Stratégies gagnantes pour territoires durables

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    Michael H. Shuman, co-fondateur de BALLE est économiste, avocat, auteur et entrepreneur. C’est l’un des principaux spécialistes américains de l’économie locale et des atouts des PME à l’ère de la globalisation. Il expose le lien étroit entre prospérité économique soutenable et enracinement de l’activité dans les communautés locales et propose une approche opérationnelle pour reconstruire, à partir de la base, des économies mises à mal.

    Raphaël Souchier : Pourriez-vous nous présenter les différents choix de développement que peuvent effectuer les économies locales ?

    Michaël : Nos travaux nous ont permis d’identifier trois stratégies gagnantes complémentaires pour renforcer la prospérité d’un territoire :

    • développer les emplois dans les entreprises indépendantes possédées et dirigées localement : toutes les études montrent en effet que ces entreprises dépensent beaucoup plus sur place que ne le font celles basées hors de la région
    • accroître la diversité de l’économie locale, et non la spécialiser. Lorsqu’on dépend d’une seule industrie intégrée aux marchés mondiaux, sur lesquels on n’a aucune prise, on est totalement vulnérable à leurs aléas. En servant d’abord la demande locale dans sa diversité, les entreprises du territoire renforcent son terreau humain, technologique et économique. La communauté locale devient plus apte à faire face à l’évolution de ses besoins. Parvenues à maturité, certaines entreprises se tourneront naturellement vers les marchés extérieurs
    • valoriser et multiplier les entreprises atteignant le « Triple Résultat ». Il s’agit d’une manière nouvelle d’évaluer la réussite des entreprises sur trois fronts: financier, social et environnemental. Elle est appelée à remplacer l’ancienne, qui ne mesure que le profit à court terme.

    Raphaël : Vous avez obtenu un réel succès cette année avec l’adoption de deux lois fédérales, l’une portant sur l’accès au capital, l’autre sur la création d’entreprises (JOBS). Les PME devraient donc être plus facilement financées ?

    Michaël : Oui. En principe, les 99% d’Américains pas assez riches pour être des « investisseurs accrédités » pourront participer à l’émission d’actions. Mais le diable se cachant dans les détails, attendons de voir si les futurs règlements d’application favoriseront réellement les PME locales tout en assurant un contrôle pour éviter le détournement de ces lois par les fraudeurs.

    Je voudrais maintenant pousser quelques Etats à créer des bourses de valeur et des fonds d’investissement locaux, comme autrefois. De bons modèles pourraient alors inciter les régulateurs fédéraux à changer les lois actuelles.

    Raphaël : Le Mouvement des Economies Locales a-t-il quelque chose à attendre des prochaines élections ?

    Michaël : Seuls quelques candidats au Congrès ont adopté les idées des économies locales. La majorité reste sur la ligne de la mondialisation économique. Mais nous avons maintenant des alliés dans les deux partis. Nous pouvons ainsi les associer dans des coalitions inédites, comme pour la Loi JOBS.

    Raphaël : Vous avez visité de nombreux pays. Y avez-vous remarqué des initiatives comparables à celle de BALLE ?

    Michaël : Oui, partout. Certaines se consacrent à des secteurs spécifiques (PME énergétiques, entreprises locales de nourriture…), d’autres ont des objectifs plus larges (économie soutenable, justice, solidarité) ou se rassemblent autour de formes particulières d’entreprises (ONG, coopératives). Mais partout le mouvement se renforce.

    Raphaël : Où en sont l’économie sociale et les monnaies complémentaires aux Etats-Unis ?

    Michaël : « L’entrepreneuriat social » est l’un des nombreux sous-groupes que l’on trouve le long du continuum allant des entreprises privées aux ONG. Je pense que tous ces sous-groupes vont dans la bonne direction : moins d’entrepreneurs visent le seul profit, et les travailleurs sociaux sont de moins en moins prêts à renoncer à l’esprit d’entreprise pour financer ou réaliser leur mission. Partout, on innove!

    Aux Etats-Unis, même les meilleurs modèles de monnaies locales – Ithaca Hours, BerkShares…- ne couvrent pas leurs dépenses administratives et pénètrent une infime partie (moins d’1%) de leur économie locale. Pour changer cela, il faudrait que les gouvernements locaux paient une partie des salaires des fonctionnaires et acceptent le règlement des impôts en monnaie locale.

    C’est ainsi que certaines monnaies, aux États-Unis et en Autriche, étaient devenues des moteurs économiques pendant la Grande Dépression. En attendant, d’autres outils (comme les chèques-cadeaux locaux, ou l’ancien Oregon Marketplace, qui mettait en relation l’offre des entreprise de cet Etat et la demande de matériaux, biens et services, sur place ou à l’extérieur) peuvent être plus efficaces pour atteindre les mêmes buts.

    A mon sens la finalité n’est pas de maîtriser l’argent, qui n’est qu’un simple outil, mais de construire des économies locales résilientes et solidaires. Pour ce faire, nous disposons de tous les outils adaptés.

    A l’international nous souhaitons partager des modèles d’affaires viables à petite échelle, pour chaque secteur de l’économie. Cela se fait déjà dans le réseau BALLE. Je rêve (et travaille déjà sur ce projet) de créer un Locapedia planétaire où les meilleures pratiques locales et modèles d’entreprises pourront être échangés. A suivre…

    A lire :

     

    • Raphaël Souchier, « L’après-Wall Street sera local », éditions Actes Sud / Colibris, collection Domaine du possible (janvier 2013)
    • Michael H. Shuman,« Local Dollars, Local Sense. How to shift your money from Wall Street to Main Street », Chelsee Green, 2012

     

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