Entre 6 ans et 12 ans, l’enfant vit une période de croissance physique intense, mais régulière, qui cache des évolutions profondes : la naissance du sens moral et la construction d’une identité autonome et de l’image du corps. Des changements que les parents peuvent accompagner en douceur.
Après avoir dépassé le complexe d’Œdipe – il sait désormais qu’une relation physique avec son parent du sexe opposé est impossible –, et avant l’adolescence, l’enfant traverse une période entre 6 et 12 ans où ses pulsions sexuelles se font plus discrètes. Freud parle de période de latence. Derrière ce calme, qui n’est qu’apparent, l’enfant construit sa personnalité, se rend disponible pour des relations affectives, découvre le collectif et se passionne surtout pour les apprentissages ! C’est la période-clef pour la lecture, les langues, les mathématiques, les premières notions de science, d’histoire et de géographie. Il s’intéresse, au-delà de ce qu’il vit au quotidien, aux choses et aux personnes plus lointaines. Préparez-vous à répondre à mille « pourquoi ? », des plus concrets – Pourquoi doit-on arroser les tomates ? Comment fait le bébé pour rentrer dans le ventre de la maman ? – aux plus symboliques – Pourquoi Mamie est morte ? Comment font les enfants qui n’ont pas de parents ? Car la réflexion explore à cet âge de nouveaux champs. On parlait jadis du fameux « âge de raison », autour de 7 ans, considéré comme le début de l’attitude raisonnable qui caractérise l’âge adulte. Cette nouvelle période est caractérisée par la naissance du sens moral. L’enfant est alors capable de comprendre la notion de bien et de mal, de juste et d’injuste, au-delà des conséquences que cela peut avoir sur sa stricte personne – être puni ou disputé. De même, il est désormais capable de faire la différence entre son imaginaire et la réalité, et donc entre la vérité et le mensonge – vers 8 ou 9 ans. Ce qui signifie qu’il peut mentir sciemment. Parfois pour de mauvaises raisons, mais aussi pour ne pas blesser les autres ou pour s’intégrer socialement. Cela signifie également la fin de la « pensée magique » et des personnages imaginaires. Le père Noël, la Petite souris et le monstre sous le lit vont être progressivement relégués au rang de l’imaginaire justement.
Des exercices physiques variés pour l’aider à se construire
Selon Rudolf Steiner, l’enfant fait l’expérience d’être séparé du monde vers 9 ans. Cette « crise du Rubicon » peut se traduire par des angoisses, une profonde tristesse, un retrait ou un besoin d’isolement ; parfois, aussi, par un nouveau rapport à l’autorité. L’enfant quitte en partie l’enfance. Pour l’aider à aller chercher de nouvelles forces intérieures, on peut lui proposer des activités de construction et des histoires ou légendes qui parlent également de reconstruction.
Pour autant, le corps des enfants, en croissance régulière sur toute la période, nécessite une grande attention. « Mon conseil ? Ne pas oublier le corps. Entre 6 et 12 ans, il n’y a pas que les apprentissages, indique Anne Auvé, psychomotricienne et auteur du blog journalpsychomotricienne.fr. À partir de 6 ans, tous les apprentissages innés sont en place. Les enfants peuvent organiser leur corps dans le temps et dans l’espace. Ils sont également capables d’organiser un raisonnement. Ils peuvent même percevoir leur corps sans avoir besoin de le mettre en mouvement. Tout est prêt pour commencer des activités physiques. » Toute expérience est bonne à prendre : selon l’envie de l’enfant et son besoin d’exercice – oui, tous les enfants n’ont pas les mêmes besoins moteurs –, vous pouvez lui proposer plusieurs séances de sport par semaine, si possible des sports différents. Mais, définir une limite reste arbitraire. « Bien sûr, faire passer la performance avant le plaisir, c’est une mauvaise idée. L’autre risque du sport à outrance pour le développement de l’enfant, c’est que ce dernier se spécialise dans une seule discipline. Mais, tant que les activités sont variées et que l’enfant est heureux, vous pouvez y aller », poursuit Anne. Pas de règles, donc, quant au choix des activités. Et d’ailleurs, il n’y a pas que les activités cadrées qui contribuent à un développement harmonieux de l’enfant. Comme chez les plus petits, les 6-12 ans tirent profit de la motricité libre. Une balade dans la forêt, une séance de danse libre et de chant à tue-tête dans le salon, une folle partie de mime ou de théâtre contribuent à tant de choses : exercice physique, expression des émotions, exploration des sensations…
Des activités manuelles et du temps libre pour se développer harmonieusement
Selon la pédagogie Steiner, l’enfant entre dans un nouveau cycle à 7 ans. L’enseignement doit être imagé et la création artistique y est essentielle, là où l’imitation gouvernait la période précédente (0-6 ans). Pour que l’enfant se développe dans son entier, c’est-à-dire « tête, cœur et mains », on peut lui proposer de faire des activités manuelles, des expériences concrètes et créatives : dessin, modelage, musique, tricot, broderie, collage, danse… « L’art est un moyen pour l’enfant d’exprimer ce qu’il ressent au plus profond de lui-même, même s’il n’en a pas conscience. Le choix des couleurs, des matières, l’organisation de ce qu’il réalise sont autant d’indices pour le comprendre sans utiliser la parole », explique Anne Beauché, art-thérapeute. À un enfant en colère, elle propose l’apaisement qu’offre la pratique de l’aquarelle. Pour un enfant dispersé, pourquoi pas le modelage, qui nécessite de concentrer sa force. Pour que l’enfant puisse utiliser pleinement l’art comme moyen d’expression, il suffit de lui proposer du matériel et de le laisser libre de faire, mais surtout sans jugement. « L’enfant ne dessine pas pour nous faire plaisir, mais pour refléter un état d’âme. L’expérience compte plus que le résultat, poursuit Anne Beauché. En revanche, les parents peuvent emmener leurs enfants au musée, leur offrir des livres, les laisser admirer de beaux paysages… Ainsi, on enrichit les sentiments, on se remplit. » Mais, pour que l’enfant puisse se développer harmonieusement et explorer ses différentes facettes, il lui faut du temps. Du temps libre. « Aujourd’hui, les enfants sont surchargés d’activités, ils n’ont plus le temps de prendre le temps : cela ne les aide pas à aller à l’essentiel, à se concentrer et à se découvrir vraiment », constate Ulrika Dezé, professeur de yoga chez Yogamini. Entre leur emploi du temps scolaire, les devoirs – qui concernent l’écrasante majorité des enfants de primaire – et les activités extrascolaires – qui concernent 93 % des enfants un an après leur entrée en primaire [1] –, il reste peu de place aux activités imprévues, choisies sur l’instant, selon la curiosité du moment. Or c’est bien dans ces temps libres que l’enfant exerce son autonomie et découvre son identité. En effet, dès 6 ans, l’autonomie n’est plus seulement physique – « je peux faire seul ». L’enfant comprend qu’il peut penser différemment de ses parents, même s’il a encore besoin d’eux. Il construit ainsi sa personnalité et ses opinions propres, sans recours systématique aux références familiales. Il élargit la liste de ses référents pour forger le socle de sa personnalité et peut se choisir des mentors.
Une période pour apprendre à écouter son corps
Petit à petit, l’enfant devient un être social. Ce qui, comme un cercle qu’on boucle, peut aussi avoir une influence sur son corps, ou sur l’image que l’enfant s’en fait. Les spécialistes distinguent le schéma corporel et l’image du corps. Le schéma corporel est le même pour tous – deux bras, deux jambes, une tête… – et s’élabore à partir des sensations. Il se construit tout au long de l’enfance et jusqu’à 11 ans environ. L’image du corps est différente pour chacun et se construit à partir d’expériences émotionnelles, sous le regard de ses semblables et en communiquant avec d’autres individus. Cette image du corps, psychologique, est remise en question tout au long de la vie. Mais, entre 6 et 12 ans, le rapport de l’enfant au corps est souvent apaisé. C’est le moment de poser des bases solides avant les grands chamboulements physiques de l’adolescence. Le moment donc pour les filles et les garçons d’apprendre à écouter leur corps et à en prendre soin. « Avec le do in – technique d’automassage –, par exemple, les enfants découvrent leur corps eux-mêmes. C’est très ludique. Mais c’est aussi un âge où les parents peuvent masser les pieds, les mains, le dos de leur enfant, c’est un moment de relation agréable entre parent et enfant et un moment de bien-être physique dont la connaissance leur sera précieuse à l’adolescence, quand le corps va changer », explique Diane Pluchet, praticienne en shiatsu. Car la puberté commence vers 10 ans chez les filles et 12 ans chez les garçons : poussée de croissance, développement des organes génitaux et pousse des poils pubiens en sont les signes. Une nouvelle aventure pleine de défis pour les enfants, comme pour leurs parents !
[1] Sophie O’Prey, « Les Activités extrascolaires des écoliers : usages et effets sur la réussite », Éducation et formations, juillet 2004
Article tiré du hors-série 7 de Kaizen Pour une enfance joyeuse, Tome 2 (6 à 12 ans). Textes : Gaëlle Baldassari, Audrey Escande-Lefèvre, Charlotte Blondel et Nathalie Petit.
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