Un véritable retour à la terre se profile en France : chaque année, des milliers de personnes créent leur ferme. De l’idée à l’installation, découvrez les sept étapes clés pour parvenir à ce changement de vie.
1. Se reconvertir : un cheminement personnel
Certains nouveaux paysans attribuent leur envie de changement à un déclic, d’autres disent avoir progressivement eu besoin de retrouver un cadre naturel. À ce stade, la première des préoccupations est de définir ses valeurs et ses besoins : c’est le début d’une démarche intérieure personnelle.
« Je travaillais dans l’immobilier. J’ai démissionné pour suivre une formation en développement durable. Me tourner vers l’agriculture m’a aidée à retrouver un équilibre », raconte Linda Bedouet. Attirée par la permaculture, cette ancienne Parisienne a décidé avec son compagnon, Édouard Stalin, de se lancer dans le maraîchage bio : « En 2011, nous avons créé notre ferme, car nous ne voulions plus rester inactifs face à l’état actuel de la planète et nous souhaitions cheminer vers l’agriculture biologique et locale. Notre entourage nous a fortement soutenus. » Dans l’Eure, à la ferme de la mare des Rufaux, ils cultivent désormais fruits et légumes en permaculture.
2. Définir ses aptitudes et sa future activité
Qu’est-ce que je veux faire ? Quel métier est fait pour moi ? Définir son activité est l’une des premières étapes du projet. Petit élevage ou maraîchage ? Les nouveaux paysans optent souvent pour l’un ou l’autre. « Mis à part le maraîchage, les autres domaines de l’agriculture sont difficilement accessibles étant donné le prix des investissements et la difficulté de trouver un terrain. Devenir céréalier ne peut être envisagé [l’hectare coûte, en moyenne, de 2 240 euros en Loire-Atlantique à plus de 16 000 euros dans les Bouches-du-Rhône] », avoue Gaspard Manesse, ancien infirmier devenu maraîcher dans les Yvelines.
Avant de se lancer dans une formation ou de commencer à développer son projet, simplement découvrir concrètement les différentes facettes du métier est un bon point de départ. Comment ? En se rapprochant des acteurs du milieu, que ce soit des paysans ou des associations d’accompagnement dans l’installation agricole. Les Adear (Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural), le Gab (Groupement des agriculteurs biologiques), Terre de liens – qui rachète des terres pour les louer à de nouveaux paysans – ou encore les espaces test agricoles, comme la couveuse d’activités agricoles Les Champs des possibles, sont des structures – le plus souvent associatives – qui regroupent paysans et accompagnateurs, réunis dans le but d’installer des nouveaux venus.
Pour faire découvrir le milieu agricole, Les Champs des possibles propose chaque année un parcours découverte intitulé Paysan demain ! Pendant deux à trois mois, celles et ceux qui portent en eux une « envie d’agriculture » multiplient les expériences au sein des 35 fermes en agriculture biologique et paysanne du réseau, situées en Île-de-France, et travaillent avec des accompagnateurs sur les ressorts de leur envie de transition professionnelle. Toutes les productions sont représentées : élevage, maraîchage, polyculture, arboriculture et PPAM (plantes à parfum, aromatiques et médicinales).
Autre option : le woofing, un réseau de fermes principalement bio qui permet à qui le souhaite de partager le quotidien de paysans aux quatre coins du monde.
Pour les demandeurs d’emploi désirant plutôt s’orienter vers le salariat agricole, l’Adema (Accès des demandeurs d’emploi aux métiers agricoles) propose une formation professionnelle gratuite de trois semaines pour découvrir les fondements d’un métier agricole.
Une fois le projet de vie défini et la découverte du métier passée, l’étape suivante est de taille, puisqu’il s’agit à la fois de se former, de développer son projet et de chercher un lieu tout en réglant la question du financement.
3. Acquérir de l’expérience : vers quelle formation se tourner ?
Les lycées d’enseignement général, technologique et professionnel dispensent des formations agricoles aux moins de 18 ans. Production végétale, horticulture ou élevage, plusieurs spécialisations sont proposées. Pour les jeunes âgés de 16 à 26 ans, les centres de formation d’apprentis (CFA) proposent des formations en alternance au sein d’exploitations agricoles.
Les adultes prêts à se reconvertir professionnellement peuvent, eux, intégrer les centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) pour préparer le brevet professionnel Responsable d’exploitation agricole (BPREA) qui comprend plusieurs semaines de stage dans une exploitation.
Linda Bedouet et Édouard Stalin ont lancé en février 2016 l’association FMR (les amis de la Ferme de la mare des Rufaux) et créé leur espace test agricole – un dispositif qui permet à des porteurs de projet de tester une activité agricole grandeur nature avant leur véritable installation. Leur objectif : « Faire profiter les jeunes de nos compétences, de notre expérience, de débouchés de commercialisation et promouvoir l’agroécologie et le développement des microfermes », conclut la néo-paysanne, qui prépare actuellement un manuel pour devenir paysan.
4. Définir les différents éléments du projet
Pendant la période de formation, le projet d’installation agricole se précise au fil des mois. Suivis par une association d’accompagnement, les futurs paysans consolident leurs idées : quels produits font défaut dans la région ? Quel sera le type de clientèle ? Une analyse de marché est faite pour déterminer le lieu d’implantation, les enjeux dans la région et les produits à privilégier. Pour Arnaud Trollé, directeur de l’association Savoir faire et découverte, « un paysan répond à une demande. Nous facilitons son installation par le biais de la transformation des produits agricoles. En formant par exemple un fromager qui utilisera le lait d’un paysan pour vendre du fromage localement, nous offrons plus de chances de réussir aux futurs agriculteurs. »
5. À la recherche d’un lieu d’installation
La plupart des nouveaux paysans sont ce qu’on appelle des « non issus du milieu agricole », ou Nimas. Ils ne possèdent ni propriété héritée de leurs parents ni bail qu’ils puissent récupérer facilement. Ces Nimas optent le plus souvent pour la location de terres, une solution plus économique que l’achat.
Pour permettre leur installation, l’association Terre de liens rachète des terres pour les leur louer grâce au fonds d’investissement La Foncière. La fondation, créée par l’association, regroupe, elle, dons des citoyens et mécénats d’entreprises pour rendre possible l’installation de nouveaux paysans. À une condition : s’inscrire dans une démarche de production biologique.
« Tout comme dans les pays anglo-saxons, les installations agricoles sont soutenues par les fondations, à travers des donations, plutôt que par l’action publique. Les citoyens qui veulent défendre les terres agricoles et l’agriculture différente sont prêts à acheter des actions ou à faire des dons », affirme Michel Vampouille, administrateur de Terre de liens. Lors de l’acquisition d’une ferme, un appel est lancé aux citoyens pour acheter des actions via le fonds d’investissement qui rassemble 12 000 actionnaires pour 50 millions d’euros. Depuis sa création en 2003, l’association a permis l’installation de presque 200 fermes.
6. Financer son projet
La question du financement se pose lorsque le projet est clairement défini : lieu, activité, moyens matériels et humains… Les futurs paysans établissent, selon leur capital de départ, la part d’investissements progressifs, d’autofinancement ou d’emprunts. Pour la création ou la reprise d’une entreprise agricole, ils peuvent bénéficier d’aides à l’installation agricole.
Les conseils régionaux proposent également des aides à l’installation agricole pour les futurs paysans qui ne peuvent prétendre à ces subventions. Après l’installation, peuvent s’ajouter les aides au développement, les aides au fonctionnement, les aides au crédit, les aides au conseil et les aides à la formation, soumises à de nombreux critères.
Selon le plan de financement de chaque porteur de projet, la part d’aides et de capitaux personnels varie considérablement. « Nous accompagnons les futurs paysans dans leurs démarches pour le diagnostic de projet, le plan de trésorerie et le plan comptable prévisionnel. Ensemble, nous avançons avec prudence, sans être trop ambitieux », rassure Marie-Laure Gutierrez, de Terres vivantes, une association qui accompagne les porteurs de projet agricole dans l’Hérault et les Pyrénées-Orientales.
Qui peut bénéficier des aides de l’État pour l’installation ?
Toute personne qui souhaite s’installer comme exploitant agricole, à condition de :
– s’installer pour la première fois comme chef d’exploitation individuel ou en société ;
– être âgé de plus de 18 ans et de moins de 40 ans ;
– disposer de la capacité professionnelle (équivalent du BPREA) et d’avoir validé son plan de professionnalisation personnalisé (PPP) ;
– justifier d’une surface minimale d’installation (SMI) ou d’une activité minimale d’assujettissement (AMA) ;
– présenter un plan d’entreprise sur cinq ans permettant d’atteindre un revenu au moins égal à un Smic.
Il existe deux types d’aides à l’installation : la dotation jeune agriculteur, de 15 000 euros en moyenne, et les prêts bonifiés – des prêts accordés à un taux inférieur à celui du marché (1% ou 2,5%) grâce à une aide de l’État pendant cinq ans maximum.
7. Se confronter à la réalité par l’immersion professionnelle
Avant l’installation, les futurs agriculteurs intègrent le plus souvent un espace test agricole afin d’améliorer leurs compétences techniques et de gestion par une mise en situation réelle. La coopérative d’activités Les Champs des possibles propose cette expérience pour une durée d’un à trois ans. L’objectif est de développer les savoir-faire des apprenants au contact de paysans tuteurs aguerris, de mettre à l’épreuve du réel leur projet et de préparer l’installation proprement dite. « Les futurs paysans développent leur activité en tant qu’entrepreneurs à l’essai et, ensuite, s’ils le souhaitent, en tant qu’entrepreneurs salariés associés à la coopérative. Ils s’insèrent dans un réseau professionnel et tissent des partenariats étroits avec des groupes de consommateurs en Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) qui les suivront au moment de l’installation. Ce réseau de commercialisation déjà établi et les comptes de résultat de l’activité réalisée facilitent grandement le passage devant le banquier au moment de l’installation », assure Sylvain Pechoux, coordinateur des Champs des possibles et investi au sein du RENETA (Réseau national des espaces test agricoles).
Si le test est concluant, sur leur propre ferme ou au sein de la coopérative, les nouveaux paysans seront prêts à se lancer dans leur nouvelle vie.
Jessica Robineau
© Kaizen, construire un autre monde… pas à pas
Pour aller plus loin :
Collectif, Devenir paysan, Reconversions professionnelles vers l’agriculture, Les Champs des possibles, février 2016
Gaspard d’Allens et Lucile Leclair, Les Néo-paysans, Seuil/Reporterre, février 2016
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Je viens de lire attentivement cette article, moi qui m’installe dans J-30, et je pense qu’il est bien construit et résume assez honnêtement le parcours de l’installation. Dommage que l’on ne parle encore une fois que d’une facette de l’agriculture! L’agriculture qui fait bien, l’agriculture qui achète notre bonne conscience. Effectivement, il y a ces nouveaux agriculteurs venus du monde dit » non agricole » car il n’ont pas conservé de lien directe au delà du 3 eme degrés ( livret de famille faisant preuve) avec une terre mais très sincèrement chacun a eu l’opportunité un jour dans sa famille d’avoir un morceau de terre un jour à cultiver. C’est seulement que certain l’ont vendu, d’autre l’ont gardé et ont continué à faire le travail pour les autres partis vers un ailleurs, peut être meilleur ou peut être pas. Nos arrières, arrières, arrières grands parents ont fait des choix, ne les jugeons pas qu’ils soient restés ou pas.
Au fils des années l’agriculture a changer et elle continuera à changer car c’est ça façon de vivre depuis que les hommes sont devenus sédentaires (cela ne date pas du siècle dernier, voyez vous!).
Les profils d’agriculteurs ont bien changés depuis un siècle, les agriculteurs devenaient « paysans » parce qu’il n’avait pas le choix, un fils de paysan ne pouvais prétendre qu’à rien d’autre que de devenir « paysan ». Chacun sa place, un monde bien cloisonné. Aujourd’hui, le choix s’offre à nous, enfants d’agriculteurs, et a vous les Nimas, mais que doit-on faire?
Car c’est tout aussi difficile pour un enfant d’agriculteur de reprendre l’exploitation de ses parents qu’une personne extérieure. On n’achète pas de terre, c’est hors de prix pour nous aussi, on loue comme les nouveaux agriculteurs. Nous aussi on doit reprendre des formations car nos parcours professionnels ne sont pas forcement agricoles, nous aussi on souhaite donner un autre visage à l’agriculture, … Mais tout le monde croit savoir ce qu’on pense sans nous demander.
Devenir paysan, c’est loin d’être évident, qu’on soit interne ou externe au milieu. Des rêves, on en a tous, des aides aussi, oui, il y en a! Des aides qui servent pas à l’agriculteur mais au métier du paragricole! Tout le monde se sert, une vrai pioche! Le Plan d’entreprise, dit PE coûte 3000 euros, l’établissement de statut pour une entreprise c’est 2000 euros, l’expert agricole c’est encore 3100 euros, la chambre d’agriculture 300 euros, les frais d’ annonce légale 160 euros, Les frais d’enregistrement 80 euros, le notaire ++++…… faites le calcul sur les 15 000 euros d’aide de moyenne annoncée combien reste-t-il pour celui qui s’installe?
Bref, peut importe d’où on vient et comment on construit son rêve, car nous sommes tous pareil des être …. de passage faisant du mieux que nous pouvons.
L’année prochaine, je prends ma retraite, je vais acheter une maison avec 2000 M² de terrain pour faire de la permaculture et en vivre avec ma compagne. Cet article me remplis de joie et d’énergie.
Merci
Bonjour, je viens de découvrir cet article très enrichissant.Je suis moi même dans cette démarche, et nous avons créer, avec mon épouse, un réseau pour aider très concrètement les personnes qui souhaitent travailler et vivre correctement à la campagne. La démarche est établie à partir du concept Notre Basse cour . Nous sommes 8 dans ce réseau de producteur pour mutualiser nos forces et nos idées au sein d’une licence de marque. Nos valeurs : économie locale, durable, relations, transparence ..les poules bien élevées sans soja, sans ogm, sans huile de palme…Notre basse cour
il ne faut pas oublier aussi que la pratique du maraîchage par exemple expose les travailleurs à de nombreuses situations à risques qu’il faut prévenir par de bonnes mesures de formation et de protection : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=438
Bonjour,
Merci pour votre article, très bien structuré, clair et contenant beaucoup d’informations intéressantes !
Un petit bémol cependant, qui me conduit à 2 questions : le lien GAB donné dans l’article et les Champs des Possibles concernent seulement les habitants de cette région ! Existe-t-il des équivalents à l’association « Les Champs des Possibles » dans les autres régions françaises ? Est-ce que leur livre ne concerne que les habitants de l’Île de France ?
Voilà, merci d’avance !