Pour favoriser une gouvernance harmonieuse de leurs oasis, les groupes utilisent des outils nés dans les années 1970, comme la sociocratie et la Communication NonViolente.
Vous avez dit « gouvernance sociocratique » ? De nombreuses oasis se réfèrent aujourd’hui à cette pratique héritée du pédagogue néerlandais Kees Boeke (1884-1966) pour réguler le pouvoir et favoriser l’intégration de tous. Les membres d’Éco-logis Strasbourg Neudorf ont acquis une véritable expertise dans son application au pilotage de projets d’habitats partagés. « C’est une méthode idéale pour des groupes supérieurs à quinze membres. Elle
s’est révélée extrêmement productive en matière d’économie de temps, de gestion des ego, de circulation de la parole, etc. », s’enthousiasme l’une des membres d’Éco-logis Strasbourg Neudorf. Concrètement, l’efficacité de leurs réunions a été améliorée en nommant à chaque fois cinq animateurs : un facilitateur, un secrétaire, un gardien du temps, un distributeur de parole et un « scrutateur » de sensations. Les assemblées démarraient aussi par dix minutes d’humeur pour encourager les participants à exprimer leurs émotions sans que cela empiète sur l’ordre du jour. « Dix minutes à la fin permettaient à ceux qui ne s’étaient pas exprimés de prendre la parole. ».
Impliquer tous les habitants dans les prises de décision
La prise de décision par consentement est l’un des piliers de la gouvernance sociocratique. Elle se distingue du vote qui peut induire des frustrations – la majorité l’emporte –, mais aussi du consensus – accord de tous –, qui implique un schéma binaire « pour ou contre », potentiellement conflictuel. En résumé, le consentement suppose d’accepter qu’une chose se fasse sans rien avoir à dire – « Je peux vivre avec. » – ou, dans le cas contraire, de soulever une objection argumentée. Dans le Tarn-et-Garonne, les occupants de l’Écohameau de Verfeil-sur-Seye l’ont adopté pour coopter de nouvelles familles, après avoir expérimenté un système de droit de veto source de malaise au sein du groupe. Toutefois, certaines oasis continuent de privilégier le vote sans que cela nuise à leur bon fonctionnement. « Il y a des moments où il est nécessaire d’acter une décision, sinon rien ne se fait. Cela peut prendre la forme d’un vote sur l’affectation du budget de la copropriété », souligne Henri Morinière, de Couleur d’orange, un habitat participatif de onze logements à Montreuil. « L’implication de tous les habitants dans les prises de décision demeure essentielle », insiste Estelle Pianet. Toutefois, cet engagement fort n’est pas toujours facile à maintenir dans la durée. Au Lavoir du Buisson Saint-Louis, un habitat partagé créé en 1984 dans Paris intra-muros, Michel Ricard souligne qu’« avec le temps, le principe de délégation pour les prises de décision s’est renforcé : un tiers des habitants font aujourd’hui tourner la maison. » Une forme de consentement peut-être un peu élargi ? D’autant que le Lavoir du Buisson Saint-Louis ne semble pas avoir perdu son âme participative.
Communication NonViolente
Ultime pilier de la gouvernance des oasis, la Communication NonViolente ou CNV s’est imposée comme un recours pour la résolution des conflits – qui ne manquent pas de survenir dans toute aventure collective. Cette méthode a montré son utilité dans les grands et dans les petits projets, à l’image d’Écossigny, en Seine-et-Marne. Pour Éric Favre, l’un des habitants, la CNV a permis de transformer un conflit latent entre sa famille et un autre foyer en dialogue bienveillant. « Les travaux de charpente et d’isolation bois ont été des moments intenses, avec beaucoup de monde sur notre chantier participatif. C’était difficile, la tension est montée d’un cran. Nous avons sollicité l’aide d’une personne sensibilisée à la CNV dans notre réseau associatif. En l’espace de quatre réunions, il a mis nos deux familles en situation de parler en se focalisant sur nos besoins, nos ressentis. »
Sociocratie
La sociocratie est avant tout la mise en application de quatre principes permettant une bonne répartition du pouvoir :
1. Le cercle comme lieu de partage du pouvoir sur le principe de l’équivalence.
2. Le consentement comme méthode de prise de décision.
3. Le double lien comme instrument de communication entre les différents cercles.
4. L’élection sans candidat pour affecter les membres d’un groupe à leurs fonctions.
Communication NonViolente
La Communication NonViolente (CNV) vise à substituer le dialogue au conflit, que ce soit en entreprise, en milieu scolaire, associatif ou dans le cadre familial. Développée par le psychologue américain Marshall Rosenberg à partir des travaux du clinicien Carl Rogers (1902-1987), cette méthode verbale s’inspire également de la philosophie de Gandhi. Elle repose sur l’application de quatre principes fondamentaux : observer chaque situation sans juger, apprendre à traduire son propre ressenti, exprimer ses besoins et formuler ce qu’on attend de l’autre.
Par Philippe Bohlinger
Aller plus loin :
Centre français de sociocratie : www.sociocratie-france.fr
Site francophone de la CNV : www.nvc-europe.org
Gilles Charest, La Démocratie se meurt, vive la sociocratie !, Esserci edizioni, 2007
Marshall Rosenberg, Clés pour un monde meilleur, Communication NonViolente et changement social, Éditions Jouvence, 2009
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