« La critique est aisée mais l’art est difficile ». Connaissez-vous cette expression ? Son auteur peut-être moins, Philippe Néricault, auteur dramatique et comédien du 18è siècle dont le nom de scène était Destouches.
En tant que média, nous sommes exposés aux critiques : on vérifie cette maxime depuis dix ans. Et c’est signe de bonne santé démocratique. Mais depuis la rentrée de septembre 2022, il me semble que les critiques sont plus nombreuses et plus virulentes.
Est-ce la conséquence de l’usage intensif des réseaux sociaux ? Cette théorie existe. Dès 2011 Eli Pariser conceptualise avec son livre The Filter Bubble, le principe « de bulle de filtres ». Les bulles de filtres montrent l’impact de la sur-personnalisation des contenus par les algorithmes sur les réseaux sociaux. En clair, elles enferment l’internaute dans une sorte de bulle d’isolement intellectuel et informationnel.
Mais ces bulles de filtre sont fonctionnelles parce que nous sommes influencés aussi par nos biais cognitifs. Exemple les biais de confirmation qui nous poussent à ignorer des informations contredisant nos croyances. Selon le prix Nobel Daniel Kahneman, psychologue et économiste, il existe plus de 150 biais cognitifs. Autant dire qu’on doit batailler contre soi-même ! Notre propre bête intérieure…
Pour illustrer cette tendance, prenons quelques exemples. Quand dernièrement on publie une citation du Dalaï Lama sur les réseaux sociaux, un internaute pense que nous n’avons rien compris au bouddhisme. Quand on interviewe un auteur qui met en lumière le modèle délétère de l’industrie du tabac dénonçant ses ravages écologiques et sociaux, avec un livre au titre certes provocateur Pourquoi fumer c’est de droite, pour certains nous sommes les derniers des imbéciles ; quand on fait un reportage sur la biodynamie, on appartiendrait à une secte ; quand dans notre sommet éducation, on propose une vidéo sur la pédagogie Montessori, on deviendrait les promoteurs du néolibéralisme ; quand on rencontre des personnes qui pratiquent la pêche no kill, on deviendrait des bourreaux, etc. En compilant toutes ces critiques, certes non majoritaires, on ressemblerait un peu à monstre qui défend des idées contradictoires.
En prenant ces exemples, l’intention n’est pas de nous positionner en victime, ni même de nous défendre. L’équipe vit sainement, nous sommes en phase avec une vision de société plus proche de la nature et pour une presse libre et indépendante qui ne craint pas les nuances et les tabous.
Ce qui me marque avec toutes ces critiques, c’est que chacun.e vit dans sa bulle, s’enferme dans ses croyances et n’ouvre pas la porte à d’autres horizons.
D’aucuns diront que ce n’est pas nouveau. Il y a toujours eu des schismes, Dreyfus anti Dreyfus, pro peine de mort vs anti peine de mort etc. Peut-être ! Ce qui me semble nouveau c’est l’atomisation des points de vue. Sur le sujet que l’on connait le mieux, l’écologie c’est comme si nous avions à présent cinquante nuance de vert. On pourrait s’en réjouir et voir un superbe camaïeu. Ce n’est pas vraiment ce qui se dégage. Vegan vs anti vegan, pro nucléaire vs anti-nucléaire, pro chasse vs anti chasse, technologiste vs anti technologie, etc.
Mais il me semble que l’impact délétère des réseaux sociaux n’est que la cerise sur le gâteau, les raisons de cet isolement sont antérieures. Pour faire vite, selon moi, les graines de cette parcellisation datent du fordisme et de la division du travail. Chacun s’enferme dans une tâche. On rompt les formes d’intelligence collective, on interrompt le génie créatif. D’ailleurs ironie de l’histoire, cette organisation du travail fut mise en place pour la production d’une voiture la Ford T.
Et quoi de plus emblématique que l’automobile. L’auto est à la fois le symbole et le moteur d’une société du tout ego. Où chacun enfermé dans sa caisse, roule à tombeau ouvert vers un avenir incertain en déversant dans l’air les résidus de pétrole.
La pénurie d’essence est de ce point de vue révélateur. Tels des drogués, nous sommes prêts à nous battre (au sens propre) pour avoir sa ration de pétrole !
Libérons-nous. Penons le vélo. Bien sûr ce n’est pas possible et facile sur l’ensemble du territoire et pour tout le monde mais pour mémoire 60% des déplacements domicile-travail de moins de 5 km se font en voiture.
Essayons le vélo-taf, c’est bon pour la santé, ça permet de déconnecter après une journée de boulot, on fait des économies, on gagne du temps et surtout entre velouteurs on se parle. « Fait froid ce matin », « oui, j’ai oublié ma paire de gants » ou « c’est quoi votre vélo ? Vous en êtes content ?» , certes c’est peu, mais c’est un début de décloisonnent. À vélo pas de bulle atour de soi, de l’air et la possibilité de sourire à ses voisins.
Et vous vous faites quoi pour sortir de votre bulle ? pour prendre une bulle d’oxygène ?