Après les AMAP[1], qui resserrent le lien entre producteurs et consommateurs, voici les AMAC par lesquelles des groupes de citoyens reprennent la culture en main sur leur territoire. Nous avons rencontré l’une de ces associations dans le Loiret.
Samedi 22 novembre, fin d’après-midi. J’ai rendez-vous avec les bénévoles de l’(H)AMAC de Lailly-en-Val, près d’Orléans. Comprenez « L’(Heureuse) association de maintien d’actions culturelles ». Si le H comme Heureuse est en option, il rappelle néanmoins que l’essentiel réside bien dans le plaisir de partager et d’agir ensemble.
La gaieté est perceptible dès l’entrée dans la salle de spectacle municipale, la Lisotte. Une dizaine de personnes s’affairent, on apporte des sièges, des lampes ou encore les objets qui feront office de décor. Ce soir a lieu le quatrième et dernier spectacle de la saison. Comme toujours, les bénévoles veillent à concocter un accueil chaleureux pour les spectateurs, transformant le hall impersonnel en salon familial – on se croirait chez soi. Bien vite, chacun s’interrompt pour venir à ma rencontre. Nous nous installons dans ce salon « tout de même un peu kitsch » selon l’un de mes hôtes. Roland, Cécile, Christophe, Aurélie, Linda, Olivier et les autres commencent à raconter leur aventure.
Un groupe de citoyens pour une culture accessible
En 2011, la troupe « Jeux de vilains », de Lailly-en-Val, organise une rencontre internationale autour des marionnettes. Elle sollicite à cette occasion l’aide de la population, notamment pour l’hébergement et l’intendance. « On a vécu une aventure humaine très riche, explique Roland, il y a eu une belle synergie entre bénévoles et on a eu envie de poursuivre ». La troupe lance alors l’idée de l’AMAC, qui après de longues discussions finit par séduire les bénévoles. Si la notion de solidarité est partagée par tous, les motivations ne sont pas toujours exactement les mêmes. « Action citoyenne » pour Roland,
« action militante pour que la culture continue d’exister en France »
selon Jean-Marc ; Aurélie veut « contribuer à importer la culture en milieu rural » et Cécile entend « offrir une programmation indépendante ». Tous sont engagés, donnent de leur temps et de leur argent, à mesure de leurs possibilités.
Le micro-mécénat culturel
La première année, l’(H)AMAC a fonctionné avec une vingtaine d’adhérents. Depuis le groupe a grandi, ils sont aujourd’hui une quarantaine. Chacun contribue selon ses moyens, participant à hauteur de 40 € ou plus pour soutenir un spectacle, le groupe ayant choisi d’en organiser quatre par an. Grâce à la loi sur le micro-mécénat culturel, les adhérents bénéficient d’un abattement correspondant à 66 % des sommes versées. En retour, ils reçoivent une place pour chaque spectacle soutenu. Ils participent en outre à une action solidaire dans la mesure où le prix public de la place est fixé à 10 € (5€ pour les moins de 26 ans), « parce qu’on veut des soirées accessibles à tous ceux qui ont envie de découvrir un spectacle » précise Gérard.
Les sommes collectées auprès des adhérents, environ 5000 € par an, représentent le budget prévisionnel attribué à la programmation culturelle. « Dès le départ, nous avons décidé de ne pas discuter les prix des spectacles, par respect pour les artistes et pour une reconnaissance de leur travail » explique Cécile. Chaque soirée culturelle réunit entre 70 et 80 spectateurs. Les recettes s’ajoutent au budget de programmation et financent l’intendance, repas des artistes et frais de communication principalement.
« Je suis peut-être utopiste, rêve tout haut Roland, mais je pense que des artistes connus devraient participer à notre démarche culturelle, collective et solidaire. Il existe d’autres AMAC en France, nous ignorons combien précisément, mais je pense qu’il faudrait faire mieux connaître toutes ces actions au grand public pour que les valeurs que l’on défend prennent plus d’ampleur ».
Un engagement en faveur de la culture et du partage
La notion de partage est prépondérante au sein du groupe. C’est d’ailleurs en partie pour cela qu’Aurélie l’a rejoint après la première saison.
« Tout le monde apporte sa pierre à l’édifice, on partage tout, les décisions aussi bien que les tâches. C’est un principe qui m’a beaucoup plu ».
La gouvernance de l’association est effectivement collective : le représentant légal, puisqu’il en faut un, est tiré au sort chaque année. Une fois accompli cet acte réglementaire, la gestion incombe à l’ensemble des adhérents. Toute l’organisation est portée par des commissions conçues pour favoriser l’échange de savoirs et de savoir-faire entre « ceux qui connaissent le sujet et ceux qui n’y connaissent pas grand-chose ». Ainsi, Roland et Aurélie, membres de la commission technique, admettent qu’ils n’ont aucune compétence en la matière mais qu’ils apprennent au fur et à mesure. « Ça aussi, c’est très intéressant ! »
La programmation est véritablement un temps fort de l’organisation de l’(H)AMAC. Préalablement vus par plusieurs adhérents également chargés de collecter toutes les informations utiles (notamment le prix), des spectacles sont soumis à l’assemblée. Ceux-ci sont généralement montés par des petites troupes et compagnies, « accessibles aux petits moyens de l’association », issues de la région Centre ou plus lointaines. S’ensuivent de longues discussions, toujours amicales, où l’on sélectionne les quatre représentations les plus proches des convictions des adhérents et reflétant leur envie de partager avec le plus grand nombre. Au programme de la saison 2013, un numéro de contes et chansons pour petits et grands ; deux spectacles engagés – l’un sur les ouvrières du textile à l’époque où le secteur décline, l’autre en hommage au printemps arabe. Pour le dernier rendez-vous, ce samedi 22 novembre, deux pièces en un acte de Tchekhov, théâtre masqué de la compagnie la Porte ouverte.
La majorité des spectateurs de l’(H)AMAC sont des habitants du village ou du canton mais ils viennent parfois de plus loin, alléchés par l’ambiance chaleureuse que les membres de l’association ont su créer. « Le public est parfois surpris par notre mode de financement des spectacles, le plus souvent il est sensible à la démarche que nous entreprenons. Certains sont devenus de vrais fidèles, ils assistent à toutes les représentations que nous organisons pour soutenir notre association mais aussi pour la convivialité et la découverte culturelle qu’ils y trouvent » explique Linda. Olivier, un Orléanais qui vit à 30 km de là, a rejoint l’(H)AMAC en 2013 et n’hésite pas à faire la route pour goûter à cette chaleur et assister aux temps d’échanges organisés après le spectacle, où artistes et spectateurs peuvent discuter autour d’un buffet préparé par les bénévoles.
Mais en ce samedi 22 novembre, nous n’en sommes pas encore au buffet. Les premiers spectateurs commencent tout juste à arriver, tout le monde ou presque se connaît, les conversations s’animent.
Bientôt les trois coups… Que le spectacle commence !
[1] Les AMAP – Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne – créent un lien direct entre les paysans et les consommateurs, ceux-ci s’engageant à acheter la production du paysan à un prix équitable et en payant par avance.
Par Annie Rigault
Extrait de la rubrique Créateurs de culture de Kaizen 12.
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http://niceinnice.fr/les-boites-noires/