Thich Nhat Hanh : « Le bonheur est possible avec une vie simple »

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     « Lâcher-prise », « pleine conscience » et « impermanence » sont des concepts que prône le maître bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh, fondateur du monastère du village des Pruniers, près de Bergerac. Retour sur une rencontre exceptionnelle avec ce grand sage.

    À 88 ans, le vieux sage a traversé de rudes épreuves. Jeune moine pendant la guerre d’Indochine puis pendant celle du Vietnam, il est l’un des fondateurs du « bouddhisme engagé » à travers l’École de la jeunesse pour le service social, qui avait pour but de venir en aide aux habitants terrorisés par les bombes et les agressions. Il s’agissait pour Thich Nhat Hanh et ses compagnons de s’intégrer à la vie d’un village et de proposer un fonctionnement en autogestion collective. Ils n’hésitaient pas également à traverser un champ de bataille pour convaincre les belligérants d’accepter un cessez-le-feu. Malgré leur neutralité et leur engagement en faveur de la paix, beaucoup de moines ont été exécutés. En 1966, banni de son pays pour avoir demandé à des chefs d’État d’intervenir pour un règlement pacifiste du conflit, Thich Nhat Hanh trouve refuge en France et fonde le village des Pruniers en 1982. Le Hameau du Haut – l’un des trois « sites » principaux de ce monastère avec le Hameau du Bas et le Hameau Nouveau – est habité par des moines au visage rieur, et fréquenté par des familles venues du monde entier.

    Selon vous, la conscience de l’impermanence nous permet d’aimer l’autre, de nous sentir interdépendants les uns des autres…

    C’est vrai. [Il rit et se tait. Nous buvons un thé en silence.]

    Quand je bois le thé, je ne bois que le thé, et pas les idées, car le thé est une vérité merveilleuse, et moi aussi je suis une réalité merveilleuse. Je suis là, en contact avec le thé ; ces deux merveilles se rencontrent : la vie est là, l’amour aussi, la paix aussi. Si je sais comment boire mon thé, je suis vraiment présent et le thé devient réel, non plus un fantôme. Alors vous savez comment vous préserver, préserver le thé, préserver la planète. C’est l’amour, la pleine conscience, la liberté. Si vous êtes emporté par l’anxiété, la peur, la colère, vous n’êtes pas libre pour boire votre thé. Alors vous inspirez, vous ramenez votre esprit à votre corps, et vous savez que vous avez un corps merveilleux. Votre corps et votre esprit sont en harmonie, vous êtes en contact profond avec vous et autour de vous. Ce n’est pas une théorie ni une philosophie, c’est une pratique. Vous pouvez chérir cette vie : alors vous savez comment protéger votre vie et celle des autres. La liberté, la fraternité, la joie, naissent de la pleine conscience.

    [Il respire un instant et reprend.]

    L’impermanence : tout change. C’est très important. Sans impermanence, pas de vie. La graine de maïs peut devenir un épi de maïs. Vous pouvez transformer, guérir. Si les choses restent telles quelles, alors il n’y a pas d’espoir. L’impermanence est positive ! Tout est possible ainsi ! Avec cette conscience, vous savez que vous allez mourir, que la personne que vous aimez va mourir aussi. Vous pouvez chérir le moment présent et faire ce que vous pouvez pour rendre l’autre heureux maintenant. L’impermanence est une vision profonde de la vie. Prenez le temps de regarder en profondeur. Même si on meurt un jour, on ne disparaît pas. Ce n’est pas possible de mourir. Le nuage devient pluie ou neige ; il ne meurt pas. C’est vrai pour nous tous. Avec cette vision, vous êtes libre de la peur et vous pouvez vivre joyeusement, avec plus de compassion. Quand on souffre moins, on commence à générer une sensation de joie et de bonheur pour se nourrir, se guérir ; on sait comment prendre soin de notre souffrance. Si on apprend à souffrir, on souffre beaucoup moins ! [Il rit.] L’art de la souffrance…

    Les militants écologistes se battent contre de nombreuses pollutions. Devraient-ils accepter les choses comme impermanentes ?

    Avec la pleine conscience, on peut consommer de manière à préserver la planète et l’environnement. Le bonheur ne vient pas de la consommation et de l’argent, mais de la compréhension et de l’amour. La consommation irréfléchie peut détruire le corps et l’esprit. Avec la pleine conscience, on sait ce que l’on peut consommer ou non, ainsi on peut préserver sa santé et celle de la planète, sans combattre. On vit sa vie de manière non violente, avec compassion. Les autres vont faire de même si on est un exemple, si on les aide à quitter leur style de vie pour en adopter un plus sain.

    Les pollutions de notre esprit, la peur, la haine, ont-elles un lien direct avec la pollution de notre planète?

    On peut polluer avec nos idées, nos sentiments, nos paroles, nos actes. Si on ressent de la haine, de la violence, de la peur, de la discrimination, on se pollue soi-même et on pollue le monde. Si on pratique la pensée, la parole et l’action justes, on ne pollue plus, on commence à se guérir et à aider le monde à guérir. La pensée juste est faite de compréhension et de compassion, sans haine ni discrimination. Nous pouvons produire de telles pensées chaque jour. Quand vous parlez, soyez certain que ce que vous dites ne pollue ni vous-même, ni le monde. Ayez une parole douce, juste, aimante, plusieurs fois chaque jour. Et puis l’action ! Vos actions peuvent protéger, sauver, guérir. Sans cette pratique, pas de joie ni de paix… Je veux aider le monde à souffrir moins. Je dois m’y entraîner. J’apprends à gérer ma peur, ma colère, mon désespoir. J’apprends aussi à gérer ma joie pour m’en nourrir et guérir mes compagnons. C’est très concret, c’est de la vie quotidienne.

    Mais le bonheur est-il possible, en voyant toute cette souffrance dans le monde ?

    Le bonheur est possible même si la souffrance existe. Autour de vous, vous voyez des forêts détruites, mais vous voyez aussi des arbres vigoureux, beaux, alors vous pouvez vous réjouir de la présence de ces arbres-là, et avec cette joie vous aurez assez d’énergie pour empêcher la destruction des autres arbres. Il faut de la joie pour aider le monde. Dans la vie quotidienne, on apprend à créer de la joie et du bonheur pour avoir assez d’énergie pour empêcher la destruction de l’environnement et aider les autres à souffrir moins. Je vous ai dit qu’il fallait apprendre à souffrir pour moins souffrir. Vous pouvez reconnaître et embrasser la souffrance, afin de trouver le soulagement. Comme le lotus naît de la boue, vous utilisez la souffrance pour créer la compassion, la paix et l’amour.

    [Des moniales entrent et déposent au sol des plateaux chargés de petits bols de légumes cuisinés.]

    Les jeunes doivent apprendre à vivre simplement. Le bonheur est possible avec une vie simple, une consommation réduite. Ici, chez les moines et les moniales, personne n’a une maison individuelle, personne n’a un compte en banque personnel, ni une voiture, ni un portable. Nous consommons mieux mais moins. On peut bâtir des communautés où l’on vit simplement, dans la fraternité, l’estime de soi et la joie.

    Par Carole Testa

    Article tiré de Kaizen 16, 2014


    Pour aller plus loin

    Thich Nhat Hahn, une vie en pleine conscience, Bernard Baudouin, Céline Chadelat (Presses du Chatelêt, 2016)

    Trois ouvrages de Thich Nhat Hanh :

    Esprit d’amour, esprit de paix (JC Lattès, 2006)

    Vivre en pleine conscience, Paix et joie dans les tribulations de la vie, (Ed Terre du Ciel, 2000)

    Ce monde est tout ce que nous avons (Le Courrier du livre, 2010) 


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