Du 5 au 18 octobre 2015 a eu lieu Le Temps des communs, un festival d’initiatives auto-organisées et décentralisées, initié par l’association Vecam. Valérie Peugeot nous éclaire sur ce mouvement qui entend faire connaître et grandir les communs.
Pouvez-vous définir ce qu’est un commun ?
Un commun est une ressource régie par un régime de partage, qui échappe à la propriété publique et privée telle qu’on la connaît depuis des siècles. Le commun est géré par une communauté qui instaure des règles permettant de protéger la ressource, de la faire fructifier, de la partager, etc. On peut prendre comme exemple le four à pain : une communauté – des habitants du quartier – va décider qui a accès au four, à quelle heure, pour combien de temps et qui doit le réparer le cas échéant. Vous me direz qu’il ne s’agit pas d’un exemple très contemporain, mais il paraît qu’il existe encore des fours à pain qui sont régis par ce système-là ! Il y a bien entendu des exemples plus près de nous. Dans le monde numérique, les plus connus sont les logiciels libres, l’encyclopédie Wikipédia et l’outil de cartographie partagée OpenStreetMap. Dans le monde matériel, un commun peut être une communauté de paysans qui s’organise pour échanger des semences et résister au système actuel de privatisation des semences. Il peut s’agir également d’individus qui se regroupent pour construire un habitat partagé et imaginer des règles de gouvernance loin des logiques spéculatives, à l’instar de ce que porte Community Land Trust ; ou encore d’habitants qui se regroupent pour financer, faire construire une éolienne et décider de la manière dont la ressource énergétique va être distribuée.
Historiquement, les communs étaient plutôt des communs de proximité, ancrés dans des territoires ; ce sont eux qu’a étudiés Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie 2009. Aujourd’hui, la question des communs échappe à son ancrage territorial, pour deux raisons : d’une part parce que, avec le numérique, des communautés peuvent travailler de façon totalement distribuée et déterritorialisée. D’autre part parce qu’on se met de plus en plus à penser des communs universels, qui concernent l’humanité entière, comme le climat, l’eau, Internet, des ressources dont on voit bien que les modes de gouvernance actuels ne permettent pas de les protéger.
En quoi les communs peuvent-ils participer à la transition ?
Au-delà des réponses très concrètes et pratiques que les communs apportent, ils permettent aussi de voir le monde autrement. Ils ouvrent une « brèche politique » là où, depuis la révolution industrielle, le monde est pensé de façon totalement binaire avec, le marché d’un côté, et la puissance publique de l’autre. Nous sommes en permanence en train d’osciller entre ces deux modèles selon qu’on est de gauche ou de droite. Les communs nous disent qu’on peut faire autrement, et ce, à la fois dans le domaine économique et dans le domaine politique. Et c’est là où il y a une brèche. On crée un nouvel imaginaire : il ne s’agit pas d’une utopie totalisante, mais de la conviction que le monde peut être plus divers qu’il ne l’est aujourd’hui et qu’on peut sortir de cette dualité, élargir le champ des réponses possibles aux difficultés auxquelles le monde est confronté.
Les communs, c’est d’abord une manière de penser autrement le rapport à la propriété. C’est l’idée qu’on peut avoir des systèmes beaucoup plus complexes par rapport à la gestion économique des biens ; qu’il n’y a pas forcément un propriétaire identifié, privé ou public, mais une multiplicité d’acteurs avec une multiplicité de droits d’usages. Évidemment, le régime de partage et les droits d’usages associés ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’un immeuble, d’une ressource culturelle ou d’un logiciel. Cela nous amène à un deuxième espace de réinvention qui est plus collectif : les communs nous invitent à reconnaître, détecter et accompagner les innovations sociales ascendantes portées par les communautés petites ou grandes, pour qu’elles produisent un véritable changement de société et ne soient pas que des micro-initiatives isolées. Cela implique aussi une créativité démocratique : il faut inventer des règles de gouvernance qui doivent coller à la réalité de chaque communauté, penser les articulations, les jeux à somme positive entre les communs, le marché et le secteur public ; enfin, il faut inscrire dans le droit les moyens de protéger les communs.
L’économie sociale et solidaire (ESS) est proche dans ses aspirations et ses valeurs du mouvement des communs, notamment sur la question de la redistribution. Mais cette branche de l’économie a du mal à appréhender le capitalisme informationnel, là où on a de nouvelles réponses à inventer. Aujourd’hui, deux modèles économiques dominent dans le monde numérique : le premier est basé sur la propriété intellectuelle – par exemple, le logiciel propriétaire –, le second est basé sur l’économie de l’attention – par exemple, une part essentielle des plates-formes du Web qui vivent de la publicité, ou encore le marché de la data. Ces deux modèles montrent leurs limites : le premier peut être un frein à la circulation des connaissances, le second fragilise nos vies privées quand il cherche à collecter en masse des données personnelles. De la même manière que le logiciel libre permet de réconcilier circulation de l’information, efficacité et rentabilité économique, nous devons imaginer les services numériques de demain pour lesquels nous pourrons créer de la richesse sans attenter à nos libertés.
Pourquoi avoir créé un festival des communs ?
Tout d’abord, parce que ces communs sont encore méconnus et qu’on a besoin de faire remonter dans l’espace public ces ouvertures, ces imaginaires politiques et économiques pour que les gens aient envie de leur faire écho, de s’en emparer. Parfois, certaines personnes pratiquent les communs sans s’en rendre compte : par exemple, les parents qui mettent en place un pédibus pour amener leurs enfants à l’école. C’est une forme de commun qui utilise une ressource rare : le temps des parents ! Un peu partout, des communautés se mettent en route pour répondre à des petites ou des grandes problématiques de société : il faut le faire savoir. Ainsi, ce festival veut donner envie à d’autres de construire des communs. C’est aussi l’occasion de créer des dynamiques locales, de mettre les acteurs en réseau. Plusieurs villes – Toulouse, Lyon, Bruxelles… – ont aujourd’hui lancé des dynamiques qui vont se poursuivre au-delà du festival.
Les communs font passer de la propriété privée au partage des biens. C’est un gros changement dans l’imaginaire des gens…
Les communs n’ont pas vocation à se substituer au marché ou à la propriété publique. On a besoin des trois éléments selon le type de ressource à gérer. Ce ne sont pas un « anti-marché », mais un « anti-dérives d’une certaine forme de capitalisme » ! Si le marché était ce qu’il devrait être, c’est-à-dire un espace de transactions et un lieu de sociabilité, ça serait formidable. Mais, aujourd’hui, il ne répond plus aux grands enjeux de société. L’idée est plutôt de ramener le marché là où il est le plus efficace, de ramener la puissance publique là où elle est indispensable et de laisser un espace ouvert pour les communs. Ce qui n’empêche pas des formes d’hybridation. Reprenons l’exemple déjà vécu de l’éolienne : une communauté d’habitants s’impatiente face à l’inaction publique en matière de transition climatique et s’organise pour installer une éolienne. Certaines mairies soutiennent ces initiatives en mettant à disposition le foncier sur lequel l’éolienne va être bâtie. Puis, pour que le surcroît de production – s’il y en a – puisse être réinjecté dans le circuit national, la communauté va interagir avec un opérateur d’énergie. Nous sommes alors vraiment dans une logique partenariale. D’ailleurs, cela existe déjà : prenons l’affouage, ce commun naturel historique. Dès le Moyen Âge, les paysans avaient le droit de gérer des forêts. Aujourd’hui, il existe toujours des forêts communales dont les habitants gèrent de façon autonome l’entretien et l’usage du bois. La municipalité n’intervient qu’en dernier recours si les habitants n’arrivent pas à s’entendre. C’est une imbrication intelligente de propriété publique, de marché – puisque les habitants peuvent revendre le bois exploité en excédant – et de communs.
Interview réalisé par Pascal Greboval
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bonjour Valérie, perdue de vue depuis un peu longtemps, au moment justement où se créait vecam. Nous sommes en tentative d’essayer de faire une déclaration commune (l’adjectif s’impose) de ceux qui fonctionne dans cette économie collaborative sur des valeurs et pratiques d’entraide et de solidarité, que ce soit ou non à partir de plateformes numériques
Ceci pour éviter les amalgames avec les uber, airbnb ou blablacar, que l’on voit se profiler et qui peuvent être graves pour nous
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