A la ferme plutôt qu’en prison

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    Dans le Val-d’Oise, la ferme pédagogique de la Butte Pinson accueille chaque année deux cents à trois cents personnes condamnées par la Justice, qui y réalisent un travail d’intérêt général (TIG). Une alternative positive à l’incarcération.

    Walid, 21 ans, est là depuis quatre jours. Il a nettoyé le poulailler, promené les ânes, nourri les cochons : « Quand la juge m’a dit que j’irai à la ferme, j’étais dégoûté. Fermier, t’es sale, tu pues. En plus, le travail physique, ce n’est pas mon style. Moi, je fais des jeux vidéo. Mais j’ai eu super peur d’aller en prison. J’ai vu mes amis partir en taule : ils entrent normaux, ils ressortent dangereux. Comme s’ils n’avaient plus de pitié. » Finalement, Walid se plaît à la ferme : « L’équipe est cool. Il y a des choses à respecter, mais ça ne crie pas et on s’écoute. »

    Les immeubles et le RER ne sont pas si loin. Pourtant, dans cette clairière de Montmagny (95), les arbres, les enclos des ânes, les chèvres, le potager et les installations en bois de récup ont un air bucolique. La Butte Pinson, ferme pédagogique et refuge animalier, a été conçue par l’association de protection de l’enfance Espoir-CFDJ pour accueillir des jeunes majeurs condamnés à un travail d’intérêt général (TIG) plutôt qu’à une peine de prison. Un TIG peut être prononcé pour toute contravention ou délit (mais pas un crime) entraînant un emprisonnement.

    « Les TIG ne représentent que 6 % des peines prononcées, par manque de structures pour accueillir les tigistes »

    Une équipe de cinq éducateurs, cinq services civiques et des bénévoles accompagnent les tigistes (90 % d’hommes). Ceux-ci peuvent avoir une centaine d’heures de TIG à effectuer. « Les TIG ne représentent que 6 % des peines prononcées, par manque de structures pour accueillir les tigistes, regrette Julien Boucher, directeur des Fermes d’Espoir [1]. Pourtant, le “tout-prison” est une aberration économique [2] et humaine. Mettre les condamnés à contribution évite la désocialisation, les mauvaises rencontres en prison, la surpopulation carcérale. »

    Financés par l’État et les collectivités, la ferme et le parc sont ouverts à la visite pour les écoles et les habitants du quartier, en manque d’espaces verts. « Avant 2014, ce site était une décharge sauvage à ciel ouvert qu’aucune municipalité n’arrivait à endiguer, raconte Léo Lebars, étudiant en architecture et bénévole à la ferme. Le travail des tigistes et l’introduction des animaux ont tout changé. » La Butte Pinson a réussi à mêler écologie et insertion sociale pour rendre le territoire aux habitants.

    Jardiner en permaculture aide les jeunes à réfléchir à leur consommation. ©Patrick Lazic

    « Ici, au moins, tu t’actives »

    13 h 30 : Julien sonne la cloche devant la ferme pour appeler la dizaine de tigistes du jour à choisir leurs tâches de l’après-midi. La plupart étalent leur peine sur deux à trois mois. Soins aux animaux, entretien des lieux de vie, activités de recyclage, maraîchage, construction bois, écopâturage, animations pédagogiques. « On propose un sas de retour à l’emploi, explique-t-il. Beaucoup de jeunes ont la vingtaine, un niveau CAP. La plupart ont connu l’échec scolaire. Ici, ils se remettent en mouvement après l’oisiveté. Et le travail peut être physiquement dur. Les jeunes découvrent leur corps. »

    Belhassem, tigiste de 34 ans, a 109 heures de TIG à effectuer. Arrivé « du bled » sans papiers sur un bateau de pêche, il a déjà connu les barreaux de la prison de Fleury-Mérogis : « T’es allongé toute la journée, porte fermée. Ici, au moins, tu as la liberté, tu t’actives. » En parallèle, il peut travailler en intérim. « Ici, j’ai même appris à certains des choses qu’ils ne savaient pas faire pour s’occuper des animaux. »

    Au contact de la nature et des animaux, les jeunes changent de nature. ©Patrick Lazic

    À la Butte Pinson, les tigistes sont accompagnés : « Selon leurs besoins, on les met en lien avec des assistantes sociales ou la Mission locale », détaille Julien Boucher. L’équipe essaie par exemple de démêler la situation de Walid, qui a perdu un document administratif important : « Sans ça, je ne peux pas passer mon permis et c’est donc difficile d’obtenir un emploi. »

    « On ne les infantilise pas »

    Walid charge du sable dans une brouette avec Alain, bénévole en situation de handicap. À la ferme, tout le monde porte la même chasuble, au même niveau. Les éducateurs d’Espoir-CFDJ sont attentifs à créer un fort esprit d’équipe et un cadre apaisant « avec de la musique, des pauses goûter, des échauffements collectifs. C’est pour cela que la ferme convient moins aux solitaires », souligne Edwige Fouda, coordinatrice de la ferme et formée, comme les autres, à la gestion de conflits. Le contact avec la nature et les animaux fait le reste. « Devant un cochon, les jeunes des quartiers font moins les fiers, raconte Alice, médiatrice animale intervenant à la ferme. En changeant d’environnement, ils changent d’attitude. »

    Edwige Fouda remarque que c’est la confiance accordée aux jeunes qui les transforme : « Ici, ils s’occupent d’enfants, d’animaux abandonnés, d’êtres vulnérables en somme. On les valorise, on les responsabilise. C’est le contraire d’un milieu carcéral très infantilisant. » Harkan, 23 ans, découpe une pièce de bois pour refaire la porte d’un enclos. Condamné à cent cinq heures de TIG, il n’a pas vraiment besoin d’être responsabilisé. Il a trois enfants et un travail : « À 18 ans, j’ai fait une connerie. À 20 ans, je me suis marié, je me suis calmé, j’ai eu des enfants. Pendant ce temps-là, mon affaire traînait. Cinq ans après, j’ai été condamné. Heureusement qu’une alternative comme le TIG me permet de payer pour mes erreurs, sans devoir abandonner ma famille en partant brutalement en prison. »

    A la ferme, tigiste ou pas, tout le monde porte le même chasuble. ©Patrick Lazic

    Profit personnel et intérêt collectif

    Quand ils arrivent, les tigistes rejettent souvent la Justice, les institutions. « On essaie de les réconcilier avec l’intérêt général et la citoyenneté. Tout le monde ici est un enfant de la République, affirme Julien Boucher. Ces jeunes sont les premières victimes des injustices de notre société. On veut leur montrer qu’ils ont un pouvoir d’agir, qu’ils peuvent s’engager à leur niveau pour une société plus juste. »

    Eux, qui ont souvent agi pour leur propre profit, apprennent la force de l’engagement collectif pour l’intérêt général. La ferme leur apporte aussi une réflexion sur le développement durable : comment respecter l’humain ? Protéger la nature ? « Car derrière l’acte délictueux, il y a souvent une frustration de ne pas pouvoir sur-consommer. Ici, on déconstruit ça aussi.

    [1]. Fermes d’Espoir est le réseau des trois fermes pédagogiques et d’insertion d’Espoir-CFDJ.

    [2]. Un détenu en milieu ouvert coûte moins cher qu’en milieu fermé (logement, nourriture, etc.) et il travaille « gratuitement » pour la collectivité.


    En Suède, des programmes de rééuducation pour les détenus

    La Suède évite au maximum l’emprisonnement. Le pays compte 4 500 personnes condamnées incarcérées contre 14 000 personnes condamnées à une peine alternative à la prison. En prison, les détenus sont obligés de participer à des activités professionnelles ou éducatives pendant six heures par jour, du lundi au vendredi. Ils sont surtout considérés comme des personnes ayant des besoins, qu’il faut aider. Ainsi, ils doivent participer à des programmes collectifs ou individuels d’une vingtaine de sessions de rééducation, selon leurs besoins : sur les addictions aux drogues et à l’alcool, les violences domestiques, la gestion des émotions ou la délinquance sexuelle, par exemple. Autant d’outils pour les aider à changer, plutôt que rester dans l’illusion que seul l’enfermement les transformera.

    Source : Service des prisons et de la probation suédois


    Un article à retrouver dans notre K61, dont le dossier est consacré aux alternatives au système répressif de la justice et de la police, disponible ici.

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