La bio peut-elle vraiment nourrir le monde ?

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    En partenariat avec Changeons l’agriculture, le blog de Jacques Caplat.

    L’agriculture biologique est-elle vraiment une solution à grande échelle, capable de répondre autant aux enjeux alimentaires qu’environnementaux ?

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    Diverses cultures (et générations) au Bangladesh – Photo J. Caplat

    Les bénéfices environnementaux de l’agriculture biologique ne font pas de doute. Mais ils sont souvent opposés à ses supposés moindres rendements. C’est là un total contresens, puisque la bio est également l’agriculture la plus performante sur le plan agronomique et sur le plan social – or, la dimension sociale est centrale dans la question alimentaire mondiale.

    L’agriculture conventionnelle provoque la faim

    Il faut d’abord rappeler que la planète n’est pas en situation de sous-production agricole, bien au contraire. La production mondiale est actuellement de plus de 300 kg d’équivalent-céréales par humain et par an, alors que 200 kg suffisent. Exception faite de situations politiques et géo-climatiques ponctuelles et totalement indépendantes de l’agriculture (guerres civiles, séismes, cyclones), la faim dans le monde est un problème de pauvreté. Les 800 millions d’humains qui souffrent de la faim chaque année sont tout simplement ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter à manger.

    Or, pourquoi 800 millions d’humains sont-ils dans cette situation ? La majorité d’entre eux sont de petits paysans enfermés par leurs gouvernements (et souvent l’histoire coloniale) dans la pratique de cultures d’exportation. Comme le cours mondial est, par définition et depuis l’antiquité, un cours de surplus donc un cours « à perte », l’obligation faite par l’OMC depuis vingt ans d’aligner les cours intérieurs sur le cours mondial conduit ces fermes à produire en dessous de leur seuil de rentabilité. La spéculation particulièrement importante sur les productions tropicales exportées affaiblit encore plus le revenu de ces petites fermes. En conséquence, une fois leur récolte vendue (à perte), ces paysans n’ont tout simplement pas suffisamment de revenu pour s’acheter de quoi manger à leur faim ! Le système agricole mondial, basé sur des cours spéculatifs, est ici directement responsable.

    Une autre partie des affamés sont la conséquence directe de nos choix agronomiques. Les élevages hors-sol européens et nord-américains ne peuvent exister que parce qu’ils importent massivement du soja d’Amérique du Sud pour nourrir leurs animaux. Or, ce soja est cultivé dans d’immenses domaines hérités de l’époque coloniale, qui employaient autrefois énormément de main-d’œuvre. Cette dernière a été remplacée depuis 30 ans par des machines et de la chimie industrielle… et s’est retrouvée obligée de s’exiler dans les bidonvilles. Ainsi, la quasi-totalité des habitants des favelas du Brésil sont d’anciens salariés agricoles (et leurs enfants), réduits à la misère par la généralisation de l’agriculture conventionnelle dans leur pays. Nos choix techniques (élevage hors-sol) et la généralisation de l’agriculture conventionnelle (qui remplace les humains par la sur-mécanisation et la chimie industrielle) sont la première cause de la misère mondiale, et de la faim qui en découle.

    Seule l’agriculture biologique s’adapte aux milieux

    L’affirmation qui prétend que les variétés dites « améliorées » et l’agriculture conventionnelle auraient augmenté les rendements dans les pays du Sud est une imposture. Les agronomes qui arguent que le riz amélioré permet d’obtenir 10 tonnes par hectare et par an en Inde se fondent sur des travaux expérimentaux et sur les « meilleures années ». Prétendre que ces chiffres correspondent à la réalité concrète est soit de l’inconscience soit de la malhonnêteté. La réalité est simple : toutes les études qui mesurent les rendements réels dans les champs réels sur le long terme (et non pas seulement les « meilleures années ») constatent que les rendements moyens du riz conventionnel en Inde varient entre 2 et 4 tonnes par hectare et par an. C’est tout simplement moins que le riz biologique.

    La raison en est relativement simple. Les variétés dites « améliorées » nécessitent que l’on puisse adapter le milieu aux conditions artificielles de leur sélection : leurs hauts rendements ne sont assurés qu’à ce prix. Or, si les milieux tempérés (Europe et Amérique du Nord) se prêtent assez bien à cette artificialisation et à ce lissage des conditions de cultures, à coup d’engrais, de pesticides et d’irrigation, les milieux non-tempérés ne s’y prêtent absolument pas et ne pourront jamais s’y prêter ! La variabilité des climats non-tempérés implique que les « conditions idéales de la sélection » ne sont réunies qu’une année sur trois voire une année sur quatre. Le reste du temps, les rendements sont dérisoires, car ces variétés fonctionnent sur le mode du tout ou rien. L’agriculture conventionnelle a fait illusion au début de sa généralisation sous le nom de révolution verte, car elle bénéficiait de la fertilité accumulée préalablement dans le sol et car elle était développée dans des sociétés agraires déstructurées et ruinées par la colonisation puis la décolonisation. Aujourd’hui, alors que le capital-sol a été épuisé et où d’autres agricultures performantes ont pu être élaborées ou retrouvées, le modèle conventionnel montre ses limites et devient proprement aberrant.

    Pire, cette agriculture conventionnelle fondée sur des cultures pures conduit à rendre les sols particulièrement vulnérables car souvent nus ou demi-nus, et provoque peu à peu une érosion (par les vents, par des pluies tropicales très violentes, etc.) qui risque de transformer une partie du monde en désert.

    À l’inverse, l’agriculture biologique est fondée sur la protection des milieux et la reconstitution des écosystèmes. Grâce aux cultures associées (et en particulier aux arbres et arbustes), la bio permet de stabiliser les sols et de les protéger contre les vents et les pluies. Grâce aux cultures associées et à la suppression de la chimie de synthèse, la bio reconstitue et enrichit la fertilité biologique des sols. Grâce aux cultures associées, la bio optimise l’utilisation de la photosynthèse et augmente naturellement et durablement les rendements (voir une note antérieure sur l’importance agronomique des cultures associées). D’un autre côté, l’agriculture biologique s’appuie sur des variétés végétales et des races animales adaptées aux milieux et évolutives. Cela permet non seulement d’obtenir des rendements beaucoup plus réguliers et sécurisants que les variétés standardisées, mais en outre de voir les plantes s’adapter progressivement et insensiblement aux évolutions climatiques en cours. Dans le contexte inexorable des dérèglements climatiques, seules des agricultures utilisant des plantes adaptées, adaptables et évolutives pourront fonctionner à moyen terme.

    La bio permet une alimentation accessible et diversifiée

    Produire ne suffit pas. Pour qu’une population se nourrisse, encore faut-il qu’elle ait un travail donc un revenu, et que les aliments disponibles permettent de disposer d’une alimentation équilibrée. C’est justement l’une des grandes vertus de l’agriculture biologique. Comme elle permet de maintenir une main-d’œuvre agricole nombreuse et de la nourrir directement, la bio évite l’exode rural. Or, dans les pays du Sud, l’exode rural n’est pas synonyme de développement comme certaines agences internationales semblent étonnamment encore le croire, mais de misère : 90 % des ruraux qui arrivent en ville se retrouvent à mourir de faim dans des bidonvilles. Maintenir une vie rurale active permet d’éviter cette paupérisation. En outre, les techniques bio imposent une diversité de cultures (cultures associées, rotations complexes), et par conséquent conduisent à une alimentation beaucoup plus riche et équilibrée que l’agriculture conventionnelle.

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    Cultures associées au Nord-Bénin – Photo J. Caplat

    L’agriculture biologique nourrira bien mieux l’humanité que l’agriculture conventionnelle

    Le résultat est indiscutable. Toutes les études internationales qui ont étudié les rendements réels dans les fermes réelles sur des millions d’hectares (et non pas des rendements expérimentaux d’agronomes réductionnistes) parviennent à la même conclusion, sans aucune exception, sans controverse possible. Dans les pays non-tempérés, correspondant aux trois-quarts de la planète et à la quasi-totalité de l’humanité, les rendements de l’agriculture biologique sont aujourd’hui supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.

    Les seules régions du monde où les rendements bio sont inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle sont le Canada et l’Europe. Comment s’en étonner ? En Europe et en Amérique du Nord, les paysans ne peuvent pas disposer de variétés adaptées aux milieux (les règlements sur les semences les en empêchent), ne disposent pas de savoirs sur les cultures associés et l’agroforesterie (certains pionniers les inventent actuellement, mais beaucoup reste à faire), ne peuvent pas développer de systèmes riches en main-d’œuvre (car toute la fiscalité a été bâtie pour défavoriser l’emploi et favoriser la mécanisation, créant une terrible distorsion de concurrence à l’encontre des agricultures riches en emploi, cf. une note antérieure).

    Il faut donc sortir de notre habituel ethnocentrisme. Certes, pour des raisons politiques et historiques, l’agriculture biologique ne peut pas encore parvenir à obtenir de meilleurs rendements que l’agriculture conventionnelle en Europe et au Canada (ils sont cependant déjà équivalents aux États-Unis). Mais d’une part c’est là une conséquence de politiques agricoles qui écrasent la bio et l’empêchent d’être performante, et d’autre part c’est une paille à l’échelle mondiale ! Nos petits pays ne sont pas représentatifs du monde. À l’échelle mondiale, l’agriculture biologique est globalement plus performante que l’agriculture conventionnelle, elle est la seule capable de s’adapter aux changements climatiques, elle permet en outre de redonner un revenu aux populations paupérisées et elle est donc, de loin, la solution technique la plus efficace pour nourrir l’humanité.

    Par Jacques Caplat

    Article initialement publié le 1er novembre 2014 sur le blog Changeons l’agriculture.

     


    Pour aller plus loin, vous pouvez lire le rapport d’Olivier De Schutter (ancien rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation) ou la synthèse de l’université d’Essex (qui a comparé 37 millions d’hectares dans les pays non-tempérés ; étude en anglais). NB : pour des raisons diplomatiques ou personnelles, ces études parlent d’agroécologie ou d’agriculture préservant les ressources – mais 99 % des cas qu’elles appellent ainsi relèvent de l’agriculture biologique au sens d’IFOAM et de ses fondateurs, comme le révèle la lecture détaillée des exemples cités. Enfin, une autre étude ciblée sur l’Afrique montre un doublement des rendements en bio, celle du Programme des Nations-Unies pour l’environnement (en anglais).


    Lire aussi : La base de la vie est la santé, la base de notre santé est l’alimentation

    Lire aussi : Comment les cubains ont converti leur île au bio

    9 Commentaires

    1. Il y a un truc très con mais que peut-être il faudrait prendre en compte, et qui pourrait booster cette (seule) d’agriculture : c’est le fait qu’on l’ait appelée dès le début « biologique », au lieu de NATURELLE, ce qui a pour effet sur les personnes sceptiques et pas très curieuses d’amalgamer biologique et chimique, alors que c’est exactement l’inverse !!!
      C’est le biologique qui est naturel, et le conventionnel qui est chimique.
      D’ailleurs le label « AB » (Agriculture BIOLOGIQUE) est là pour entretenir la confusion, et continuer à faire passer les « conscientisés » pour des originaux!
      Les mots ont un sens !
      Il faudrait déjà parler d’AGRICULTURE NATURELLE (et non plus biologique), fruit d’expériences partout dans le monde qui ont fait leur preuve, et qui coûte beaucoup moins cher à mettre en oeuvre – c’est sans doute ce qui dérange !

    2. > Les bénéfices environnementaux de l’agriculture biologique ne font pas de doute.

      Pas forcément. Une moindre utilisation de produits phyto peut mener à des intoxications.

      > la bio est également l’agriculture la plus performante sur le plan agronomique et sur le plan social – or, la dimension sociale est centrale dans la question alimentaire mondiale.

      Ça se discute : une agriculture qui nécessite plus de main d’œuvre, c’est une agriculture qui coûte plus cher (il suffit de pousser les portes d’une boutique bio et comparer le prix des produits avec les supermarchés habituels) : c’est donc une agriculture réservée à une minorité.

      > Pire, cette agriculture conventionnelle basée sur des cultures pures conduit à rendre les sols particulièrement vulnérables car souvent nus ou demi-nus, et provoque peu à peu une érosion

      Le non-labour n’est pas forcément pratiqué en bio, et l’est parfois/de plus en plus en conventionnel.

      Au final, le bio est surtout une idéologie qui mélange tout. Il faudrait enfin qu’ils sortent de l’obscurantisme de Steiner et compagnie et adoptent une analyse scientifique de l’agronomie.

      Oui les sols sont très importants, oui le labour est une erreur pratiquée depuis le début de l’agriculture, oui on doit utiliser les produits phyto au plus juste, mais non, on ne nourrira pas 9 milliards de personnes avec le bio tel qu’il est pratiqué actuellement dans quelques pays riches.

      http://blogs.scientificamerican.com/science-sushi/2011/07/18/mythbusting-101-organic-farming-conventional-agriculture/

      http://www.geneticliteracyproject.org/2015/01/04/scientist-mothers-view-organic-and-whole-foods-are-scam-of-the-decade/

    3. l’agriculture biologique une spéculation sœur à l’écologie qui parait consciencieuses aux pratiquent qui soutiennent le développement durable.Même nous avons toujours tendance à maximiser les bénéfices mais les substrats sur lesquels on doit travailler ou les conditions environnementales ne répondent pas nous aurons du mal à bien produire.Si peu on pouvait pour longtemps ça serait agréable que beaucoup pour peu de temps mais nuisible.

    4. sujet et débat intéressant , agriculteur Bio au Cameroun depuis prés de 30 ans et acteur des associations Bio d Europe et du monde depuis plus de 25 ans , agro écologiste car c est bien cette approche globale qui est utile a l humanité au sens large , c est a dire les hommes la nature la société , il est très difficile mémé dans le domaine de la Bio malgré les discours d intégrer à 100 % l éthique et l équité dans les transactions et pour cause , la responsabilité de promouvoir des modes de cultures sains , porteur de développement durable incombe à tous , le moyen de mise oeuvre des politiques pro environnementales incombe au législateur et a l exécutif , s agissant du bio ou de l agro Ecologie , oui la prise de conscience planétaire(au moins des décideurs) est déjà la aujourd’hui , mais comment faire pour renverser la tendance et mettre en oeuvre des paradigmes qui acceptent que l homme et l environnement sont le premier enjeu, devant tous les autres , si celui qui n a pas de ressources suffisantes achètent un poulet de batterie moins cher ce n est pas qu il ignore qu il peut acheter un label rouge ou mieux qu il peut acheter un poulet bio , c est juste que notre système est encore hyper mal organise mémé si les apparences font croire autre chose
      la responsabilité des système de formation d accompagnement a la certification incombe aux états , en commençant pas les nations unis , mais pour agir il faut une pression il faut éduquer les consommateurs au gout a la qualité depuis l enfance a la maternelle (ceci existe déjà dans quelques communes de France) , il faut que les missions de l agriculteurs qui sont des missions tres nobles mais méconnues soient enfin reconnues et sanctifiées , alors le rapport a l aliment changera et probablement cela influencera positivement les rapports entres les Hommes , donc pour revenir au prix dans les magasins Bio , ils ne représentent souvent pas le niveau d effort consenti par le producteur si nous sommes dans une chaîne de valeur courte , souvent l industriel se gave ,trop oubliant que sans producteurs pas de matière première , et c est ainsi qu il introduit par cette attitude des risques de fraude , encore des conséquences négatives favorises par l absence de rigueur et de cohérence
      Quel est le prix de la préservation de l environnement ou celui de l atténuation des maladies liées aux pollutions chimiques dans les chaines alimentaires , y compris les alimentaires maritimes , quel est le prix de l éradication des abeilles due a la chimie de synthèse , l état devrait subventionner les consommateurs bio au moins ceux qui viennent de naître car c est un investissement très rentable a moyen terme ,
      je cultive des papayes ananas avocat bananes mangue et mes clients du Cameroun et de France se régalent, je m interdis de cultiver haricot vert et tomate pour la France car mes collègues de France s en occupent très bien , nous sommes donc complémentaire

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