Serge Mongeau vit à Montréal. Écrivain et éditeur, autrefois médecin, il est reconnu comme étant le père de la simplicité volontaire au Québec. Il est l’auteur de plus de vingt-cinq ouvrages, dont La Simplicité volontaire, plus que jamais…
Quand avez-vous « débarqué du train », pour reprendre votre expression, afin de vous engager dans la simplicité volontaire ?
En fait, je n’ai jamais embarqué ! Je n’ai ainsi pas eu besoin de prendre mes distances par rapport au système, c’est-à-dire à la société de consommation ostentatoire dans laquelle je vis. Deux influences ont été dominantes : ma mère qui, ayant été marquée par la crise des années 1930, vivait de manière très économe et le scoutisme qui m’a appris à me débrouiller avec le peu que je trouvais autour de moi. Mon engagement a d’abord été pragmatique. Cela me paraissait la chose la plus normale à faire. Du simple bon sens. Il n’y avait pas d’orientation idéologique. C’est par la suite que j’ai théorisé ma façon de vivre.
Quel a été votre cheminement ?
Je suis arrivé à la simplicité volontaire au terme de ma réflexion sur la santé lorsque j’étais médecin. J’ai constaté que, dans nos sociétés industrialisées, nous vivions dans des environnements totalement différents de ceux dans lesquels nous avons évolué depuis des milliers d’années. Nos organismes s’y sont progressivement adaptés : pas étonnant que les gens soient malades. Par exemple, puisque nous nous sommes sédentarisés, il nous faut trouver des occasions de faire de l’exercice dans notre vie de tous les jours. Pour ma part, depuis que je suis retourné vivre à Montréal en 2008, je ne me déplace plus qu’à vélo. Quand je résidais sur l’île d’Orléans, pendant vingt ans, j’ai chauffé notre maison au bois que je coupais en grande partie moi-même avec une scie ordinaire. Autre exemple : au lieu de prendre les escaliers mécaniques, je monte les marches à pied. Surtout, j’ai toujours cultivé mon potager. Cela me permet de faire de l’exercice et de manger des légumes frais, non transformés et issus de milieux organiquement sains. C’est de ce constat « santé » qu’est née la simplicité volontaire.
À vous lire, ce mouvement consisterait à passer de l’avoir à l’être…
Il s’agit d’avoir du temps pour vivre en orientant sa consommation vers la réponse à ses besoins, et ce, de manière réfléchie. À partir du moment où l’on choisit soi-même, sans pression de la télévision ou sans l’influence de la mode, on laisse beaucoup de choses de côté que l’on croyait pourtant indispensables. L’avantage, c’est qu’on a moins besoin d’argent et donc moins besoin de travailler. Une fois libéré du travail, on apprend à être plus autonome et, ainsi, à moins dépendre du système. C’est un cercle vertueux. Dans notre société, on travaille pour consommer davantage. On en est même venu à sacrifier le meilleur de sa vie à gagner de quoi le payer. Par exemple, comme les gens n’ont plus le temps de cuisiner, ils achètent des mets tout prêts saturés de gras, de sucre, de sel et de produits chimiques de synthèse qui sont mauvais pour leur santé. On nous éloigne de la maîtrise de nos vies. La simplicité volontaire est un instrument essentiel pour nous libérer du système capitaliste fondé sur la croissance économique à tout prix.
Et le bonheur dans tout ça ?
Il revient à chacun de se questionner sur ce qui favorise son épanouissement, c’est-à-dire de vivre en harmonie avec soi, les autres et l’environnement. Si l’on s’inscrit dans la simplicité volontaire, on dispose de plus de temps pour se consacrer à des choses qui nous épanouissent, autres que la consommation de biens et de services. En ce qui me concerne, j’aime prendre le temps de réfléchir, lire, jardiner, faire du sport : l’année dernière, j’ai couru un semi-marathon ! Dans la simplicité volontaire, il n’y a surtout pas de notion de privation ou de frustration. On choisit, en toute liberté, non pas d’avoir moins d’argent, mais d’avoir moins besoin d’argent. Le bonheur ne se trouve pas dans le « toujours plus que les autres ». Ce n’est pas la possession qui donne un sens à la vie. À l’heure où vous ferez le bilan de votre vie, vous n’allez pas vous dire : « Ah, j’avais la plus grosse tondeuse de la rue ! » Arrêtons de confondre quantité et qualité, plus et mieux. À partir du moment où l’on parvient à un certain seuil de revenu qui nous garantit l’essentiel en matière de nourriture, de logement, d’éducation, ou encore de santé, l’argent n’a pas pour corollaire le bonheur. Dans notre société, la plupart des gens ont amplement de quoi répondre à leurs besoins. Moi, mes revenus dépassent mes besoins. Aussi, quand je fais une conférence, je demande aux organisateurs de me donner ce qu’ils peuvent. Et le surplus que je gagne, je le verse aux causes que j’ai envie de défendre. Il ne s’agit pas de refuser d’être rémunéré, mais de choisir ses activités en fonction de ses valeurs. Dans ma vie, je n’ai jamais accepté une tâche à cause de l’argent que cela allait me rapporter.
Dans La Simplicité volontaire, plus que jamais… vous écrivez : « Si on a trouvé une voie qui nous convient, tant mieux : respirons la joie de vivre et la sérénité et nous serons beaucoup plus convaincants que par d’interminables discours ou des jugements péremptoires. » Êtes-vous en cohérence avec ce que vous nommez votre « conscience écologique » ?
En matière d’alimentation, toute ma vie, j’ai fait pousser mes légumes et fait mon compost. Quand je vivais sur l’île d’Orléans, j’avais un grand potager et j’élevais des poules et des lapins. Depuis que je suis à Montréal, je cultive six petits potagers : un dans l’arrière-cour de ma maison, dans lequel je parviens, grâce à un système que j’ai inventé, à faire pousser des carottes, même l’hiver sous 2 mètres de neige ! Un autre est situé dans la cour d’un voisin. Enfin, je jardine dans quatre parcelles de différents potagers collectifs. Avec ma compagne, nous avons diminué notre consommation de viande et nous achetons bio et local.
En ce qui concerne la santé, grâce à une bonne hygiène de vie, à 78 ans, j’ai encore toutes mes dents ! J’ai toujours fait du sport, principalement de la course à pied et du tennis. Pour me déplacer, comme je n’ai plus de voiture, je roule à vélo, je prends le bus et je suis inscrit à Communauto [un service québécois d’autopartage]. Il y a une trentaine d’années, j’ai découvert votre pays en faisant le tour de France à bicyclette. C’est une façon fantastique de faire du tourisme. On prend le temps de voir le pays et d’être proche des habitants.
Dans les petits gestes de tous les jours, je répare moi-même ce que je peux, même si c’est de plus en plus difficile : l’électronique nous rend dépendant. Je recycle le plus possible et je fais pression auprès du magasin de la Société des alcools du Québec pour instaurer un système de consigne. Autre exemple : je partage les magazines que j’achète avec les clients d’un restaurant communautaire. Et si j’ai encore une télévision, c’est uniquement pour regarder des films. Enfin, en attendant de réaliser notre projet de vivre dans un habitat partagé, nous avons un logis dans la maison de ma fille : à chacun son étage. Cela me permet de passer du temps avec le dernier de mes cinq petits-enfants, qui a 4 ans. Après notre interview, je l’emmènerai au potager collectif.
Les notions de partage, de collectif, de communautaire, sont très prégnantes dans votre discours. Quel est le lien avec la simplicité volontaire ?
Nous sommes isolés chacun dans notre consommation. Nous ne partageons plus rien. Le système encourage cette consommation individuelle pour vendre davantage de biens et de services, et ce, au détriment du communautaire. Or, un système fondé sur une croissance constante dans une terre limitée est une impossibilité mathématique. Nous ne pouvons détruire l’environnement sans nous détruire. Il nous faut vivre plus simplement, en partageant par exemple nos logements ou nos moyens de transport, dans un esprit de convivialité.
Qu’en est-il du travail ? Vous qui militez pour la semaine de 20 heures, vous ne semblez pas être dans la sobriété ! Dans Heureux, mais pas content, vous écrivez : « Bientôt, je dirai adieu à ce monde dont je n’ai pas encore retraité […] Je m’agite toujours comme si j’avais 20 ou 30 ans. »
Quand je fais le bilan, je me rends compte que j’ai certainement exagéré. J’ai eu beaucoup d’engagements dans ma vie. Cependant, comme cela a toujours été un travail créateur, utile, productif, je m’y épanouis. La simplicité volontaire est un premier pas. Par exemple, j’adore jardiner, j’aurais pu vivre en autarcie, mais je ne voulais pas m’enfermer et me contenter de faire ma petite part individuelle. Le deuxième pas consiste à s’engager politiquement, socialement, pour le collectif. Encore faut-il que les gens aient du temps et de l’énergie pour s’engager en pleine conscience. Et comment y parvenir quand on se consacre jusqu’à 50 heures par semaine à un travail qui nous épuise ? Le changement de société va venir du bas, du communautaire, car ceux qui détiennent le pouvoir ne voudront jamais perdre leurs privilèges. C’est pour cette raison que je me suis présenté, lors de l’élection générale québécoise de 2008, sur la liste de Québec solidaire, ou que je fais partie du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale ou encore du Réseau transition Québec. Avec l’âge, je deviens un peu plus sage ! Je continue à travailler pour la maison d’édition Écosociété et à donner des conférences, mais je n’écris plus. Quant à mes engagements, il est temps de passer le relais aux plus jeunes.
Propos recueillis par Aude Raux
© Kaizen, construire un autre monde… pas à pas – extrait du hors-série 6.
Pour aller plus loin :
La Simplicité volontaire, plus que jamais…, Écosociété, 1985 (rééd. 2005)
Heureux, mais pas content, Autobiographie (1979-2011), Écosociété, 2013
S’indigner, oui, mais agir, Écosociété, 2014
Lire aussi : Christophe André : « Être mieux avec moins »
Lire aussi : Heureux avec moins – témoignages de l’abondance d’une vie plus sobre
Merci pour cet article passionnant, je ne manquerai pas de mettre un lien vers celui-ci très prochainement sur mon blog, qui parle de minimalisme et de simplicité 🙂
Très belle inspiration!
Merci pour ce partage dans lequel je me sens en accord , il y a une part de moi qui vibre plus fortement quand je lis de tels articles Cette part dit « OUI » et alors je me dis qu’il y a de l’espoir qu’on arrive à le créer ce « nouveau monde » qui retient le meilleur de l »ancien ».Finalement on ne créera rien , on fera le tri dans le déjà vécu simplement .
Merci pour ce partage. Faire le choix de mettre beaucoup de choses que l’on croyait indispensables de cote est liberateur.
Je suis un jeune marocain et j’ai les même idées que l’écrivain, et j’ai commencé a faire ma propre nourriture en achetant que la matière première, bref j’aime le mode « live simply »