Tous les avantages du passage à 110 km/h sur l’autoroute

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    Diminuer sa vitesse pour avancer sur la feuille de route de la transition écologique [1], c’est ce que préconisent une dizaine de personnalités, dans une tribune publiée dans le JDD incitant à limiter la vitesse à 110 km/h sur l’autoroute. Si les fonctionnaires sont déjà appelés à respecter cette limite depuis novembre, quels seraient les impacts de cette mesure sur l’environnement et les usager·ères de la route, si elle était généralisée à tous les Français·es ? Réponses avec Aurélien Bigo, chercheur en transition énergétique des transports.

    Quel serait l’impact d’une limitation à 110 km/h sur l’autoroute, pour l’environnement ?

    Cela permettrait tout d’abord de diminuer les consommations d’énergie des véhicules. D’après les données dont nous disposons, passer de 130 à 110 km/h sur l’autoroute permettrait de réduire la consommation de carburant d’entre 16 et 20 % pour les véhicules thermiques, et de 24 % pour les véhicules électriques. Ces ordres de grandeur sont néanmoins à relativiser, la vitesse moyenne sur autoroute étant actuellement de 118 km/h, et non de 130.

    De même, réduire la vitesse d’une mobilité, c’est aussi inciter les automobilistes à aller moins loin. Depuis deux siècles, nous n’avons eu de cesse de développer des transports plus rapides, mais n’avons pas profité de l’augmentation de ce potentiel de vitesse pour passer moins de temps dans les transports… Au contraire, nous y dédions environ 1h par jour, ce pour parcourir des distances 10 à 12 fois plus élevées en moyenne ! Ainsi, avec la limitation à 110 km/h, soit une personne acceptera de passer plus de temps dans les transports pour réaliser la même distance que d’habitude, soit elle décidera de se rendre moins souvent à sa destination, ou d’en sélectionner une moins lointaine, afin de baisser ce temps de transport (notamment dans le cas des vacances). Cette limitation aurait également pour conséquence de favoriser le report sur d’autres modes de transports que la voiture, qui deviendront plus intéressants, car perçus comme plus efficaces et rapides en comparaison.

    D’autres effets indirects seraient aussi à prendre en compte. Cette mesure inciterait par exemple les constructeurs automobiles à élaborer des véhicules plus sobres. Aujourd’hui, la vitesse maximale des véhicules neufs sur le marché est de 180 km/h en moyenne – nous avons donc des véhicules surpuissants, totalement surdimensionnés par rapport à nos usages et à nos réglementations ! Et qui dit véhicule moins lourd dit consommations en énergies moins importantes. Ensuite, cela entraînerait une baisse des pollutions atmosphériques et sonores. En effet, en réduisant les consommations, on réduit aussi les émissions polluantes ; et une vitesse en moindre provoque une diminution du niveau de bruit. Certes, les endroits où l’on roule à 130 km/h sont des zones où l’exposition humaine est relativement faible, mais on peut songer aux bénéfices pour la biodiversité.

    Qu’est-ce qu’un passage à 110 km/h changerait concrètement, pour les automobilistes ?

    Le fait de réduire sa vitesse implique de consommer moins de carburant, et donc de gagner en pouvoir d’achat. Ensuite, l’inconvénient de baisser la vitesse, c’est évidemment que les trajets s’effectuent moins rapidement : il faut compter huit minutes supplémentaires par centaine de kilomètres. Ce n’est pas un surplus énorme, en comparaison des gains économiques et environnementaux.

    Par ailleurs, cette mesure n’aurait pas forcément d’impact sur le quotidien des usagers : tout le monde ne prend pas l’autoroute à 130 km/h, tous les jours, pour rouler des centaines de kilomètres. Globalement, les autoroutes concernent surtout des mobilités à longue distance, que l’on emprunte à une fréquence qui relève plutôt de l’exceptionnel. Ceux qui l’empruntent pour leurs trajets du quotidien représentent une très faible proportion, et il ne s’agit pas forcément de tronçons d’autoroutes plafonnés à 130 km/h ou bénéficiant d’une circulation fluide.

    À ce sujet, un trafic plus lent va également engendrer moins d’embouteillages, étant donné que plus on roule vite, plus on atteint rapidement les points de congestion automobile (comme les péages), et plus on y augmente donc le temps d’attente. Cette fluidification du trafic pourrait ainsi compenser en partie l’allongement du temps de transport, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ; étant donné que le stop and go consomme beaucoup.

    Enfin, la vitesse est un facteur qui joue sur le risque d’accidents : plus on va vite, plus la vitesse que l’on parcourt sur un temps de réaction donné est importante, et plus on risque alors de causer des accidents. L’autoroute n’est pas l’endroit où il s’en produit le plus par rapport au nombre de kilomètres parcourus, mais il y aurait tout de même un effet bénéfique sur l’accidentologie ; même s’il serait sans doute moindre que celui du passage à 80 km/h sur les routes départementales.

     

    Le YouTubeur Maxime Lambrecht (@Philoxime), chercheur et enseignant en éthique, analyse une proposition de limiter la vitesse à 100 km/h sur autoroute en Belgique. Il interroge en particulier l’aspect supposément “liberticide” et “punitif” du projet.

    Parmi les arguments des opposants à cette limitation, on retrouve l’idée qu’elle pénaliserait les travailleur·euses les moins aisés, ne pouvant se permettre d’habiter près de leur lieu de travail. Quel regard portez-vous sur cette mesure, du point de vue de la justice sociale ?

    Autant l’argument de la justice sociale me semblait pertinent sur la question de la taxe carbone, qui représente une vraie contrainte de mobilité pour les moins aisés, autant il ne me paraît pas justifié pour le passage à 110 km/h. En effet, on sait que celles et ceux qui effectuent le plus de voyages à longue distance sont de très loin les personnes les plus aisées. À l’inverse, plus on a des revenus faibles, moins on possède de voiture, et moins on cumule donc de kilomètres, sur la longue distance en particulier. Quelque part, c’est une manière de rééquilibrer les choses : on demande à ceux qui ont le moins d’intérêt personnel – les plus aisés, qui n’ont pas besoin de réduire leur vitesse pour économiser quelques euros de carburant et qui peuvent se permettre d’éventuelles amendes – de faire un effort.

    Il y a une idée qui circule et qui génère de la confusion, celle qu’il deviendrait de plus en plus difficile de prendre la voiture. On pourrait presque en oublier que c’est une mesure qui permet aux automobilistes de faire des économies !

    En conclusion, cette mesure ne viendrait pas renforcer les inégalités sociales selon moi, au contraire. Elle ne réglerait pas non plus tous les problèmes climatiques liés au secteur du transport, mais aurait au moins le mérite d’avoir un impact immédiat une fois mise en place, contrairement à des politiques d’aménagement du territoire ou de reconfiguration de l’offre de transports en commun qui peuvent prendre des décennies. Ces politiques publiques sont néanmoins très importantes : il faudrait que l’offre de transports en commun soit revue à la hausse pendant et hors périodes de pointe, pour éviter les congestions et la tentation de se reporter vers l’avion. En somme, la limitation de vitesse est un levier qu’il serait dommage de ne pas activer rapidement, mais qui doit s’inscrire dans une synergie de changements complémentaires.

    [1] En France, le secteur des transports est à l’origine de près de 30% du total des émissions de gaz à effet de serre, selon le Commissariat général au développement durable. La moitié des émissions de CO2 de l’ensemble des transports (51 %) provient de voitures particulières, d’après le Ministère de la Transition écologique.

    Propos recueillis par Hildegard Leloué

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