Stations de ski : les défis du changement climatique

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    Face au réchauffement climatique et à la diminution de l’enneigement, la moitié des pistes de ski ont dû être fermées au cours des dernières vacances de Noël selon un décompte des Domaines skiables de France (DSF). Dans les Hautes-Alpes, des stations tentent de s’adapter en produisant leur propre énergie renouvelable ou en diversifiant leurs activités. Si le recours à la neige artificielle semble indispensable pour la survie économique des stations, sa production est souvent pointée du doigt pour son coût énergétique et ses besoins en eau par les associations écologistes. Reportage.

    Ce mercredi 14 décembre, les pistes de la station d’Orcières-Merlette dans les Hautes-Alpes, sont couvertes d’un large manteau blanc éclatant. La neige est tombée en grande quantité il y a quelques jours, et au pied des télécabines, une petite troupe d’enfants emmitouflés jusqu’aux oreilles profitent de la neige fraîche du domaine. Leurs visages rosés semblent saisis par les -10°C environnants, un froid hivernal qui ne gâte pas leur excitation du moment.

    Si la station d’Orcières, située à 1850 mètres d’altitude, bénéficie d’un “bon enneigement“, cette neige est loin d’être complètement naturelle puisqu’en cette saison 60% du domaine est couvert par de la neige artificielle. Pour la produire, des gouttelettes d’eau ont été envoyées sous pression dans un air à une température négative. Ces amas de « neige de culture“ sont répartis ensuite sur les pistes à l’aide de dameuses.

    « France montagnes (association qui fédère les principaux acteurs du tourisme de montagne en France, ndlr), nous a conseillés il y a sept ou huit ans de remplacer les appellations “neige artificielle“ et “canons à neige“, par “neige de culture“ et “enneigeur“», reconnaît Jordane Juschka, directeur de l’Office de Tourisme d’Orcières.

    La station d’Orcières-Merlette possède 19 000 lits pour les touristes. ©Patrick DOMEYNE/ADDET05

    Quel que soit le nom employé, la culture de l’or blanc est souvent pointée du doigt par les défenseurs de l’environnement. Dans les Alpes, de nombreux projets de constructions de retenues collinaires pour la neige de culture sont désormais contestés. D’une part en raison de l’impact sur la biodiversité de ces aménagements, d’autre part pour défendre un partage de la ressource en eau. «L’eau que l’on puise en altitude ne se retrouve pas dans les bassins versants. On l’a observé cet été, alors que les villages alpins devaient être ravitaillés en eau potable», insiste Valérie Paumier, présidente de l’association Résilience Montagne, qui sensibilise aux impacts du changement climatique en montagne.

    Une neige de culture gourmande en eau

    La station d’Orcières, qui compte environ 100 enneigeurs, prélève l’eau dans le lac d’altitude des Estaris, d’une superficie de 11,8 ha. A la mi-décembre, cette réserve d’eau naturelle est recouverte d’un tapis blanc. On voit à peine ses délimitations que Patrick Ricou, maire d’Orcières, tente de nous montrer de la main.

    Des travaux de réhausse ont été récemment effectués afin de garantir l’étanchéité du lac et garantir un débit minimum pour alimenter le ruisseau qui descend dans la vallée. Aujourd’hui, 380 000m3 d’eau sont employés pour la production de neige de culture sur une saison, et 90 000 m3 sont mis en réserve pour l’eau potable de la station. «Cette eau n’est pas utilisée à l’heure actuelle car un réseau de sources répond déjà à nos besoins», précise l’édile, qui semble rôdé aux questions liées à l’usage de l’eau. «380 000 m3 ce n’est pas rien, mais il est important de mettre en comparaison ce chiffre. Qu’est-ce que cela représente en réalité ? Dans la vallée du Drac – rivière qui prend sa source dans le Champsaur, sur la commune d’Orcières, et qui se jette dans l’Isère -, sur le bassin gapençais, 30 000 000 m3 d’eau sont employés pour l’agriculture et l’eau potable de Gap». L’élu, aussi Président de l’Agence Départementale de Développement Economique et Touristique (ADDET) des Hautes-Alpes, assure que la réserve du lac des Estaris est toujours pleine : «La fonte des neiges alimente le lac jusqu’en automne, et les pluies d’automne prennent le relais.»

    Un amas de neige produit par des enneigeurs dans la station de Serre-Chevalier. ©Patrick DOMEYNE/ADDET05

    Un enneigement en baisse

    Depuis le milieu du XIXe siècle, les Alpes ont gagné plus de 2 °C. La saison d’enneigement a ainsi diminué de 22 à 34 jours en moyenne au cours des cinquante dernières années, selon une étude scientifique publiée en 2019. Plusieurs organismes scientifiques[1] se sont alors réunis en un consortium, Climsnow, afin d’évaluer les évolutions de l’enneigement dans les stations de ski en France et pour les aider à entreprendre des stratégies d’adaptation.

    Sans grande surprise, les stations de basse et moyenne altitude sont davantage en difficulté lorsque les températures remontent. L’exposition a aussi son importante. Dans les Hautes-Alpes, à l’est d’Orcières, la petite station de Crévoux tire son épingle du jeu en termes d’enneigement. Ce village niché au cœur du massif du Parpaillon, face au Parc national des Ecrins, bénéfice en effet d’une exposition nord-est, et d’un soleil rasant, et non de face. La station de Crévoux se targue ainsi d’une neige naturelle, appréciée des amateurs de hors-piste.

    800 emplois l’hiver

    Pointée du doigt aussi en raison de son coût énergétique, la production de neige de culture nécessite en effet, une eau généralement pompée dans des sources, ensuite refroidie et redistribuée via un réseau de canalisations vers les canons à neige. La station d’Orcières s’appuie quant à elle sur un réseau gravitaire.

    En contre bas du lac des Estaris (2 600 m d’altitude), dans une petite cabane en bois au cœur d’un paysage muet et nacré, Jean-Eric Salet, nivoculteur (qui assiste la culture de neige), nous fait visiter la salle de supervision :  «En ouvrant les vannes au niveau du lac, l’eau descend naturellement ici».  Alors qu’il démarre la machine, un bourdonnement métallique accompagne chacune de ses explications. Un enneigeur consomme environ 20kWh. Et plus il fait froid, idéalement -8°/-10°C, plus l’enneigeur produit. A l’inverse, au-delà de -3°C, il produit moins et consomme autant. «On est attentif à cela, précise-t-il. On ne produit pas en dessous de -3°C.»

    Jean-Eric Salet, nivoculteur, dans la salle des conduits de culture de neige. ©Patrick DOMEYNE/ADDET05

    Selon Patrick Ricou, la neige de culture permet de maintenir une linéarité dans l’activité et de sécuriser les emplois, dont 800 sont liés à la saison hivernale. «L’année dernière on a eu très peu de neige naturelle, et pourtant on a fait une très belle saison, grâce à la neige de culture», conclut l’homme à la chevelure argentée. Ce dernier tient à rappeler que cette activité permet de conserver une population locale active dans cette vallée du Champsaur, qui s’est massivement dépeuplée au XIXe siècle. Dans les Hautes-Alpes, 27 domaines skiables emploient à elles seules 25% de la population active, et génèrent les deux-tiers du chiffre d’affaires touristiques.

    Si le ski est bien «une aubaine économique» pour ces régions selon Valérie Paumier, cette dépendance au tourisme, et à une activité en particulier, est problématique. «40% des Domaines Skiables Français (DSF) sont couverts par de la neige artificielle, et ils ont le projet de passer à 70%, alors que l’on sait qu’il faut de l’eau, du froid et de l’énergie, des éléments qui deviennent rares, ajoute la présidente de Résilience Montagne. Je ne suis pas en faveur de l’abandon de la neige artificielle. L’idée n’est pas de flinguer le ski. Mais il faut que les stations emploient les équipements existants, et arrêtent d’investir pour maintenir le ski coûte que coûte.» L’ancienne monitrice de ski donne l’exemple de la station de basse altitude Métabief dans le Jura, qui développe les activités hors-ski en raison du faible enneigement depuis quelques années.

    «S’adapter plutôt que lutter»

    La transition des stations de ski est bien souvent associée au développement d’activités sur les autres saisons que l’hiver. Randonnées, tyrolienne, activités ludiques… Et la station d’Orcières n’est pas passée à côté de cette diversification. Sur les devantures des magasins de locations du village, «VTT» trône désormais à côté du «SKI» sans pâlir. «L’été prend de plus en plus d’importance. Beaucoup de vacanciers veulent se relier à la nature et rencontrer les acteurs locaux. Comme on est une petite station et que l’on est niché au sein du parc des Ecrins, on a de vrais atouts pour cette période estivale», se félicite Patrick Ricou. Concernant le «4 saisons», le maire reste plus prudent : «Il faut garder les pieds sur terre et assurer déjà les deux belles saisons que sont l’été et l’hiver». Et de souligner que le chiffres d’affaires de l’été, qui, certes, ne cesse de progresser, ne représente aujourd’hui que 10% du chiffre d’affaires de l’année à Orcières.

    Un constat que partage Patrick Arnaud, directeur de la station Serre-Chevalier Vallée : «Il faut aller vers du ‘4 saisons’ c’est certain, mais ce n’est pas du On-Off. Regardez, on est le 12 décembre, et il est tombé 70 cm de neige la semaine dernière et les thermomètres affichaient -16°C.» Pour cette filiale de la Compagnie des Alpes, qui a investi dans les énergies renouvelables (30% de sa consommation) pour enclencher sa «transition», il s’agit avant tout de «s’adapter plutôt que lutter».

    Les installations de panneaux photovoltaïques à Serre-Chevalier sur les remontées mécaniques. ©Fred Malguy

    «L’année dernière, on a ralenti nos télésièges et on a produit moins de neige. Cela a généré des craintes, notamment chez les professionnels de la station. Mais ce n’est pas du sabordage! On veut continuer à offrir à nos clients de belles vacances avec un maximum de ski. Je dis bien «un maximum de ski» parce que ce ne sera peut-être pas que du ski. Avant le but était d’avoir des remontées qui vont le plus vite possible, avec des pistes les plus larges possibles et que l’on dame au maximum. Demain ce ne seront plus nos critères.»

    Pour Valérie Paumier, au-delà des consommations d’eau et d’énergie, les stations de ski devront aussi mener une réflexion sur l’acheminement des clients, qui représente 60% de l’empreinte carbone des domaines, et sur la rénovation énergétique des bâtiments, dont plus de 50% sont des passoires thermiques selon une récente étude de la plateforme Heero.

    [1] Météo-France (Laboratoire CNRM, Météo-France–CNRS, Centre d’Etudes de la Neige), Inrae (laboratoire LESSEM) et Dianeige (cabinet spécialisé dans l’aménagement des stations touristiques de montagne)


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