Des hommes et des femmes au secours des tortues marines

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    Elles sont les doyennes des océans, qu’elles peuplent depuis plus de 150 millions d’années. Si les tortues marines ont survécu à toutes les crises climatiques, elles sont victimes de la pollution et de prises accidentelles par les filets de pêche. C’est là qu’entre en scène le CESTMed, un centre qui accueille les animaux blessés, les soigne et les étudie.

    C’est un grand jour. Bokit est remise à l’eau, à Saintes-Marie-de-la-Mer, entre Montpellier et Marseille. Pêcheurs locaux et habitants sont venus en famille assister à l’événement. Cette tortue caouanne a été pêchée accidentellement au large de Port-Saint-Louis, trois mois plus tôt. Les pêcheurs ont aussitôt prévenu le Centre d’études et de sauvegarde des tortues marines de Méditerranée (CESTMed), situé au Grau-du-Roi. 

    L’espèce est protégée, classée comme « vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En France, on trouve des tortues marines en Outre-mer ainsi que le long des côtes atlantique et méditerranéenne. Elles pondent habituellement en Méditerranée orientale (Grèce, Tunisie, Libye…), mais elles le font de plus en plus en Italie, en Espagne et plus exceptionnellement en France : un effet du réchauffement climatique, combiné aux efforts de conservation. Une soixantaine de caouannes, l’une des sept espèces de tortues de mer dans le monde, sont ainsi nées, à la fin du mois d’août 2020, sur la plage du centre-ville de Fréjus. 

    Opération sauvetage

    Plongeur professionnel, Jean-Baptiste Sénégas capturait des espèces marines pour le Seaquarium quand il a créé le CESTMed, en 2003 : régulièrement, des pêcheurs lui amenaient des tortues prises dans leurs filets. Hébergé par l’aquarium, le centre de soins de l’association a accueilli depuis près de 500 tortues marines, hormis deux tortues vertes (Chelonia mydas), toutes des caouannes (Caretta caretta), l’espèce la plus commune en Méditerranée – elle en abriterait entre un et deux millions. Les trois quarts de ces animaux ont été récupérés par le CESTMed après avoir été capturés accidentellement par des pêcheurs dans leurs filets ou emmêlés dans une ligne de pêche, vivants mais épuisés et souvent blessés. Les autres ont été retrouvés très affaiblis en mer ou échoués sur une plage, parfois entaillés ou amputés après une collision avec un bateau. 

    « Les pêcheurs jouent un rôle de premier plan pour la conservation de ces animaux. »

    Jean-Baptiste Sénégas s’appuie sur une vingtaine de bénévoles réguliers et collabore avec le Réseau des tortues marines de Méditerranée française (RTMMF) et des pêcheurs locaux. Une relation de confiance s’est nouée avec ces derniers, au fil des années. « Quand ils capturent involontairement une tortue marine, les pêcheurs la gardent à bord et nous appellent pour que nous la prenions en charge. S’ils la remettaient à l’eau épuisée ou blessée, elle pourrait se noyer », explique-t-il. Mobilisés, les pêcheurs jouent un rôle de premier plan pour la conservation de ces animaux.

    Tenu par un vétérinaire, le centre de soins du CESTMed est équipé d’une dizaine de bassins individuels de 1 500 litres. Comme les autres tortues, à son arrivée, Bokit a bénéficié d’un bilan de santé complet : pesée, mesurée, photographiée, soignée. Certaines de ses congénères restent en convalescence pendant deux ans, en cas d’amputation ou de fracture du crâne. D’autres reçoivent des points de suture ou subissent une intervention chirurgicale permettant d’extraire un hameçon qu’elles ont ingéré. 

    Remise sur pattes

    Chaque tortue est étudiée. Une prise de sang permet de réaliser une analyse génétique et de déterminer son appartenance – à la population méditerranéenne, logiquement. D’origine asiatique, la caouanne a colonisé tous les océans, sauf l’Arctique, et s’est installée en mer Méditerranée à la fin de la dernière glaciation, il y a environ dix mille ans. 

    Ses fèces sont envoyées au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE), à Montpellier, sous tutelle du CNRS, pour déterminer la quantité de plastique et de microplastique (des morceaux dont la taille est inférieure à 5 millimètres) présents. La caouanne est l’espèce retenue officiellement par la Commission européenne comme bio-indicateur en matière d’ingestion de déchets en Méditerranée – la mer la plus polluée de la planète – dans le cadre d’une directive de 2008 pour définir le bon état écologique des océans.

    « En Méditerranée française, Corse incluse, 82 % des tortues examinées ont ingurgité du plastique, contre 62 % dans l’ensemble de la Méditerranée », pointe Claude Miaud, enseignant-chercheur à l’École pratique des hautes études (EPHE), à Montpellier, qui coordonne le programme européen Indicit (Indicator Impact Turtle). « La nourriture est rare en pleine mer : les tortues avalent ce qui flotte autour d’elles – du bois, du plastique, qui est rapidement colonisé par des mollusques. Elles possèdent un œsophage particulier, pourvu d’un système anti-retour qui les empêche de recracher. Mais l’ingestion de plastique est rarement la cause de leur mort : sur 1474 tortues autopsiées, quatre sont décédées d’une occlusion intestinale », précise le chercheur. 

    Une fois qu’elles sont remises sur pattes au centre de soins du CESTMed, les tortues sont transférées au centre de réhabilitation de l’association à La Grande-Motte. En milieu semi-naturel, dans le canal du Ponant, elles se réacclimatent à la vie sauvage avant de retrouver leur élément : la grande bleue. 

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