On parle de plus en plus du poids écrasant de la dette des États. Qu’en est-il en France ? Et pourquoi cette dette existe-t-elle ?
Je ne sais pas si vous y entendez quelque chose. Pour ma part, il m’a fallu un certain temps avant de comprendre comment des pays entiers, la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, les États-Unis, la France, pouvaient se retrouver au bord de la faillite et endettés jusqu’au cou.
Commençons par dresser un état de la situation. En septembre 2013, le montant de la dette publique française (dette brute de l’ensemble des administrations publiques) s’élevait à 1 912 milliards d’euros, soit 93,4% du PIB [1]. Si tous les créanciers du pays venaient frapper à notre porte pour se faire rembourser, chaque Français devrait, en théorie, rembourser environ 29 500 euros.
Pourquoi la dette ?
La première raison est très simple, elle rejoint l’explication d’un découvert sur votre compte en banque : depuis 1975, l’État dépense chaque année plus qu’il ne perçoit. Or, dans le même temps, le budget a explosé, passant de 16,5 milliards de dépenses en 1960 à 1 150 milliards en 2012. Investissements massifs pour la décentralisation et les infrastructures de transport (autoroutes, TGV, aéroports) et de production d’énergie (centrales nucléaires, modernisation du réseau…) ; augmentation massive du nombre de fonctionnaires (+36% depuis 1980) : l’État est un ogre qui demande toujours plus de ressources. Quant aux pertes annuelles, elles suivent le même chemin : 1,2 milliard en 1980, contre 98 milliards en 2012.
La seconde raison est plus complexe : elle est liée à la façon dont l’État refinance son « découvert ». Affublé d’un trou béant sur son compte, il envisage deux solutions pour le combler : augmenter ses recettes ou emprunter à la banque. Lorsqu’il ne peut pas opter pour la première, il met en branle la seconde. Hic, cela coûte cher. De plus en plus cher.
Jusque dans les années 1980, l’État refinançait l’essentiel de ses déficits en empruntant à taux zéro et même parfois à taux négatif. Cette possibilité a été fortement restreinte par la loi Pompidou de 1973 (limitant le droit de se refinancer auprès de la Banque de France), par la fin des accords de Bretton Woods et par la libéralisation financière mondiale de l’économie [2].
Résultat : la France accumule désormais des intérêts étourdissants. En 2012, sur une dette totale de 1 833 milliards, ils s’élevaient à 1 185 milliards d’euros, soit 65% de la dette du pays.
Et c’est ici que le serpent se mord la queue : plus la dette augmente, plus les intérêts pour la rembourser sont élevés et… plus la dette augmente.
En 2011, les recettes de l’impôt sur le revenu (49,2 milliards [3]) ne suffisaient plus à rembourser les seuls intérêts de la dette [4] (52,6 milliards).
La charge de la dette (c’est-à-dire le remboursement annuel) est le premier poste de dépenses de l’État, devant l’enseignement, accaparant 16% du budget.
Pourquoi tant d’intérêts ?
On peut s’interroger sur l’origine de cette spirale infernale du crédit. Pour cela, il faut s’intéresser aux mécanismes de la création monétaire.
Pour qu’une économie soit en équilibre il faut que la quantité de monnaie en circulation soit proportionnelle aux richesses réelles du pays. 15% de la monnaie créée émane des banques centrales, qui mettent en circulation pièces et billets et peuvent les détruire s’il en circule trop.
Les 85% restants proviennent des banques privées, qui créent la monnaie ex-nihilo par le crédit, par une simple procédure informatique qui équilibre la monnaie mise à disposition sur le compte de l’emprunteur avec l’échéancier de remboursement auquel celui-ci s’engage par contrat. Cet argent est détruit au fur et à mesure qu’il est remboursé. Chaque banque est autorisée à créer jusqu’à 6 fois ce qu’elle possède en monnaie réelle sur les comptes de ses clients.
L’essentiel de la monnaie en circulation vient donc du crédit. Or, depuis la loi de 1973 (devenue l’article 123 du traité de Lisbonne), l’État français ne peut plus se financer autant que par le passé auprès de sa banque centrale (aujourd’hui la Banque centrale européenne) pour combler ses déficits. Il se tourne donc essentiellement vers les banques commerciales, tout comme les entreprises et les particuliers.
Cette situation pose deux problèmes principaux :
- Accéder à la monnaie coûte cher. Il faut perpétuellement rembourser des intérêts aux banques.
- Cette monnaie disparaît au fur et à mesure qu’elle est remboursée, obligeant à refaire des crédits pour maintenir la bonne quantité de monnaie en circulation.
Les entreprises commerciales françaises le savent, elles qui totalisent une dette cumulée de 7 000 milliards d’euros. L’endettement des ménages s’élevait pour sa part à 1 156 milliards d’euros fin 2013 : les 1 912 milliards de dette de l’État ne sont qu’une partie du problème…
Nous le voyons, dans un système où il faut perpétuellement soutenir une croissance économique matérielle, le crédit est roi. Et chacun est encouragé à y faire appel. Il permet aux entreprises d’investir, à la puissance publique de développer de nouveaux services, aux ménages de se loger ou de s’équiper.
Quelles conséquences ?
Cette situation a deux retombées : d’une part l’économie est considérablement fragilisée, elle menace de faire sombrer des pays entiers dans la faillite, de voir des millions de personnes se retrouver à la porte de leur logement comme cela s’est passé en Espagne ou aux États-Unis (où le surendettement est toléré, voir encouragé !). D’autre part, l’ensemble des activités humaines est subordonné à leurs créanciers, c’est-à-dire à la seule puissance financière.
La dette est aujourd’hui l’instrument permettant à des organisations financières (banques, FMI…) et à des États de prendre le contrôle d’autres États ou de les installer dans une position de dépendance et de fragilité leur retirant la capacité d’exercer pleinement leur souveraineté. L’exemple de l’Argentine il y a quelques années est édifiant : celui qui tient la dette tient le débiteur entre ses mains.
Les pistes pour s’en sortir semblent aller dans le sens d’une autonomie de l’économie accrue vis-à-vis de la finance. Les banques sont utiles, mais elles n’ont pas vocation à contrôler le monde. Il faut d’urgence libérer la capacité de création monétaire pour la rendre à des puissances publiques élues et contrôlables démocratiquement (États, collectivités, coopératives…) et réduire notre dépendance à l’argent.
Par Cyril Dion
Extrait de la rubrique Désenfumage de Kaizen 14.
[1] Insee
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J’ai bien aimé l’article jusqu’au dernier paragraphe, dernier paragraphe exclu. Votre dernier paragraphe « Quelles conséquences ? » n’est qu’un pamphlet contre les banques. Rien de plus. Je ne suis pas un ardent défenseur des banques qui ne me déverse pas d’intérêt sur le solde positif de mon compte courant et qui me facture des agios lorsque je suis à découvert.
Supposez que vous gagner 2000 € par mois mais que vous dépensez 3000 €. Ce n’est pas la suppression des banques qui va régler votre problème.
Pour régler votre problème, il faudrait soit gagner plus soit dépenser moins.
Pour les Etats, gagner plus signifie plus de prélèvements. dépenser moins signifie plus d’austérité. Supprimer les banques n’aidera pas les états déficitaires.
Tu-Anh.