Myriam Bahaffou : « Les écoféministes font de la politique autrement »

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    Myriam Bahaffou est doctorante en philosophie et militante. Pour elle, parler d’écoféminisme au singulier est réducteur. Elle évoque des luttes plurielles, pour la défense du vivant, des femmes et des autres minorités. Un sujet abordé dans son ouvrage Paillettes sur le compost, publié en octobre 2022.

    Myriam, 26 ans, regarde par la fenêtre de la maison où elle vit et milite, à Bure. Cette commune de la Meuse est le centre d’un gros projet d’en­fouissement de déchets nucléaires. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs projette d’enfouir, dans des galeries creusées à 500 mètres sous terre, 85 000 mètres cubes des déchets les plus haute­ment radioactifs qui seront produits en France à l’avenir. « J’observe le paysage, le sol, censés rece­voir les déchets. Ce projet est si monstrueux et délirant que j’ai peur de m’y confronter. Pourtant, je me laisse remplir par mes émotions de peur et de colère. C’est dur, mais c’est ma manière d’être écoféministe. En continuant à cultiver une hyper­sensibilité au monde, à me laisser toucher. Parce que cette émotion n’est pas qu’individuelle, c’est une porte d’entrée politique. »

    Dès son adolescence, Myriam Bahaffou prend conscience qu’elle vit « dans un monde abîmé », où le lien des humains au vivant se résume sou­vent à « l’utiliser pour produire » : « J’ai com­mencé à trouver inhumain notre relation aux animaux. Comment imaginer des rapports justes entre humains, comment parler de démocratie, quand on continue à traiter et tuer les animaux de la sorte ? » Elle a 19 ans et devient végane.

    Femmes pauvres de couleur

    Dans son esprit comme dans celui des autres penseuses écoféministes, les liens entre cette appropriation du vivant et le mécanisme de domi­nation masculine sont de plus en plus nets : « La situation écologique actuelle est indissociable­ment liée au patriarcat. » La doctorante en philo­sophie dit l’avoir compris d’autant plus vite qu’elle est une « femme, racisée et pauvre » : « J’ai grandi dans la banlieue de Lyon, dans une famille de femmes. Cette identité m’a évité de voir le monde via le regard des dominants. J’ai pu déve­lopper, sans le savoir, une conscience politique et féministe. »

    La force de l’écoféminisme est de créer du lien, « à condition de ne pas oublier d’où il vient »

    Pour elle, l’écoféminisme est le mouvement qui montre le mieux les liens entre les combats contre les différentes oppressions. « Ses racines, ce sont les luttes de femmes pauvres, de couleur, hors Occident. Mais aussi ici, dans les quartiers popu­laires oubliés de l’écologie. Ces femmes défendent leur survie, celles de leurs enfants et de leurs terres. » La force de l’écoféminisme est de créer du lien, « à condition de ne pas le blanchiser en le réduisant à un entre-soi occidental ou à des théories d’universitaires. À condition de ne pas oublier d’où il vient ». Elle craint une vision édul­corée de l’écoféminisme, trop individualisante, qui se résumerait à trier ses déchets ou acheter des vêtements bio : « C’est une continuité du capi­talisme et des autres oppressions plus que cela ne les remet en question. »

    « Une autre grammaire écologique »

    L’enjeu, pour Myriam Bahaffou, est plutôt de créer d’autres possibles. À Bure, avec le collectif fémi­niste et antinucléaire Bombes atomiques, ou avec Voix Déterres, le groupe écoféministe qu’elle a fondé en 2019, elle a par exemple expérimenté des semaines d’ateliers sans aucun homme cisgenre [1]. « Tout change alors ! Nos façons de parler, de s’habiller, de manger : on crée du nouveau. J’ai appris à écouter, à accueillir la parole d’autrui. À faire pousser, réparer, bricoler. J’ai appris à parler de mon corps et de mes émotions. À créer, à pleu­rer, à oser la rage et la radicalité plutôt que la rationalité un peu distante, celle qui veut toujours tout prouver avec des chiffres. »

    Même dans la thèse qu’elle rédige actuellement sur l’écoféminisme autochtone au Canada, Myriam Bahaffou préfère se laisser renverser par les textes qu’elle étudie plutôt que de les tenir à distance. « Les écoféministes font de la politique autrement. Quand les Sud ­Américaines se battent contre Monsanto, elles parlent de plantes, d’ani­maux, mais aussi d’esprits, d’ancêtres. Elles créent une autre grammaire écologique. » Avec Voix Déterres, la militante veut rassembler des textes sur l’écoféminisme intersectionnel [2]. Mais n’ambitionne surtout pas de devenir une héroïne du mouvement. « Pour moi, dans l’éco­féminisme, quelque chose fissure l’idée d’une humanité globale, représentée par quelques figures d’autorité. Ainsi apparaissent des dyna­miques plus locales, plus parcellaires, plus écla­tées. » Un cercle de personnes différentes mais toutes d’égale valeur. «Penser à partir de cet effritement, ça donne une vision plus fragile et humble de l’existence. »

    [1].Homme dont l’identité de genre correspond au sexe qu’il avait ou qui lui a été assigné à la naissance.

    [2].L’écoféminisme intersectionnel prend en compte les autres formes de domination ­sociale, économique, ethnique, religieuse, etc. ­qui pèsent sur les femmes.

    Cet article est à retrouver dans notre K55, dont le dossier est consacré à l’écoféminisme, disponible ici.


    POUR ALLER PLUS LOIN

    voixdeterres.fr

    Myriam Bahaffou, Des paillettes sur le compost. Ecoféminismes au quotidien, Le passager clandestin, 2022


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