Fab-labs : quand l’intelligence collective entre en action

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    Fab-lab
    © La Paillasse Saône

    La démarche biomimétique invite à une approche systémique des méthodes de travail. Dans de nouveaux espaces, des femmes et des hommes œuvrent, tels des fourmis, de manière collaborative pour créer un nouvel horizon. Rieul Techer, ingénieur de formation, nous parle de ces nouveaux lieux d’innovation sociale et citoyenne que sont les fab-labs à travers l’exemple de la Paillasse Saône/La Myne1, dont il est l’un des co-fondateurs.

    Rieul Techer © La Paillasse Saône
    Rieul Techer © La Paillasse Saône

    Avant tout, pouvez vous nous expliquer ce qui vous a amené à vous lancer dans l’aventure de la Paillasse Saône/ La Myne ?

    Mon parcours. J’ai une formation d’ingénieur dans le domaine de l’énergie et de l’environnement et je me suis aussi formé aux problématiques de « relations sciences-société-démocratie et innovation sociale ». Après deux années passées à l’ADEME, j’ai voulu monter un projet de thèse avec un laboratoire de recherche qui finalement n’a pas pu se faire. C’est à ce moment que j’ai décidé de me lancer dans le projet de la Paillasse Saône car je trouvais qu’il n’était pas normal que des personnes ayant des projets intéressants de recherche et d’innovation n’aient pas la possibilité de les tester et de les expérimenter librement… Quand je dis librement, c’est sans ces barrières de financements et de compétences que l’on peut retrouver à l’entrée des laboratoires, des incubateurs ou des accélérateurs. Avec la Paillasse Saône, notre objectif premier a donc été d’abaisser ces barrières pour donner un cadre de liberté et d’expérimentation à toute personne désireuse de développer des idées de recherche et d’expérimentation, principalement dans des domaines de consommation et de production durable.

    Concrètement comment cela se passe lorsqu’une personne a un projet à proposer ?

    Elle vient nous voir, on discute de son projet et on essaie de définir si celui-ci rentre bien dans le cadre des valeurs véhiculées par la Paillasse Saône. Est-ce que le projet est innovant ? Est-ce qu’il est citoyen ? Répond-il à des objectifs de durabilité, de consommation et de production durable ? A-t-il pour vocation à être développé dans un cadre collaboratif et ouvert ? Ensuite, on définit un cadre de réciprocité avec le porteur de projet. L’objectif est en effet de pouvoir dépasser les relations financières et de pure consommation de services pour essayer de se reposer sur une valeur non pas financière mais de temps, d’expertise ou de compétences. Qu’est ce que la Paillasse Saône peut apporter au porteur de projet et qu’est ce que lui peut apporter à la Paillasse Saône en retour en terme de compétences, d’expertise, d’aide aux différents projets ? Ce n’est qu’ensuite, après avoir défini avec le porteur de projet la structuration et les premières étapes d’élaboration de son projet que l’on met à disposition un espace au sein de notre local de 140 m2, du matériel et des ressources pour qu’il puisse le développer. On peut également aller chercher un matériel spécifique, une compétence particulière, organiser certains événements, que ce soit des hackathons2, des ateliers ou encore des masters classes ou des conférences, pour provoquer des rencontres, de la mise en liens et en réseaux. En fait, on se positionne tout simplement en tant que facilitateur pour permettre à ces projets d’être accélérés, ou en tous cas d’avoir un cadre « pré-incubateur » qui leur permette de mûrir.

    Pouvez-vous nous présenter un projet concret développé à la Paillasse ?

    Le projet Open Micro Metha est par exemple un projet de micro-méthanisation qui a pour vocation à relocaliser la production en ville à partir de déchets organiques. L’idée est d’utiliser les déchets, en les faisant fermenter dans une poubelle spéciale afin qu’ils produisent du biogaz, que l’on va ensuite traiter pour qu’il puisse lui-même être réutiliser soit pour la cuisson soit pour le chauffage… Après plusieurs prototypes modestes, nous souhaitons maintenant initier des programmes de collaborations de recherche avec l’INSA Lyon afin d’atteindre un niveau supérieur. L’objectif étant à terme de réussir à toucher les centres de recherches et avoir une démarche d’industrialisation. Car en plus d’aider les porteurs de projets à faire passer leur projet du stade d’idée au stade de prototype, notre vocation est aussi de les orienter vers des incubateurs, des accélérateurs, ou bien vers des modalités de financement ceci afin qu’ils aillent véritablement jusqu’au bout de leur projet.

    Fab-lab
    © la Paillasse Saône/La Myne

    On parle des projets… mais qui sont ces porteurs de projets et toutes ces personnes qui viennent participer aux chantiers, apporter leurs compétences, participer aux réflexions ?

    Notre communauté est difficile à décrire. On a aussi bien des personnes Bac + 5, Bac +8, comme des ingénieurs, des designers, des architectes, des scientifiques… que des personnes qui n’ont pas fait d’études aussi poussées mais qui ont des savoirs et des savoir-faire extraordinaires et qui viennent les mettre à disposition, je pense à des soudeurs, des électriciens, des menuisiers. C’est intéressant cette ouverture entre les disciplines et les activités et c’est notre volonté de favoriser au maximum ces échanges. Sinon, dans la majorité des cas, les membres de la communauté ont un travail à côté, mais il y a aussi des personnes qui n’ont pas d’activités, qui sont au chômage ou à la retraite…  Cela peut aussi être des entrepreneurs qui viennent simplement développer ou initier leur projet à la Myne.

    Si vous n’avez pas encore sorti de projets de la Myne, quelles sont vos avancées depuis votre création en mai 2015 ?

    En terme de gouvernance, par exemple, nous étions à l’origine structurés comme une association de loi 1901 avec un président, un secrétaire, un trésorier. Une forme très classique et relativement pyramidale que nous avons décidé de renverser afin que le plus grand nombre des membres de notre communauté puisse participer à l’orientation et à la prise de décision stratégique de l’association. Aujourd’hui, nous sommes donc sur un format de conseil collégial de douze personnes avec des rôles tournants. Ces douze personnes sont toutes responsables juridiquement de l’association ce qui permet d’engranger les responsabilités de chacun dans la prise de décisions, qui se fait au consentement puis à la majorité (si le consentement n’a pas fonctionné). Parallèlement à ce conseil, plusieurs groupes de travail ont été mis en place sur des thématiques différentes, « stratégiques, éthiques, propriété intellectuel, accompagnement des projets, logistique du lieu… » Totalement ouverts, ces groupes permettent de faire remonter les propositions de décisions à amender en conseil collégial par l’ensemble de la communauté. Enfin un groupe de travail composé de cinq personnes est dédié à l’opérationnel pur. Au final, ce système horizontal nous a permis de limiter la durée des conseils d’administrations puisqu’on a allégé la charge de mise à niveau d’information de l’ensemble des membres et alléger la charge du conseil décisionnaire, qui est devenu plus pertinent et plus efficient sur la prise de décision.

    En quoi ces nouveaux lieux d’innovation, tel les fab-labs, s’inspirent-ils de la nature ?

    Je dirai que ces lieux s’inspirent de la nature dans leur fonctionnement qui, pour certains, se veut écosystémique. En redéfinissant et repensant les modes de consommation et de production permettant de favoriser les circuit-courts, par exemple, et tirer parti des potentiels locaux (compétences, expertises, matériaux, matériels, ressources…), ces (tiers)lieux cherchent à développer des symbioses entre écosystèmes. On retrouve cette notion de symbiose dans les dynamiques de décloisonnement, de transversalité, de complémentarité et de facilitation de ces lieux.

    Vous prônez justement l’open source et le partage des données, le décloisonnement des disciplines. Est-ce selon vous la seule solution pour provoquer l’innovation et booster la recherche ?

    Je ne dirai pas que c’est la seule solution. Mais c’est une solution. Il faut toutefois prendre le mot « open source » avec des pincettes. À la Paillasse Saône, nous sommes plus dans une démarche de production de communs3 et de travail en commun avec différents acteurs autour de projets collaboratifs et ouverts que dans une démarche de « pure open source ». Car on ne veut pas se fermer aux personnes qui de prime abord ne veulent pas travailler sur des dynamiques d’open source mais qui ont tout de même envie de travailler sur des dynamiques de collaborations et de productions de communs. De même, nous ne sommes pas contre les brevets, mais on se dit que l’ouverture des données, de la recherche, des collaborations, est un vrai booster d’innovation et de recherche dans le sens où tout ce qui est développé par l’un est ouvert à l’autre et que l’autre peut se l’approprier, développer quelque chose et l’améliorer par dessus. L’objectif est d’amener peu à peu les différents secteurs vers ces pratiques d’ouverture.

    C’est aussi une raison pour laquelle vous vous intéressez particulièrement aux low-tech4 ?

    Un des piliers de la Paillasse Saône est l’appropriation citoyenne du système technologique, économique et politique… Or, à partir du moment où l’on parle d’appropriation citoyenne, on parle de diffusion des sources et des ressources et de capacité de s’approprier ces différentes sources et ressources. Pour cela, il faut donc que ces sources et ressources soient suffisamment simples à s’approprier et facilement accessibles, c’est ce que proposent les low-tech. C’est pourquoi elles nous intéressent, d’autant que les potentialités de diffusion y sont aussi beaucoup plus larges, notamment à destination des pays en voie de développement. Mais cela ne nous empêche pas de travailler sur des projets un peu plus high-tech. On essaie dans ce cas d’être toujours le plus simple possible et le plus pédagogue.

    Ces nouveaux lieux d’innovation que sont les fab-labs intéressent-ils les entreprises ?

    Le regard des entreprises est encore très lointain aujourd’hui. Je pense qu’ils attendent de voir ce que l’on développe… Malgré tout, on remarque que certaines entreprises commencent à intégrer des dynamiques fab-labs… Certains acteurs industriels ont même commencé à ouvrir leur brevet et à les mettre en open source. Pas pour la beauté du geste, loin de là, il y a toute une stratégie derrière et tout est calculé. Mais on voit bien émerger des dynamiques qui consistent à dire « sur certaines parties de notre business, il peut être beaucoup plus intéressant de distiller les brevets un à un, ou d’ouvrir, pour favoriser l’appropriation mais aussi la diffusion et l’amélioration des différents process ou différentes technologies, que de faire de la rétention d’information ». En fait, aujourd’hui, tout le monde se regarde, tout le monde regarde ce que fait l’autre à côté. Car effectivement, on vient un peu bousculer leur modèle, mais je pense que cela reste encore très marginal.

    Quel est finalement votre modèle économique aujourd’hui ? Est-il viable sur le long terme ?

    Jusqu’à présent, nous avons fait le choix de ne pas avoir de subvention afin d’essayer de trouver notre propre système économique. Notre seule subvention est une mise à disposition de notre local de 140 m2 de la part de la métropole du Grand Lyon, celui-ci nous coûte 200 euros par mois. Notre objectif est de pouvoir diversifier notre modèle de revenu et nos revenus. Pour le moment, une partie vient des cotisations et des adhésions des membres (porteurs de projets et personnes de la communauté qui viennent participer), une autre des prestations que l’on peut faire (événements, conférences etc…) et enfin une troisième provient de bénévoles qui considèrent avoir décroché certaines missions personnelles grâce au réseau ou aux compétences et connaissances acquises au sein de la paillasse et décident de nous en reverser une partie en tant qu’apporteur d’affaire. Mais ce modèle actuel n’est pas un modèle pérenne…  On essaie donc de monter de manière plus systématique des partenariats de recherche que ce soit avec des entreprises ou des industries, des universités ou des laboratoires de recherche. Nous sommes pour le moment une association, mais nous nous rapprochons davantage du fonctionnement d’une start-up, puisque nous cherchons encore notre propre système économique.

    (1) La Paillasse Saône est le nom de l’association alors La Myne, Manufacture des Idées et Nouvelles Expérimentations, est le nom pour désigner le tiers-lieu et la communauté.

    (2) Le mot hackathon désigne à la fois le principe, le moment et le lieu d’un événement où un groupe de développeurs volontaires se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours.

    (3) « On parle de (bien) commun chaque fois qu’une communauté de personnes est animée par le même désir de prendre en charge une ressource (dont elle hérite ou qu’elle crée) et qu’elle s’auto-organise de manière démocratique, convivial et responsable pour en assurer l’accès, l’usage et la pérennité dans l’intérêt général et le souci du bien être ensemble ainsi que du bien vivre des générations à venir » définition proposée par Alain Ambrosi et Lionel Maurel dans #BiblioDebout. 

    (4) Par opposition aux innovations high-tech, consommant souvent beaucoup d’énergie et de ressources, les low –tech désignent des techniques plus simples, économiques et populaires. Elles peuvent aussi faire appel au recyclage de matériaux.

     


    Attention… si la Paillasse Saône s’inspire de la philosophie et des valeurs véhiculées par la Paillasse Paris, « dans le sens où l’on essaie de mettre la recherche et la science au cœur de l’ensemble des projets qui sont développés au sein de la Paillasse Saône et que l’on se rapproche aussi beaucoup sur la communauté de valeurs, sur l’ouverture, l’open source, le collaboratif, puisque l’on se repose sur les bases du mouvement DIY Bio » (dixit Rieul Techer), la Paillasse Saône s’éloigne de plus en plus de sa grande sœur sur les pratiques. « Non seulement parce que nous n’avons pas le même espace, ni les mêmes contraintes qu’eux (140 m2 à Lyon contre 750 m2 à Paris), mais aussi parce que l’on n’a pas la même orientation, ni les mêmes pratiques ». La Paillasse Paris est en effet tournée vers les « bio-tech » alors que la Paillasse Saône est plus orientée vers les écotechnologies, les clean-tech et tout ce qui a trait à l’environnement, l’énergie, l’agriculture. « Finalement, nous avons aujourd’hui peu de collaborations directes avec la Paillasse Paris contrairement à nos relations avec l’écosystème local (la FOL, le LOL, le LOV, les Locaux Motiv…) ou d’autres acteurs, notamment stéphanois (OpenFactory, Cite du Design, La Maison Jules Verne), rennais (Le Biome) ou lausannois (hackuarium). »


     

    Véronique Bury

    © Kaizen, construire un autre monde… pas à pas

     


    Lire aussi : Le dossier de Kaizen 28 sur le biomimétisme

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    1 COMMENTAIRE

    1. Bonjour. Ce message s’adresse aux acteurs de La Paillasse Saône. Il y a dans la Drôme, une grande bibliothèque: La Bibliothèque De L’Avenir ». Vous pourriez la contacter. Peut-être qu’il y a des choses intéressantes à faire là aussi. Elle a vu le jour grâce au don très généreux d’un libraire qui a cédé GRATUITEMENT tous ses ouvrages sur l’environnement et il y en a des milliers !!!!
      J’espère que votre Paillasse fonctionnera et que d’autres verront le jpour partout en France et dans le monde. Bravo les jeunes. Vous êtes notre avenir et je vois qu’il est entre de bonnes mains!
      Merci à vous. Leelou

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