La Cantine savoyarde, une chaîne humaine antigaspillage

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    Lutter contre le gaspillage et la précarité alimentaire, telle est la double mission remplie par la Cantine savoyarde, à Chambéry. Inspirant !

    Tout commence par un tragique fait divers : le 29 décembre 1983, deux personnes sans domicile décèdent dans les rues de Chambéry. C’est l’émoi dans la communauté. Quatorze associations se réunissent pour éviter qu’un tel drame se reproduise. Une proposition émerge : la création d’une cantine associative à destination des personnes en errance. En relation avec la Mairie en place à l’époque, les associations établissent alors un système simple pour alimenter cette cantine : récupérer les plats non servis en milieu scolaire. « Ce ne sont pas des retours d’assiette. Les plats récupérés n’ont pas franchi la barrière du self », précise Alain d’Estournelles, directeur dynamique de la Cantine savoyarde. Résultat, en 2013, la Cantine a accueilli 1 800 bénéficiaires et servi 62 500 repas, soit une moyenne journalière de 171 repas. « C’est un triste record, se lamente le directeur. En 2000, nous servions seulement 40 000 repas, soit une augmentation de 50 % en treize ans. » Mais ce qui agace le plus Alain d’Estournelles, c’est que d’autres communes ne s’emparent pas de cette initiative facile à mettre en œuvre et pérenne. « Nous existons depuis 30 ans [deux ans avant la création des Restos du cœur], nous avons montré que c’était possible. La seule menace est de créer un appel d’air, mais vaut-il mieux prendre le risque de voir des sans-abri arriver ou laisser crever de faim les gens dans la rue ? Trente équipes municipales sont passées voir notre fonctionnement depuis la création de la Cantine savoyarde, et pas une seule n’a repris l’idée : c’est un vrai choix politique ! » À Chambéry, l’aide se concrétise notamment par un soutien matériel. La mairie a mis à disposition un local de 535 m2, avec une convention d’occupation de trente ans, et a pris à sa charge les investissements nécessaires pour la cuisine et le matériel de restauration. « Si toutes les préfectures de France reproduisaient ce modèle, dix millions de repas seraient servis par an », assène Alain d’Estournelles. « Mais ces cantines n’émergeront qu’avec une dynamique associative forte, soutenue par les communes », conclut-il.

    Une chaîne de solidarité

    La Cantine savoyarde, c’est avant tout une chaîne humaine, bien rodée, qui se met en marche tous les matins. Une centaine de bénévoles, accompagnés par dix salariés permanents, dont cinq en insertion, se relaient toute l’année pour collecter les denrées auprès d’une dizaine d’établissements scolaires et d’un hôpital psychiatrique.

    Pierre, bénévole, fait la tournée pour récupérer les aliments: Boulangers, maison de retraite, restau du coeur...
    Pierre, retraité, est bénévole. Il effectue des tournées pour récupérer les aliments.

    « Nous sommes douze chauffeurs bénévoles et, tous les matins, deux d’entre nous font le tour des établissements pour récupérer les plats de la veille non servis. L’après-midi, c’est un chauffeur salarié qui repasse dans les cantines »

    explique Pierre, bénévole qui consacre une demi-journée par semaine à l’association depuis 8 ans. « Avec mon épouse, nous en avions assez de nous lamenter sur le sort des pauvres qui sont à la rue, alors nous sommes venus un 31 décembre pour voir si on pouvait aider et, bien sûr, il y avait besoin de bras. Et nous sommes restés fidèles. » Enseignant à la retraite, Pierre a gardé sa fibre pédagogique : en s’appuyant sur l’expérience de la Cantine, il anime des ateliers-débats dans les collèges et les lycées sur le gaspillage alimentaire et la précarité sociale en France.
    Objectif atteint : un lycée a organisé en 2013 un challenge inter-classes, qui a rapporté 500 kg de denrées sèches (conserves, pâtes, purée, riz, céréales, café, chocolat…). Hors périodes scolaires, les boulangers, les maisons de retraites, certains supermarchés et commerçants, ainsi que les Restaurants du cœur et la Banque alimentaire pourvoient la Cantine savoyarde en nourriture. Ainsi, 60 tonnes de marchandises sont récupérées chaque année, ce qui permet à l’association d’être presque autosuffisante. En 2013, la Cantine savoyarde a dépensé 1 800 € pour l’achat de denrées alimentaires (lait, huile, sel, épices). Ces denrées sont valorisées par une équipe de cuisiniers – bénévoles et salariés. « Nous servons des repas chauds et équilibrés toute l’année », précise le directeur de la Cantine. « Nous avons même parfois de bonnes surprises, admet une bénévole en cuisine. Il nous est arrivé de récupérer du foie gras, car la veille d’un week-end, le commerçant a préféré nous le donner plutôt que de le jeter. » Cette solidarité permet de proposer gratuitement les 10 premiers repas à toute personne qui franchit la porte. Ensuite, le repas coûte 1,20 €, « mais si les gens ne peuvent pas payer, on leur demande de donner un coup de main pour les tâches ménagères ou le déchargement des camions. C’est aussi une façon de remettre le pied à l’étrier pour certaines personnes qui sont sorties du système. » Car ici, toutes les personnes dans le besoin sont accueillies : jeune, vieux, sans domicile fixe ou travailleur pauvre, célibataire ou chef de famille.

    « C’est plus qu’une cantine, c’est un espace pour créer du lien social »

    conclue Serge, bénévole depuis 8 ans. « Pour moi aussi, qui travaille en horaires décalés [tôt le matin et tard le soir], c’est un moyen de tisser du lien. »

    Quid du risque sanitaire ?

    La question est sur toutes les lèvres ! « En 30 ans, nous n’avons eu aucun soucis », confirme Alain d’Estournelles. « Nous trions et contrôlons avec soin. Tout ce que nous cuisinons est propre à la consommation. » Quant aux denrées non consommées, elles sont données aux paysans de la région. Pour garantir cette qualité, la Cantine savoyarde a mis en place, en accord avec la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Savoie, différentes procédures. Les principaux engagements de la Cantine savoyarde sont de transporter les denrées dans un véhicule isotherme et de servir les préparations refroidies au maximum 24 heures après les avoir reçues. Ces engagements ont permis la signature de conventions avec les fournisseurs, reconnaissant la responsabilité de la Cantine, ce qui permet de tranquilliser les établissements qui font des dons. Personne ne veut prendre de risque juridique. « Depuis 30 ans, le système est bien rodé, confirme Pierre. Les cuisiniers connaissent bien les procédures, et les trois chambres froides dont nous disposons permettent de préserver les aliments. » Il est en effet important que toutes les personnes concernées coordonnent bien leurs actions pour ne pas rompre la chaîne du froid, sans générer un surcroît d’activité pour le personnel des cantines scolaires. Mais avec un minimum de bon sens, les restes qui, dans toutes les autres cantines de France, finissent à la poubelle, nourrissent, à Chambéry, dans la bienveillance, des centaines de bouches par jour.

     

    Par Pascal Greboval

    Extrait de Kaizen numéro 17.


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