La Ferme du bonheur : quand l’agri-culture revient en ville

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    Depuis sa création il y a 24 ans, la Ferme du bonheur, installée sur une ancienne friche de 2500 m², est devenue une institution de la vie associative et culturelle à Nanterre dans les Hauts-de-Seine. Un lieu atypique d’évasion, de rencontres et de liberté, qui repense la ville et l’agriculture à deux pas du RER. 

    « C’est marrant mais quand on bosse, on n’entend pas du tout le RER. On se croirait vraiment au bled ! » Torse nu, lunettes de soleil pendant autour du cou, Roger des Près, le créateur de la Ferme du bonheur, regarde s’éloigner la file de wagons. Pour les citadins, le bled, c’est la campagne. Et à la vue de la végétation luxuriante qui nous entoure, il est difficile de croire que nous sommes en plein Nanterre, au nord des Hauts-de-Seine (92), juste derrière le RER A et l’Université Paris X. Seules les tours et les grues de chantier, qui dépassent derrière les arbres, nous convainquent qu’au-delà cette bulle de tranquillité, c’est bien la ville.

    Sur sa chaise de jardin un peu rouillée, Roger des Près mange une tartine au miel. « Fait maison ! », dit-il au groupe assis près de lui, qui prend son goûter à l’ombre du soleil. Comme tous les dimanches après-midi, des travaux « d’agro-poésie » – métaphore pour nommer le défrichage et le nettoyage – sont organisés au P.R.E., le « Parc Rural Expérimental » comme l’a baptisé l’artiste des Près. Situé à dix minutes à pied de la Ferme, les 4 hectares du P.R.E. représentent la dernière friche sauvage du projet urbain qui poursuit l’Axe historique du Louvre à la Défense. L’association en a pris autorité « comprenez responsabilité – commune, spontanée et libre » en 2008, détaille Roger des Près. Depuis, le travail de défrichage ne s’est jamais arrêté : mauvaises herbes et ronces arrachées, arbres plantés, déchets en tout genre (verres, seringues, batteries, plastiques, etc.).

    Dépolluer les sols

    Désormais, le P.R.E., avec ses allées, ses petits murets en pierre sèche, ses ruches et ses plantations diverses a des allures de clairière verdoyante ! Un lieu qui tranche (et repose !) avec la densité environnante. « C’est incroyable comme, d’année en année, ça pousse ! », s’enthousiasme l’initiateur des lieux. Des végétaux et des animaux classés ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique) qui avait disparu de la région y ont même fait leur grand retour, tels que le Tyria jacobaeae, un papillon rouge et noir. Mais le P.R.E. est aussi un lieu d’apprentissage, notamment pour dépolluer les sols. « On nous dit de faire du hors-sol, je dis qu’il est temps d’apprendre à nettoyer », tranche Roger des Prés.

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    Roger des Prés en plein effort au P.R.E. © Laure Hänggi

    Ce dimanche, les volontaires venus prendre part aux travaux « d’agro-poésie » se comptent sur le doigt de la main, principalement des habitués. Ils sont répartis, selon un planning établi en amont, sur deux chantiers : le défrichage du plateau des acacias, au fond du P.R.E. et la finition des sentiers dans le « conservatoire des blés anciens » à l’entrée. Au milieu de l’échiquier des pousses de blé, Siham, 31 ans, est venue de Sartrouville et débroussaille les allées à la faux. C’est la première fois qu’elle vient, « pour être plus proche de la nature et donner un coup de main, afin d’encourager les petites fermes locales. » L’herbe arrachée sera donnée aux moutons, que l’on peut voir transhumer dans les allées du campus de l’université. À ses côtés, Niels, 19 ans, la conseille et la guide. Lui, vient depuis trois mois. Ce volontaire européen originaire de la campagne allemande a été convaincu par ce projet « qui prône le travail manuel et replace la simplicité au cœur de la ville ».

    Un théâtre au milieu de la Ferme

    Des travaux manuels, oui, mais la Ferme est aussi un lieu d’expression artistique. Le 19 juin dernier, le metteur en scène Pierre-Vincent Chapus présentait sa dernière création théâtrale. Le fruit de trois semaines de travail en collaboration avec le plan local d’insertion (PLI), la Maison de la Solidarité et le Club Emploi de Gennevilliers. L’artiste qui collabore avec la Ferme depuis huit ans, travaille régulièrement avec des acteurs non-professionnels. « Il y a un risque mais je préfère trouver de la vie plutôt que de la perfection. »

    Une démarche salutaire pour Idder, Ikrame, Sahima, Lyla et Frédéric, les acteurs et actrices de cette pièce tirée du chant V de L’Odyssée d’Homère, que le chômage a isolé. Au milieu d’une musique disco et des cris du cochon, dont l’enclos est juste en face du Favela théâtre de la ferme, ils jouent. Une véritable libération. « Avant, j’étais timide, je bégayais quand je ne connaissais pas les gens. Je ne sortais que pour aller à pôle-emploi », explique Lyla, 53 ans, avant d’ajouter fièrement qu’on lui a toujours dit qu’elle ferait du théâtre. Une vraie « bouffée d’oxygène » pour Ikrame, 46 ans, professeure de lycée pendant 21 ans, qui s’est retrouvée au chômage suite à une maternité sur le tard. « Je venais de m’inscrire au PLI, j’ai failli passer à côté de quelque chose de merveilleux ! » « Ça nous fait plaisir, ça nous permet de nous évader », conclut Idder, 63 ans.

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    Sahima, Lyla, Ikrame, Idder et Frédéric, après la pièce, dans le Favela Théâtre de la Ferme du Bonheur © Laure Hänggi

    Depuis 2003, la ville de Nanterre prévoit de relocaliser la Ferme sur ce qui est devenu le P.R.E. « En échange de ce que l’on perdra, je veux affirmer tout ce que l’on a testé », confie Roger des Prés. Il explique vouloir construire sur la friche un hameau, où serait recréé un bocage avec des prés et des arbres nourriciers. Seraient également présents un théâtre, un bar, des gîtes ruraux et des ateliers d’artisanat naturel. Un véritable « corridor écologique » – et symbolique – installé juste au-dessus de l’échangeur entre l’A14 et l’A86, le plus grand d’Europe. « Ce sera sûrement le travail d’une vie, admet Roger des Prés. Mais la vie, c’est le mouvement, le changement, la révolution permanente ! »

     

    Par Laure Hängg


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    2 Commentaires

    1. Merci pour cet article qui fait découvrir un lieu extraordinaire… j’ai eu la chance d’y aller quelques jours, c’est magique et le travail mené par Roger et sa bande est stupéfiant

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