À Nantes, de mars à septembre 2021, des personnes condamnées ont échangé avec des victimes afin que chacun se répare et avance. La justice restaurative, bien connue en Australie ou au Canada, se développe enfin en France. Une alternative vectrice de paix sociale.
Des femmes et des hommes assis en cercle. Qui se parlent, s’écoutent, questionnent, répondent, pleurent aussi. Voilà l’image qui résumerait la session de justice restaurative que les associations Adaes 44 et France Victimes 44 ont organisée l’année dernière, à Nantes. La justice restaurative est un dispositif qui permet à des personnes victimes et des personnes condamnées d’échanger. La plupart du temps, ces personnes ne sont pas liées par la même affaire, mais sont concernées par un même type d’infraction. Il ne s’agit donc pas de rejouer le procès d’une personne, mais de créer un espace de parole et de dialogue. Menée depuis longtemps en Australie ou au Canada, la justice restaurative veut rétablir une paix sociale, en donnant l’opportunité à des victimes et des condamnés de mieux se comprendre mutuellement. En France, elle existe depuis 20151.
Des témoignages intenses
« La justice restaurative se mène dans un cadre très précis », raconte Karine Bonhomme, éducatrice spécialisée à l’Adaes 44 et médiatrice. Les participants se rencontrent cinq à six fois, lors de cercles médiatisés par deux professionnels, en la présence de bénévoles représentant la société civile. Ces derniers sont là pour être témoins des échanges et participent au temps de pause. Tous sont formés par l’Institut français pour la justice restaurative. « Les participants sont volontaires, les échanges sont confidentiels, la règle numéro un est le respect de l’autre », poursuit-elle. La démarche ne peut avoir aucune incidence sur la procédure judiciaire.
A Nantes, les participants étaient des auteurs et des victimes de violences conjugales. « Avant la première rencontre, nous avons reçu chacun d’entre eux pour trois entretiens individuels. Pour évoquer leur vie, les faits, leurs ressentis, la démarche. » Puis les infracteurs et les victimes se sont rencontrés entre eux une première fois, chacun de leur côté. Un mois s’est écoulé entre chaque rendez-vous. Le temps est important. Chacun a le droit de se retirer du processus ou de la séance à tout moment.
« Pour la première rencontre plénière, les victimes ont pris possession des lieux quinze minutes avant les agresseurs, retrace Karine Bonhomme. Qu’elles se sentent en sécurité et non sous emprise est primordial. » Pendant trois heures, les témoignages ont été très intenses, plus authentiques qu’à un procès. « Les victimes se sont autorisées à dérouler la cruauté des violences subies. Les agresseurs écoutaient et répondaient honnêtement à leurs questions : “Comment un homme peut devenir agresseur alors que le couple est un lieu protecteur ?” » Avant de se quitter, les participants se retrouvent en sous-groupe pour verbaliser ce qu’ils ressentent.
Le début de la réparation
Yona, Eva, Laurence, Héloïse, Chris et Romain ont participé à des sessions ailleurs qu’à Nantes2. « Ça m’a permis de parler, raconte Yona, victime d’une tentative de meurtre. J’avais l’impression d’avoir des tonnes de choses à raconter que j’avais gardées au fond de moi et qui me torturaient. » Pour Eva, victime de violences sexuelles, c’est d’abord la compassion des autres victimes qui l’a touchée: « Quand elles ont raconté leur histoire, je me suis dit “on est dans le même bateau”. » Laurence, victime de violences sexuelles, a été soulagée par les réponses des agresseurs : « Je ne comprenais pas pourquoi il n’avait pas entendu mon “non”. Eux, ils ont pu m’expliquer que c’était vraiment leur faute à eux. Que quand ils avaient commencé l’action, ils ne pouvaient plus se défiler. Pour eux, le “non” ne comptait pas. »
Quand on a fait du mal, c’est bien de pouvoir donner du bon.
« Des personnes les ont prises pour des objets, confirme Chris, agresseur sexuel. Aujourd’hui, je me sens apaisé d’avoir pu reconnaître que j’ai mal agi, qu’elles sont victimes, que c’est pas de leur faute. » Pour Yona, ce genre de phrases a été libérateur: « Entendre ça de la part des parties adverses, cela permet aux gens de relever la tête. » Romain, condamné pour meurtre, ajoute: « Ce qui a été positif, c’est de sentir que nos réponses à leurs questions leur faisaient énormément de bien. Quand on a fait du mal, c’est bien de pouvoir donner du bon. »
Se dire qu’en face on a juste quelqu’un comme nous…
Pendant les séances, Romain a remarqué que des ponts, des points de convergence de vie se créaient entre agresseurs et victimes. Eva confirme: « Mon plus grand apprentissage, c’est qu’on est juste des hommes et des femmes. On se retrouve brisés à un moment et on a cela en commun. Toucher ça du doigt, c’est le début de la réparation. Se dire qu’en face on a juste quelqu’un comme nous… » Les séances ne sont pas toutes roses et idylliques. Certaines choses sont dures à entendre. Eva y a trouvé une occasion de se renforcer : « Un jour, un auteur a trop parlé de lui comme une victime. Donc, là, j’ai dit “stop”, je ne peux plus entendre “ça”. J’ai failli tout plaquer et puis je me suis dit non, je vais lui exprimer. J’ai affirmé mes besoins. Il a entendu qu’il avait dépassé mes limites. C’est un premier pas pour ne plus être une victime. »
La nécessité de demander pardon
À Nantes, les participants ont expliqué à Karine Bonhomme combien le pénal les avait déçus: « Les victimes ne sont pas forcément rassurées par les peines prononcées, car elles ne savent pas ce que l’auteur pense ni s’il a pris conscience de leurs souffrances. » Grâce à la justice restaurative, elles mettent leur vécu à distance et reprennent confiance. « La plupart ne s’autorisaient plus à être en lien avec des hommes. Beaucoup ont dit: “Je ne suis pas obligée de rester terrée chez moi, je peux penser à demain.” » Les agresseurs, eux, ont pris une claque, non pollués par une posture défensive comme à leur procès. Ils ont compris les conséquences de leurs actes sur le quotidien des victimes.
« Cela m’a fait du bien, le courage qu’elles ont eu de nous parler, dit Chris. Ça m’a apporté une forme de pardon, comme si elles nous reconsidéraient, comme si on faisait partie de la société. À la fin, elles nous ont serré la main, comme si elles nous encourageaient dans cette voie. » Auprès des participants, Karine Bonhomme a insisté sur la nécessité de demander pardon, même s’ils ne l’obtiennent pas. Pendant leur dernière séance collective, les participants se sont échangé des mercis droit dans les yeux, des fioles de sable d’une belle plage, des bracelets brésiliens à couper au moment opportun. « Deux mois après, on reçoit chacun pour une dernière rencontre, clôt Karine Bonhomme. On fait le point sur leur cheminement, leur manière de faire le deuil de cet espace d’échange pour repartir dans la vie sans nostalgie. »
- La justice restaurative a été introduite par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines. Vingt-six sessions de justice restaurative ont été menées en 2019.
- Ces témoignages sont tirés d’« Enquête nationale sur la justice restaurative 2020 » de l’IFJR
Article issu de notre dossier « Police, justice : des alternatives au système répressif » du K61, disponible sur notre boutique en ligne.
Pour aller plus loin
Lire aussi
Françoise Vergès : « L’Etat devrait investir dans l’éducation plutôt que dans les prisons »