Une journée solidaire dans une communauté Emmaüs

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    Ça me regarde organise des séminaires et des RTT solidaires auprès d’une cinquantaine d’associations spécialisées dans la précarité ou l’environnement. Sous la houlette de cette Scop, Kaizen s’est immergé dans la communauté Emmaüs Liberté à Ivry-sur-Seine (94) le temps d’une journée solidaire.

    « Partir à la découverte des autres et de soi », telle est l’invitation au voyage que je reçois dans ma boîte e-mails. À la lecture de ces mots inspirants, je m’inscris. Et, par un froid matin de décembre au ciel plombé de particules fines, je délaisse mon vélo pour m’engouffrer dans le métro. Cap sur la communauté Emmaüs Liberté à Ivry-sur-Seine (94). À 9 heures, m’accueillent Franck Leton, coresponsable de cette communauté, et Arnaud Fimat, cofondateur de la Scop Ça me regarde. Quatre autres personnes sont du voyage. « L’idée, nous expliquent-ils autour d’un café noir, est de s’immerger dans la communauté Emmaüs. C’est par le travail que la rencontre avec les Compagnons, qui sont des acteurs et non des bénéficiaires, va se faire. Ils sont 45, et 26 nationalités se côtoient. Beaucoup ont connu la rue. La clef de cette journée : ne rien en attendre. Simplement vivre le moment présent. » Vaste chantier, même au nom de la solidarité !

    Immersion dans le bric-à-brac de la boutique

    M’efforçant de mettre en sourdine la petite voix qui, en boucle dans ma tête, rumine le passé et se projette dans l’avenir, je m’ancre dans le présent au milieu d’un poétique bric-à-brac. Me voici dans la boutique Emmaüs sur laquelle veille Ali, « mon » Compagnon pour la matinée. Vite ! Les clients, de plus en plus nombreux, se pressent devant le vaste entrepôt. Il faut ranger de la vaisselle, rassembler des tableaux, balayer des débris de verre, mettre des bibelots sur les étagères, réassortir des lampes… Ouf ! Il est 10 heures. Ouverture des portes. Une foule de points d’interrogation déferle : « Où sont les décorations de Noël ? », « Vous auriez des objets des années 1920 ? C’est pour une pièce de théâtre. », « Magnifique, ce service ! D’où ça vient ? De l’hôtel de Vendôme ? Oh ! C’est chic. Je vais en faire des cadeaux ! », « Combien coûte cette lampe ? » Emmitouflé dans un blouson d’hiver, chauffage d’appoint à ses pieds, Ali égrène les prix, serrés comme le café du matin. Je l’aide à emballer les articles dans du papier journal, tout en engageant la conversation. 12 heures ! Je n’ai pas vu le temps passer. C’est l’heure de déjeuner.

    journée solidaire
    Le responsable du rayon livres connait les habitués et leur besoins. Il lui arrive de mettre des livres de coté pour certains d’entre eux. © Ça Me Regarde

    Des séminaires et des RTT solidaires

    Pour donner le goût des autres, le repas est partagé. Du fumet de soupe monte des cuisines jusqu’à la barbe blanche de l’abbé Pierre dont le portrait surplombe la salle commune. Le fondateur du mouvement Emmaüs, qui a passé sa vie à demander aux sans-rien « de l’aider à aider les autres », est présent dans tous les esprits. Comme celui d’Ali, mon Compagnon, cette fois, de table. Tout en mangeant, il me montre, sur son téléphone, les montagnes vertigineuses du Pakistan, son pays d’origine. Je nous fais atterrir sur le plancher des vaches en lui parlant de la Bretagne, ma région d’origine ! Après le dessert, je retrouve Franck Leton, Arnaud Fimat et les quatre autres « voyageurs ».

    L’occasion de nous dessiller les yeux sur Ça me regarde. Cette Scop propose des séminaires et des RTT solidaires. Comment ? En mettant en relation, dans toute la France, les RH des entreprises avec une cinquantaine d’associations engagées dans la lutte contre la précarité ou la protection de l’environnement. Fini le Lido ou le karting pour renforcer la cohésion d’équipe. « De leur côté, précise Arnaud Fimat, les associations bénéficient gratuitement de la puissance de feu des bénévoles qui débarquent parfois à une centaine pour la journée. Au-delà, l’objectif est de se reconnecter, non seulement les uns aux autres, mais aussi avec soi. » Et de citer l’exemple d’un participant qui avait pris conscience, en triant les vêtements issus d’une pile qui n’arrêtait pas de grimper, qu’il fallait qu’il lâche prise devant sa pile de… courriels !

    Des valises de vie au centre de tri

    Moi aussi, des piles m’attendent : celles des objets qui arrivent au centre de tri. À 14 heures, j’y rejoins un autre Compagnon, Andrzej. Une forte poignée de main se referme autour de la mienne. Sur son visage, les sillages creusés par une vie d’errance. Avec son accent qui me transporte dans les pays de l’Est, il m’indique les cartons à déballer et les bacs dans lesquels transiteront les articles : tout-venant, ferraille, livres, appareils électroménagers, jouets, tissus, déchets, etc. Pendant deux heures, nous faisons le tri dans un silence ponctué d’émotions devant deux valises rétro qui renferment une paire de gants en dentelle, des photos jaunies, un collier de perles… Le voyage de toute une vie.

    16 heures : c’est la pause ! On termine la journée par un compte rendu et un rituel qui consiste à donner une citation résumant notre expérience. Cette journée m’aura permis de ressentir sur le terrain que tout est interdépendant. Je me suis ainsi reliée à moi, aux autres venus d’un ailleurs et à la nature que l’on détruit pour emmagasiner des biens matériels qui finissent en piles chez Emmaüs. Alors, je choisis le poète antillais Édouard Glissant : « Agis en ton lieu, pense avec le monde. »

    Par Aude Raux


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