Imaginez une contrée où les appareils abimés seraient réparés et non plus jetés… Lampes, climatiseurs, Ipod, ordinateurs, rien n’échappe à l’ingéniosité du « Fixers Collective » de New York.
Une fois par mois, Le Fixers Collective, une équipe de bénévoles, lutte contre l’obsolescence programmée en réparant les objets défectueux des habitants du coin. Ceux-ci sont invités à prendre part à la réfection et les réparateurs partagent leur savoir-faire. Le collectif est né en 2008 grâce à l’exposition « Raccommodage » : la petite galerie Proteus Gowanus à Brooklyn présente une session de réparations d’objets qui séduira tant qu’elle deviendra permanente. Aujourd’hui encore, la galerie les accueille régulièrement en résidence.
Joe, technicien de laboratoire à la retraite, a gardé le goût de la transmission. « Les gens sont intimidés par la technologie, on est là pour leur donner des clés. Peu à peu, ils deviennent autonomes, parce qu’ils acquièrent des connaissances et davantage de confiance. C’est un processus valorisant, pour eux comme pour nous. » John poursuit : « Aujourd’hui, on paye pour tout. Vous voulez apprendre la cuisine ou la poterie ? Présentez les dollars. Je me demande pourquoi il n’y a pas plus de systèmes d’échange de connaissances comme le nôtre. » Une vidéo postée en 2008 sur le site de collecte Kickstarter a permis au collectif de récolter 6000 dollars pour acheter des outils. Depuis, il n’y est plus question d’argent mais de plaisir et de passion.
La seconde vie du crocodile
Alexandra surgit portant un crocodile empaillé dans les bras. Le reptile a perdu une patte lors d’un déménagement. Elle aimerait pouvoir le montrer tout en cachant ce défaut. Les réparateurs conçoivent la valeur sentimentale de l’objet. Ils conviennent que le mieux serait de fixer le crocodile sur un support et de camoufler la patte dans de fausses herbes. « Je suis très manuelle, confie Alexandra qui vient ce soir pour la troisième fois. Je vais essayer de le faire chez moi. Ici l’équipe trouve toujours des solutions. Et puis j’adore venir rencontrer des gens qui partagent mes centres d’intérêt. » Elle passera là le reste de la soirée, discutant et mettant la main à la pâte quand elle le peut.
Rela, quant à elle, apporte dans son panier un tourne-disque millésimé 1961. Une première rencontre pour cette dame âgée, qui apprécie « l’ambiance amicale et encourageante » du collectif. Bien qu’elle ne soit pas foncièrement bricoleuse, elle en apprend beaucoup sur son tourne-disque ce soir-là en aidant Joe. « Quand j’étais jeune, se souvient-elle, il y avait des gens dans le quartier qui savaient tout réparer. Ils faisaient ça en plus de leur travail contre une petite pièce ou un panier de légumes. Maintenant ça coûte si cher de faire réparer qu’on préfère jeter et acheter du neuf. Ça n’a pas de sens. »
Réparer plus pour jeter moins
Au mépris de l’environnement, les industriels privilégient les matériaux à bas coût et à durée de vie très limitée. Ils ne fournissent pas de pièces détachées et ne cessent de modifier leurs produits, poussant le consommateur à l’achat. C’est le fondement de l’obsolescence programmée. Vincent le déplore : « Les entreprises se disent responsables parce qu’elles recyclent une partie des composants. Mais la réutilisation n’est jamais envisagée. Nous voulons changer cette façon de penser. »
En effet, le Fixers Collective est capable de réparer toutes sortes d’objets, remplaçant un composant défectueux par un autre issu d’un appareil semblable (ils stockent des milliers de composants à cet effet), changeant souvent simplement une batterie, inventant des solutions au cas par cas. Ils ont ainsi remis en état de marche plusieurs eBooks à l’aide d’embouts en caoutchouc, ou encore de nombreux MacBooks et Iphones dont ils passent le circuit BGA (circuit imprimé) au four après en avoir protégé certaines parties avec de l’aluminium et de la Patafix…
Pour André, venu avec son fils pour lui communiquer sa passion du bricolage, le problème majeur de l’obsolescence programmée est culturel. « Les utilisateurs ne sachant plus réparer, ils sont incapables de choisir des objets durables lorsqu’ils achètent. Exemple inverse, si le design des tracteurs a très peu évolué depuis des années, c’est parce que la plupart des agriculteurs les réparent eux-mêmes. Ils n’ont jamais acheté de machines qu’ils ne sauraient pas réparer, ou des modèles qu’ils savaient n’être pas faits pour durer. Si les gens étaient plus avertis, ils pourraient collectivement faire pression sur les entreprises. »