Il avait quasiment disparu au profit de l’avion au milieu des années 2010. Le sort du train de nuit, jugé d’un autre âge, semblait scellé et les voitures couchettes bonnes pour la casse. Quelques années plus tard, tel le Phénix, il renaît de ses cendres en France et en Europe. Pourquoi tant de résilience ?
Qu’il roule à l’électricité ou au diesel, le train s’affiche comme le moyen de transport moyenne ou longue distance le plus sobre. Le train de nuit permet d’envisager des trajets de 800 kilomètres ou plus sans perdre une journée ; après des années de disette, une nouvelle génération de voyageurs le plébiscite à nouveau. Après un âge d’or dans les années 1960-1970, les trains couchettes ont connu un lent déclin, qui a culminé au milieu des années 2010. Plombés par la concurrence de l’avion bon marché, une commercialisation confidentielle et des voitures en piteux état, les trains de nuit français et allemands sont alors, à des rares exceptions, rayés de la carte. Le même sort est réservé aux liaisons transeuropéennes nocturnes.
Pascal Dauboin, membre du collectif Oui au train de nuit !, créé pour dénoncer l’abandon de ce mode transport économique, décentralisateur et écologique, se souvient : « Parti de rien, notre collectif est né en Occitanie en 2016, au moment où le “train de nuit bashing” était à son apogée. Nous étions une poignée de bénévoles voulant faire remonter à Paris les problèmes soulevés par la disparition des trains de nuit, et avec eux des dessertes intermédiaires et transversales précieuses. » Rapidement rejoints par des usagers de toute la France, leur pétition en ligne cumule plus de 200 000 signatures ; des rassemblements apolitiques et pacifiques sont organisés en gare…« Nous prêchions dans le désert, reprend l’activiste, mais notre combat pour le train de nuit est maintenant partagé par des jeunes mobilisés pour le climat ou conquis par ses atouts. Grâce à notre expertise, nous participons aux discussions et nos propositions ont été reprises en partie par le gouvernement il y a un an. »
En plus des réouvertures inaugurées ces derniers mois, comme le Paris-Nice et le Paris-Lourdes, le rapport gouvernemental préconise la relance d’une dizaine de lignes nocturnes en France d’ici 2030-2035, pour un budget d’1,5 milliard d’euros, trains neufs inclus. Un investissement raisonnable : par comparaison, la LGV Bordeaux-Toulouse, construite à partir de 2024, doit coûter a minima 10 milliards d’eu-ros, tout comme le chèque signé par l’État pour aider Air France à passer le mauvais cap de la pandémie. « Passé l’effet d’annonce, il faut veiller à ce que l’argent soit bien débloqué et les rames commandées, ce qui n’est toujours pas le cas », se méfie Pascal Dauboin.
Une relance… à petits pas
Côté européen, sous la pression citoyenne et face à l’urgence climatique, l’Union européenne encourageait fin 2020 la relance des trains de nuit par le biais d’une coopération entre les compagnies allemande, française, suisse et autrichienne. Ces dernières annonçaient fièrement étudier la réouverture de plusieurs services européens, comme le Paris-Vienne, relancé effectivement en décembre 2021, ou le Paris-Berlin, prévu pour 2023. De quoi recréer un semblant d’alternative à l’avion et à la voiture certes, mais à petits pas.
Dès la création des lignes longue distance, les trains ont roulé de jour comme de nuit.
Car toutes les compagnies se heurtent au même problème : la pénurie de trains couchettes neufs ou rénovés disponibles. Concevoir et construire un nouveau matériel prend entre quatre et six ans et personne n’avait anticipé un tel retournement de situation et d’ambitions. Personne exception faite de l’autrichien ÖBB. En rachetant les trains couchettes délaissés par la compagnie allemande dans les années 2010, puis en lançant ses Nightjets rénovés sur les rails d’Europe centrale, ÖBB a eu le nez creux, affichant aujourd’hui des comptes positifs et un trafic en augmentation. La compagnie autrichienne ne pourra pour autant pas sillonner l’ensemble du continent… Faute d’un manque d’anticipation, les voyageurs devront patienter avant de sauter aussi facilement dans un train de nuit que dans un avion low cost.
Pourtant, dès la création des lignes longue distance, les trains ont roulé de jour comme de nuit. Des solutions de voyage confortables étaient proposées dès la fin du XIXe siècle, avec la création des wagons-lits comme l’emblématique Orient Express. C’est en s’inspirant de cet héritage et en le croisant avec nos attentes actuelles qu’Adrien Aumont, cofondateur de Midnight Trains, a imaginé une offre de wagons-lits nouvelle génération prévue pour relier la France à l’Europe du Sud dès 2024 : « Nous finalisons l’acquisition de rames pour nos futurs trains, prévus pour rouler vers l’Italie, l’Espagne, puis le Portugal et le Royaume-Uni. » Trois niveaux de tarifs comparables à l’avion sont prévus, ainsi que des services innovants et… un bon restaurant !
Quelles couchettes en 2022-2023 ?
Paris < > Nice via Marseille, Toulon, Cannes…
Paris < > Portbou via Montauban, Toulouse, Perpignan, Argelès-sur-Mer…
Paris < > Latour-de-Carol via Toulouse, Foix…
Paris < > Albi via Rodez…
Paris < > Briançon via GapParis < > Lourdes via Tarbes, et jusqu’à Hendaye pendant l’été
Paris < > Vienne (Autriche) via Strasbourg, Munich et Salzbourg
Paris < > Berlin, à partir de 2023
POUR ALLER PLUS LOIN
• ouiautraindenuit.wordpress.com
• Georges Ribeill et Michel Cozic, Les Trains de nuit. Deux siècles de voyages, de la banquette de bois au wagon-lits, La Vie du Rail, 2021
• Thibault Constant, Trains de nuit. 30 trajets inoubliables, Gallimard, 2021
Un article à retrouver dans notre K62, dont le dossier est consacré au train, disponible ici.
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