Roubaix invente la ville sans déchets

    2
    49

    Comment faire pour qu’une ville devienne propre ? Inviter des familles volontaires à réduire leurs déchets, par exemple. Le défi Zéro déchet mis en place en 2014 par la municipalité de Roubaix, dans le Nord-Pas-de-Calais, a permis d’enclencher une dynamique vertueuse et est devenu un modèle pour le reste de l’Hexagone. Reportage au pays des Z’héros déchet.

    zéro déchets Roubaix
    Le marché de la Grand’Place s’est mis à l’heure Zéro Déchet. © Facebook.com/mairie.roubaix

    « La politique du zéro déchet évite d’augmenter le nombre d’agents de propreté et elle mobilise au-delà des cultures et des identités : cela donne un élan à la ville », analyse Alexandre Garcin. Issu d’un mouvement citoyen constitué lors des élections municipales de 2014, ce nouveau venu en politique a rejoint la liste de Guillaume Delbar, avec la condition que le candidat – devenu maire – instaure une politique de réduction des déchets. L’élection gagnée, l’opération Zéro déchet a pu commencer. Sur la base du volontariat, pour ne rien imposer, 101 familles roubaisiennes ont été recrutées. La municipalité a lancé un appel sur Internet et diffusé l’information grâce aux associations de la ville. « Les foyers qui se sont engagés ont eu droit à une réduction de 50 % sur la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Cela équivaut à 150 euros que nous avons versés en bons d’achats valables dans des commerces de la ville agréés “Zéro déchet” », explique Alexandre Garcin, devenu adjoint au maire chargé du développement durable. « J’étais sensible au sujet, indique Marie-Noëlle Vuillerme, trentenaire maman de deux jeunes enfants, mais l’idée de faire ensemble et non pas seule dans mon coin m’a encouragée à me lancer dans ce projet. Et le défi amenait un côté ludique. » En effet, toutes les familles ont reçu une balance pour peser chaque jour leurs déchets.

    Pour accompagner ces foyers, quatorze ateliers différents ont été mis en place par la ville, en partenariat avec des associations existantes : « Cela permet de créer une communauté, de faire du chemin ensemble et d’essayer d’aller le plus loin possible vers la réduction des déchets », précise Alexandre Garcin. Ainsi, les citadins ont pu découvrir comment faire du compost : « C’est un atelier où j’ai beaucoup appris, témoigne Loïc Pollet, volontaire enthousiaste, et c’est un levier qui m’a permis de réduire vite ma quantité de déchets. Mes trois enfants se sont aussi beaucoup amusés. » Des zones de compostage ont été installées par la ville et un « maître composteur » a été recruté. Pour aller au bout de cette dynamique, des formations au lombricompostage ont été mises en place. D’autres ateliers, axés sur la vie quotidienne, ont montré aux familles comment fabriquer leurs produits d’entretien et acheter sans emballages. « Chacun est libre de participer ou non à ces ateliers gratuits. C’est à la carte, en fonction de ses besoins », reprend Alexandre Garcin. « J’ai appris à réaliser un gommage avec du marc de café et à coudre des sacs pour les courses dans de vieux draps », confirme Marie-Noëlle. « Même si ma famille et moi ne participions pas à tous les ateliers, savoir que tout cela était possible nous a invités à aller chercher des recettes et des tutoriels sur Internet. Nous avons par exemple fabriqué des shampoings solides, économiques et très efficaces », conclut Loïc Pollet.

    Par ailleurs, la municipalité a aussi mis des poulaillers privés et semi-collectifs à la disposition des familles intéressées, dans le but de limiter certains déchets. Au bout de quelques mois, si les volontaires trouvent le fonctionnement concluant, ils peuvent racheter le matériel et les poules prêtés pour 40 euros.

    De nouvelles pratiques

    « Nous n’avons pas opéré de changements révolutionnaires dans notre ville, car il est difficile de tout bouleverser du jour au lendemain. Mais, si chacun s’implique et prend de nouvelles habitudes, il est tout à fait possible d’aller vers un monde durable pas à pas », explique l’élu. Le défi Zéro déchet, ce n’est pas seulement réduire ses ordures, c’est aussi proposer un mode de consommation et de vie différent. « Ça a changé la vie de ma famille, atteste Loïc Pollet. Nous nous sommes libérés du superflu, simplement et sans forcer, comme le décrit très bien Béa Johnson [une Française installée aux États-Unis qui produit zéro déchet depuis plusieurs années, à l’origine du mouvement du même nom]. Nous avons par exemple réaménagé la cuisine en chinant une armoire de chirurgien toute vitrée pour pouvoir voir rapidement ce dont nous disposons. Il n’y a que sur les couches où il nous reste du chemin à parcourir : nous n’avons pas encore réussi à passer aux lavables. » Plus étonnant, avant de participer au défi, la quinquagénaire Andrée Nieuwjaer n’était absolument pas sensible à l’écologie : « Nous utilisions du plastique pour tout, même pour boire notre café. Réduire ses déchets, cela permet de faire des économies, car on achète en vrac et on réemploie certains objets : je ne dépense plus que 250 euros par mois pour mes courses, contre 500 avant », se félicite-t-elle. D’abord motivée par le projet pour des raisons économiques, elle s’est découvert une passion pour le « manger mieux » et parle désormais de l’initiative autour d’elle. Avec sa famille, elle a même commencé la culture d’un petit potager.

    Dans la ville, les habitudes changent aussi. Le dimanche matin, jour de marché, dans la rue du Brondeloire, les cabas réutilisables jaunes fleurissent au bras des promeneurs. « Nous les avons distribués gratuitement pour éviter l’utilisation de sacs en plastique », révèle Alexandre Garcin. À l’initiative de citoyens, et avec le soutien de la municipalité, des Repair cafés, manifestations collectives de réparation où les objets cassés retrouvent une seconde vie, se multiplient. Pour accompagner cette transformation, la mairie réinvente aussi la vie de la cité. Une vingtaine de commerçants ont obtenu le label Zéro déchet en récompense des efforts qu’ils ont effectués pour réduire leurs déchets ; la municipalité souhaite également accompagner une dizaine d’entreprises en ce sens. « Nous agissons partout où il est possible d’agir pour une mairie », indique Alexandre Garcin. Quatre écoles ont entamé des actions pour réduire leurs déchets, comme limiter le gaspillage alimentaire à la cantine et utiliser des supports recyclables. Aussi, les employés municipaux et les élus ne boivent plus dans des bouteilles ou des verres en plastique et des efforts sont faits pour dématérialiser les documents.

    Chemin faisant

    Si la ville a dégagé un budget de 120 000 euros pour gérer l’opération, Alexandre Garcin précise qu’« au début, il n’y avait pas de guide précis indiquant comment réaliser un tel projet ». « Nous avons décidé de construire une démarche transversale qui implique tous les acteurs : les citoyens, les commerçants et l’administration. C’est cette transversalité qui permet au projet d’avoir un véritable impact dans la vie de tous les jours », conclut l’adjoint au maire.

    Pour se lancer, il a fait appel à l’association Zero Waste France : « Nous lui avons fait profiter de notre expertise en matière de réduction des déchets, de notre vision de la démarche, et nous l’avons même emmené en voyage d’étude à Trévise où une opération similaire avait été mise en place », explique Laura Chatel, responsable du programme Territoires Zero Waste, qui aide les mairies à s’engager dans la voie de l’écologie. À ses yeux, pour que l’initiative fonctionne, il suffit d’y croire : « Beaucoup de collectivités sont persuadées que ce projet est impossible à porter, qu’elles n’en ont pas les moyens, mais c’est faux. Il est tout à fait possible de développer une autre manière de faire, d’inventer des nouveaux dispositifs. » Pour cela, l’association s’appuie sur deux piliers : « Le premier consiste à se renseigner sur les exemples vertueux qui existent dans le monde – comme à San Francisco et à Capannori – et à se déplacer pour aller voir les expériences positives en Europe, afin d’enrichir sa réflexion et d’avoir des exemples concrets de ce qui a été mis en place. » Le second pilier est qu’il faut associer le plus d’acteurs possible à la démarche. Cela permet de faire se rencontrer plusieurs profils de citoyens et de renforcer le lien social. « Le projet ne doit pas être décidé en haut, mais partagé et réfléchi entre tous pour pouvoir travailler en partenariat et de manière cohérente », complète Laura Chatel.

    zéro déchet roubaix
    Conquise par le projet Zéro déchet, Alice Bigorgne a ouvert une épicerie sans emballages à Lille.

    Résultats et essaimages

    Un an après le début du défi, Alexandre Garcin est satisfait du résultat, même s’il aurait aimé faire plus. « Malheureusement, nous sommes bloqués sur certaines décisions, car la municipalité n’a pas les compétences nécessaires. À Roubaix, le ramassage des ordures est géré par la Métropole européenne de Lille (MEL), qui compte 85 communes. Elle n’est jusqu’à présent pas favorable à une modification du traitement des déchets plus axée sur le recyclage, comme le désireraient les élus roubaisiens. » Mais, là aussi, il n’est pas exclu d’essaimer grâce à l’exemple vertueux : « Le ministère de l’Écologie nous a sollicités et souhaite que d’autres villes s’inspirent de notre démarche. » Une fierté pour la ville la plus pauvre de France. Les Roubaisiens sont des pionniers !
    Coté familles, le résultat est concluant : un quart des volontaires ont réduit leurs déchets de 80 %, et les autres de près de la moitié. Seules une quinzaine de familles ont abandonné le défi en cours d’année. Loïc est heureux d’annoncer qu’il ne produit désormais pas plus de 5 kilos de déchets non recyclables par semaine. Encore plus fort : Alice Bigorgne, Roubaisienne très investie dans le défi, a ouvert dans la foulée une épicerie sans emballages – Day by day – à Lille !

    Face à un tel succès, Roubaix a lancé le défi Zéro déchet saison 2, et 120 familles se sont inscrites assez rapidement pour 2016. Tout aussi encourageant est, au-delà des chiffres, l’effet du bouche-à-oreille : « On en parle beaucoup autour de nous : nos amis, nos collègues se mettent aussi en marche », témoigne Loïc Pollet. Une autre citoyenneté est en marche à Roubaix.

     

    Texte : Licia Meysenq

    © Kaizen (tiré de Kaizen 25) construire un autre monde… pas à pas


    Pour aller plus loin : Zéro déchet Roubaix / Zero Waste France / Territoires zéro déchets 

     


    Lire aussi : Faire réparer ses objets au Repair café pour ne plus jeter
    Lire aussi : La poule : l’animal de compagnie zéro déchet

    2 Commentaires

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici