européen en sa qualité de députée Europe écologie les verts (EELV). Enfin, si le procureur a prôné une clémence « de nature à satisfaire la société » et le « mouvement pacifiste et bon enfant » qui réveillait les rues de Dax, les défenseurs de Jon Palais n’avaient aucune raison de ne pas en faire autant en portant devant ses juges les revendications qui grondaient à deux pas du tribunal : « Ce n’est pas les faucheurs qu’il faut juger, mais l’évasion fiscale en bande organisée », entendait-on scandé.
Drôle d’ambiance dans ce tribunal landais, sans doute déjà surpris par l’inhabituelle foule qui, sur plus de 100 mètres, constituait une haie d’honneur pour Jon Palais en clamant, toutes banderoles dehors : « Nous sommes tous faucheurs de chaises ! » Cette auto-inculpation solidaire se faisait devant un déploiement restreint de forces de l’ordre parfaitement détendues. Une indulgence qui prévalait également dans la salle d’audience, où le prévenu était écouté attentivement, où le procureur préférait parler « d’emport » de chaises plutôt que de vol et où il se dit être « le premier à adhérer à la lutte contre l’évasion fiscale », avant de demander une dispense de peine.
Une action non violente légitime
De fait, devant la présidente du tribunal Florence Bouvier, qui n’a jamais cherché à interrompre le prévenu et en oubliait de faire sortir les témoins, Jon Palais a eu tout le loisir d’assumer son acte, que « personne n’a confondu avec un cambriolage », en s’inscrivant dans la tradition des luttes non violentes et en opposant la légalité à la légitimité. Jon Palais a bien participé à la « réquisition citoyenne » de quatorze chaises d’une agence de la BNP à Paris, le 19 octobre 2015. En étayant, il aurait pu expliquer qu’il était de la toute première action des faucheurs de chaises, à Bayonne, en février 2015, après les révélations de l’affaire SwissLeaks, dans une agence HSBC. Cet acte originel a engendré une réaction enthousiaste qui a abouti à la confiscation, par plusieurs mouvements citoyens et organisations comme Attac, ANV-COP21 ou Les Amis de la Terre, de 196 chaises, comme le nombre de participants à la COP21. Sans violence et à visage découvert, pour dénoncer la fuite de capitaux propres à financer une « transition sociale et écologique ». Des chaises finalement restituées aux forces de l’ordre, devant le Palais de justice de Paris, le jour de l’ouverture du procès Cahuzac, le 8 février 2016.
Une intention publique et médiatique qui constitue l’enjeu principal des « faucheurs de chaises » et dont l’apogée fut ce jour-là, à Dax. L’affaire Jon Palais cristallise les revendications nouvelles d’un monde militant à la convergence des préoccupations sociales et écologiques. Et le ras-le-bol naissant d’une partie de la population pour ces « 60 à 80 milliards » d’euros qui manquent à la France en ces temps d’austérité. Le journaliste engagé Antoine Peillon, spécialiste de l’évasion fiscale, cité comme témoin par la défense, résumait devant la cour : « C’est grâce à ces actions qu’il commence à y avoir une prise de conscience. » « L’évasion fiscale, ce n’est pas un problème de riches ou de footballeurs, mais c’est le problème des plus pauvres. Il faut faire progresser cette idée », expliquait Jon Palais à l’imposante masse de journalistes, avant de plonger dans la marée humaine colorée et joyeuse qui allait le porter sur le parvis du tribunal.
Des idées et des solutions à foison
Les restrictions budgétaires, les coupes dans les services publics, les hôpitaux, les crèches, le bio à la cantine, la lutte contre le réchauffement climatique… Dans le marché couvert de la cité thermale, gracieusement mis à disposition par la municipalité, à deux pas du palais de justice, tous ces thèmes ont été évoqués au fil de cette journée riche d’animations, de conférences et de prises de paroles. Dans la matinée, six candidats à la présidentielle, ou leurs représentants, ont donné le ton au cours d’une table ronde sur le thème de l’évasion fiscale en rejetant unanimement le pantouflage et l’étanchéité entre le monde public, la politique, et celui des affaires. Des solutions ont été évoquées comme « renforce[r l]es moyens pour lutter contre la fraude fiscale » (Sandrine Charnoz, représentant Benoît Hamon, PS) et instaurer un « revenu maximum autorisé » (Corinne Morel-Darleux, représentant Jean-Luc Mélenchon, France insoumise). Yannick Jadot (EELV) a proposé de faire « sauter le verrou de Bercy » et de « séparer les banques d’affaires et nationales ». Tout comme Philippe Poutou (NPA), qui vise « le cœur du système » et souhaite « des banques au service de la population » ou comme Pierre Larrouturou (Nouvelle donne) qui voudrait aussi « faire voter une loi transparence », porter le taux d’impôts sur les bénéfices de 25 à 40 % et « modifier le code des marchés publics » de manière à n’autoriser que les prestataires dûment imposés à y participer. En écho, Charlotte Marchandise (candidate citoyenne) favoriserait « l’économie locale dans les marchés publics ».
Une mine d’idées pour les centaines de personnes venues de toute la France prêter main-forte au « faucheur de chaises ». Entre le débat et le cortège coloré, tout le monde se retrouvait dans le vaste espace du carreau des Halles, toutes générations confondues, agitant drapeaux et banderoles, acclamant les comptes rendus à chaud du procès ou huant la BNP au gré des annonces. La foule dense a fini par se fendre en fin d’après-midi pour créer un corridor. C’est une nouvelle fois sous les acclamations et sous le slogan scandé « Nous sommes tous faucheurs de chaises » que Jon Palais est apparu tout sourire, accompagné d’Eva Joly.
David contre Goliath
« Avec des bouts de bambou et des morceaux de carton, nous arrivons à faire trembler la BNP », s’est réjoui Jon Palais. « On fait le contraire de ce que font les banques qui organisent l’évasion fiscale. Elles favorisent l’égoïsme, le chacun pour soi ; elles organisent les inégalités, elles organisent l’injustice à travers le système de l’évasion fiscale. Et nous, notre force, c’est la solidarité, c’est la coopération, c’est l’intelligence collective et c’est l’entraide. […] Maintenant que nous sommes entrés dans l’ère du dérèglement climatique, c’est exactement de cette force dont nous aurons besoin pour relever le défi climatique, pour accueillir tous les migrants qui vont fuir les conflits que provoquera le dérèglement climatique, qui vont se déplacer, parce que ces terres habitables aujourd’hui ne le seront plus demain. Je pense qu’on montre la seule voie dans laquelle nous pourrons survivre dans ce monde que nous avons malheureusement commencé à dérégler. Nous avons encore les moyens d’éviter le pire du changement climatique, c’est avec cette force collective de la coopération et de l’entraide qu’on pourra le faire. »
Sous une pluie d’encouragements, Jon Palais a salué le combat de David contre Goliath dans lequel il semblait le seul poursuivi. « J’ai plutôt l’impression qu’on est des milliers de David contre Goliath. » S’il était besoin de mettre le colosse à terre, Eva Joly a rappelé qu’« une grande partie des bénéfices de la BNP provient de leurs activités dans les paradis fiscaux » et détaillé le pedigree le moins éthique de la banque, entre un prêt au Mozambique ayant servi à l’achat d’armes et des filiales aux îles Caïman. Pas de quoi freiner l’action résolue des faucheurs de chaises contre les banques, d’autant plus si la sentence du tribunal de Dax, qui sera rendue le 23 janvier, est clémente. Un autre jugement en avril à Bar-le-Duc (Meuse), à l’encontre de Florent Compain, président des Amis de la Terre et poursuivi pour le vol de chaises de la BNP, devrait profiter de l’enseignement de ce procès. « La seule qui n’a pas compris que le monde change, c’est la BNP qui a mal utilisé la justice », a affirmé Eva Joly. Avec la demande de cet euro symbolique, la banque française a réalisé un bien mauvais placement.
Par Rémi Rivière
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