À Beaumesnil, dans l’Eure, l’École des semeurs prépare des jeunes de 14 à 18 ans en décrochage scolaire au CAP de vendeur primeur et les forme au maraîchage biologique. Une école de production devenue une véritable école de vie !
C’est une rentrée pas comme les autres pour les douze élèves de l’École des semeurs de Beaumesnil (Eure), première école de production [1]en France spécialisée dans le maraîchage biologique et la vente de produits en circuit court. Il est 8h30 ce mercredi, Salim et Mathis, encadrés par leurs maîtres professionnels commerciaux, attendent le chaland sur le marché de La Barre-en-Ouche. « J’aime bien vendre des produits bio qu’on a cultivés nous-mêmes, mais c’est difficile de retenir tous les prix ! » confie Mathis. Comme son camarade, Salim a arrêté le collège en troisième. « Je voulais être soigneur animalier, mais les cours ne m’intéressaient pas. On m’a proposé cette formation et ça me plaît. »
Mathis et Salim ainsi que tous les écoliers ont d’abord participé à quelques journées d’immersion avec les anciens élèves afin de savoir s’ils pouvaient résister au froid, à la pluie et surtout s’ils étaient motivés pour la formation. « La philosophie de l’école, c’est apprendre en faisant, précise Benjamin, qui a une longue expérience de vente directe sur les foires gastronomiques. Les élèves nous observent, on leur explique comment vendre et parler aux clients. »
Cette mise en situation en douceur permet aux vendeurs en herbe de se familiariser avec le métier. « Ce n’est pas évident de s’adresser à des clients quand on est jeune et timide, souligne Thibaut, ancien responsable de rayon fruits et légumes dans une Biocoop. En plus de la pratique, les élèves suivent des cours théoriques pour apprendre à monter un étal, réceptionner une livraison, connaître les critères de fraîcheur et de maturité, installer les produits en rayon, calculer les marges… » Cette école innovante, c’est Marie-Cécile Pennequin qui l’a créée en 2019. Après des études d’ingénieur et un master en management de la solidarité internationale et de l’action sociale, la jeune femme fait un stage chez À la bonne ferme, une structure d’insertion pour adultes près de Compiègne. « Je voulais trouver un lieu qui ait une âme et dupliquer le modèle de À la bonne ferme, raconte-t-elle, mais avec des jeunes de moins de 18 ans, avant qu’ils soient largués par le système et pour leur permettre d’avoir un diplôme. Mon projet a été bien accueilli par la Fédération nationale des écoles de production. Et, en 2019, la Région Normandie a proposé des financements pour ce projet. »
Miser sur la production
L’établissement ouvre ses portes en janvier 2020 dans le superbe cadre du château de Beaumesnil. La Fondation du château lui loue les 4,5 hectares de terres et met les vieux bâtiments à sa disposition. En ruine, ceux-ci ont été entièrement rénovés par l’équipe de six salariés et de nombreux bénévoles. Six jeunes en décrochage scolaire sont recrutés… deux mois avant la pandémie. Les critères de sélection ? « Seule la motivation est prise en compte, affirme Marie-Cécile. Ici, on prend le temps, on part des connaissances des
élèves et on s’adapte à leur rythme. On crée une ambiance conviviale pour qu’ils s’épanouissent et se sentent en confiance. »
Pendant deux ans, les élèves (douze maximum par promotion) apprendront à cultiver et à vendre leur production. L’École des semeurs délivre un CAP de vendeur primeur, mais pas de maraîcher. « On a l’agrément de l’Éducation nationale, pas encore celui du ministère de l’Agriculture », regrette Marie-Cécile. Aidée par l’État et la Région à hauteur de 33 % de son budget annuel (environ 340 000 euros), l’école fait un tiers de son chiffre d’affaires en vendant sa production (15 à 20 tonnes par an). Le reste, ce sont des dons. En 2020, grâce au 1 % pour la Planète, elle a aussi été aidée par de nombreuses fondations et entreprises. De leur côté, quand les revenus de leur famille le permettent, les élèves contribuent à hauteur de 55 euros par mois.
Dès qu’on s’occupe d’eux et qu’on les encourage, ils prennent plaisir à apprendre et progressent car on les considère comme des adultes et on accorde du prix à leur parole.
Il est 11 heures. Le cours de maths des deuxièmes années a commencé avec Julie. Ancienne professeure de collège en Seine-Saint-Denis, elle est responsable pédagogique de l’école. « Étant un établissement hors contrat, nous avons une grande liberté pédagogique, explique-t-elle. C’est super d’enseigner à un petit nombre d’élèves et de pouvoir les suivre individuellement. Dès qu’on s’occupe d’eux et qu’on les encourage, ils prennent plaisir à apprendre et progressent car on les considère comme des adultes et on accorde du prix à leur parole. » Florentin a fini ses exercices de probabilités et propose à Alexis de l’aider. Dylan, lui, a besoin d’un petit coup de pouce pour le dernier exercice. En plus des maths, les cours de français, anglais, histoire-géographie, matières scientifiques et PSE (protection santé environnement) occupent un tiers du temps des élèves. Faute d’être sous contrat avec l’Éducation nationale, l’école n’a pas encore les moyens de salarier d’autres enseignants. Ce sont donc des bénévoles qui prennent le relais.L’heure du déjeuner a sonné. Les jeunes rejoignent la cantine de l’IME (institut médicoéducatif) voisin qui met à disposition ses salles de classe et sa cuisine. Au menu de ce mercredi : côtelette de porc et haricots maison !
Devenir autonomes
Après le repas, les apprentis maraîchers passent à l’action. En bottes et combinaison, ils rejoignent les terres maraîchères (1,2 hectare), désormais labellisées AB. Guidés par Jean, ils vont semer, repiquer, planter, récolter pendant deux heures. À 25 ans, Jean a troqué sa formation d’ingénieur pour un service civique en maraîchage à l’École des semeurs en 2020. Son enseignement s’appuie sur l’observation: « Tous
les lundis matin, je fais un tour de parcelle avec les élèves pour qu’ils vérifient par eux-mêmes l’évolution des cultures, s’il n’y a pas de ravageurs, une maladie, du désherbage à effectuer… Plutôt que d’appliquer ce que je leur dis de faire, l’objectif est qu’ils soient proactifs et deviennent autonomes. Au fur et à mesure, ils prennent goût au travail et se motivent parce qu’ils font tout, de la semence à la vente. »
Célia coupe les stolons des fraisiers. Elle a 16 ans, et a arrêté l’école en quatrième. « J’aime tout ici, s’enthousiasme-t-elle, toucher la terre, faire pousser des légumes, mais surtout, j’aime être dehors ! Et puis il y a une bonne ambiance, les profs sont sympas, ils nous écoutent et je vais pouvoir avoir un diplôme. » À l’abri d’un bâtiment, trois élèves de deuxième année installent leur étal : c’est jour de vente et de cueillette pour les visiteurs.
Après leur diplôme, Florentin et Alexis veulent passer un bac pro et devenir maraîchers. Dylan se contentera de son CAP et hésite encore entre vente et maraîchage. Les trois adolescents ne regrettent pas le collège. « J’aime être dans la nature, voir les légumes pousser, de la graine jusqu’au fruit. J’apprécie moins les cours théoriques mais je sais que c’est utile », reconnaît Florentin. Ses camarades préfèrent eux aussi la pratique à la théorie, mais comme le dit Dylan : « Je suis content d’apprendre des choses nouvelles. Depuis l’an dernier, j’ai bien progressé en maths. » Cultiver sans produits chimiques est une évidence pour eux. « Le bio, c’est le futur, affirme Alexis, c’est meilleur pour la santé des gens et de la Terre. »
Il est 16 heures, la journée s’achève. Chacun repart avec un rêve d’avenir. Marie-Cécile et son équipe ont, elles aussi, plus d’un rêve en tête : créer une conserverie en insertion, proposer une formation agricole sur trois ans, avec double CAP maraîchage et vente… La fondatrice souhaite aussi accueillir des jeunes qui ont simplement envie d’apprendre le métier. Comme le dit Jean, « l’agriculteur n’est pas un dernier de cordée. Son métier est noble, il a du sens et il est utile »
POUR ALLER PLUS LOIN
• ecolesemeurs.com
• ecoles-de-production.com
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