La musique classique a droit de cité

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    Donner des outils pour une meilleure intégration en transmettant le goût de la musique classique aux enfants qui n’y ont pas accès, tel est l’objectif du Dispositif d’éducation Musicale et Orchestrale à vocation Sociale (Démos). La force de ce projet : l’encadrement en groupe pour une pédagogie collective.

    Inaam , en repetition

    En ce jour ensoleillé de mai, Kefren a laissé sa clarinette et sa partition à la maison, tout comme son envie de jouer de la musique. Le garçon de 9 ans, qui habite Antony (Hauts-de-Seine), est inscrit, depuis septembre 2012, au Démos. Isabelle Serra, clarinettiste et titulaire d’un diplôme universitaire de musicien intervenant, commence le cours en demandant aux enfants comment ils ont vécu le concert qu’ils ont donné quelques jours auparavant. « C’était génial, mais j’ai eu le trac », avoue une jeune fille. Kefren rétorque : « Moi, je n’ai peur de rien. » La répétition commence. Isabelle propose à Kefren de se mettre au milieu du cercle des apprentis musiciens et d’écouter. Les premiers sons s’élèvent. Kefren se bouche les oreilles. Farid Daoud, animateur, prend la relève. Avec douceur, il emmène le garçon dans le couloir pour lui parler. De retour dans la salle, tous les deux découpent une feuille, la plient et dessinent dessus au feutre noir. Son origami terminé, Kefren vient s’asseoir à côté d’Isabelle. La musicienne est en train de faire travailler les doigtés aux enfants. Sous son regard bienveillant, il pose alors son doigt sur le do dièse de sa clarinette en papier.

    Du Venezuela à l’Île-de-France

    Inspiré par des initiatives basées sur l’apprentissage collectif de la musique, tel que l’emblématique programme « El Sistema » créé il y a 40 ans au Venezuela, le Démos a vu le jour en 2010 en Île-de-France (dans les Hauts-de-Seine, à Paris et en Seine-Saint-Denis), avant d’essaimer sur le territoire. Pour l’instant, deux autres départements – l’Isère et l’Aisne – ont rejoint ce dispositif dont bénéficient, au total, 800 enfants. Porté à l’origine par l’APSV (Association de Prévention du site de la Villette), avec le soutien de la Cité de la musique et le partenariat de l’orchestre de Paris et de l’orchestre Divertimento, le Démos est financé à 45 % par l’État, 45 % par les collectivités territoriales impliquées et 10 % par le mécénat. Ce dispositif a pour but la démocratisation – basée sur la musique classique – de l’enseignement culturel. Pourquoi ce répertoire ? « Parce que c’est un patrimoine culturel très fort esthétiquement », précise Isabelle Serra. Sont concernés les jeunes, de 7 à 14 ans, issus des quartiers relevant de la politique de la Ville et dont la famille n’a pas les ressources économiques, culturelles ou sociales pour franchir la porte des institutions existantes. Chaque participant au Démos se voit confier, gratuitement, un instrument de musique – corde, bois ou cuivre – et s’engage à suivre, durant trois ans, quatre heures de cours de musique par semaine, hors temps scolaire, au sein de la structure sociale du quartier qu’il fréquente.

    À Antony, le Service de prévention et de cohésion sociale de la ville veille sur Kefren et ses camarades de Démos. Explications de Brigitte Mariani, directrice du service : « Quand la Cité de la musique nous a présenté le Démos, nous nous sommes tout naturellement approprié ce dispositif qui cadre parfaitement avec notre politique d’intégration. C’est un outil précieux de résilience pour ces enfants. L’initiation à un art, comme la musique classique, donne du sens aux apprentissages. L’élève en difficulté scolaire prend confiance en lui. Le déclic se fait ensuite dans les autres matières. Par ailleurs, le Démos permet de leur donner d’autres repères que ceux du quartier. Et de dépasser les limites qu’ils se fixent. » Un avis que partage Kamel Zerrou, éducateur à Antony :

    « Si, au début, on a eu du mal à mobiliser les familles, maintenant, il y a une liste d’attente pour les inscriptions ! Les esprits se sont ouverts. On a dépassé le : “Ce n’est pas pour nous. » »

    La force du collectif

    Les jeunes musiciens se preparent pour la repetition. EN ATTENTE D'AUTORISATION

    Même enthousiasme du côté des musiciens. À les écouter, on saisit toute la force du collectif : « C’est la première fois que je peux enseigner la clarinette comme je l’ai toujours rêvé, dans une relation d’échange, confie Isabelle Serra. Au Démos, on travaille en collectif. Les musiciens et les éducateurs sont partenaires. Quand un enfant rencontre des difficultés à la maison ou à l’école, on en parle lors des réunions de suivi organisées régulièrement. On s’adapte ainsi à son rythme, puisqu’on n’est pas prisonnier d’une méthode, d’un programme ou d’un répertoire. » Chaque groupe d’enfants – ils sont environ une quinzaine par groupe – est ainsi encadré à la fois par deux musiciens professionnels et par un éducateur du champ social chargé, lui, de suivre l’enfant et de faire le lien avec les parents. Aux yeux de Paolo Vignaroli, flûtiste qui encadre les 15 musiciens du groupe d’Antony avec Isabelle, l’autre atout du Démos, c’est « sa pédagogie collective. L’apprentissage ne se fait pas en cours particuliers mais en groupe, contrairement aux méthodes des conservatoires de musique. Et le solfège n’est pas enseigné comme une discipline spécifique. La transmission se fait d’abord à l’oral et par la pratique instrumentale. On expérimente une approche basée sur l’émotion, le sensible. » Autre exemple de cette dimension collective : tous les jeunes jouent en orchestre. Huit d’entre eux, chacun rassemblant une centaine d’enfants, ont ainsi été constitués – quatre en Île-de-France, trois en Isère et un dans l’Aisne. En juin, les orchestres franciliens de Démos ont même donné deux concerts dans le « temple de la musique classique », la prestigieuse salle Pleyel.

    Un orchestre d’enfants, de parents et de musiciens professionnels

    Un mois avant la représentation, ils ont rendez-vous au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), à la Villette, pour une répétition. Alpha, 14 ans, suivi par le centre social Archipélia, dans le 20e arrondissement, arrive avec sa trompette. C’est un « ancien » du dispositif. Il y a participé dès 2010 et a, depuis, intégré le conservatoire de musique. « Je suis passé en VIP, quoi ! C’est le centre social qui a proposé à mes parents de m’inscrire au Démos. Au début, dans ma cité, les autres me critiquaient : “Ta musique, c’est un truc pour les Blancs.” J’étais découragé, mais mes parents m’ont dit que les vrais amis, ce sont ceux qui vous tirent vers le haut, pas vers le bas. Du coup, j’ai eu envie de me dépasser. » Maciré, 12 ans, lui aussi trompettiste, intervient :

    « Moi, ça m’apporte de la joie, de l’énergie ; ça me détend aussi. Et c’est la première fois que j’ai un instrument de musique à moi. J’en prends soin autant que de mon ballon de foot. Comme si c’était mon corps. »

    Pendant que les enfants répètent, les parents, eux, s’initient au chant. Dans une autre salle du CNSMDP, un petit groupe entonne l’air du « chœur des esclaves » du Nabucco de Verdi, sous la houlette d’Antoine Strub, chef de chœur au Démos. Lors du concert à la salle Pleyel, ils le chanteront avec leurs enfants et accompagnés par des musiciens professionnels. « Maintenant, afin de vous aider à maintenir la note, imaginez que vous tirez un fil. » Une maman éclate de rire : « Oh là là, moi, je m’emmêle plutôt les fils ! » Pour Zohra, c’est une grande fierté de voir son enfant faire partie du Démos : « À chaque fois qu’il y a un invité à la maison, il a droit à son morceau de clarinette. Et puis, mon fils apprend l’écoute et comment vivre en harmonie avec les autres. Il faut être derrière lui pour qu’il répète tous les jours, mais je le fais avec beaucoup de plaisir. » Marina Sichantho, coordinatrice territoriale du Démos sur les Hauts-de-Seine, est convaincue que « la motivation des enfants est le moteur principal. Mais si les parents ne s’impliquent pas, il y a davantage de risques qu’ils décrochent. » Ainsi, conclut Gilles Delebarre, responsable pédagogique à la Cité de la musique, « chacun avec sa partition œuvre collectivement pour mener un individu vers l’excellence ».

     

    Par Aude Raux

     

    Extrait de la rubrique Créateurs du culture de Kaizen 16.

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