Le massage pour mieux vivre l’école

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    Initié aux États-Unis il y a une petite vingtaine d’années, le massage à l’école pour les 4 à 12 ans tend à se démocratiser en France aussi. Nous avons suivi un cycle de sept séances au sein d’un collège parisien. Retour sur une initiative qui améliore la concentration et le bien-être de tous les élèves.

    C’est un mercredi matin pas tout à fait comme les autres au collège Beaumarchais, dans le 11e arrondissement de Paris. Au deuxième étage, dans la salle 32 de la professeure de français Raphaëlle Labbé, les yeux d’une trentaine d’élèves se ferment en silence. Ici, on ne parle plus, on chuchote. On n’écrit plus au crayon sur les cahiers, on glisse les mains sur le dos de son camarade de classe pour y reproduire « des coeurs de plus en plus grands », « des ailes de papillon », « des lunettes » ou encore « les pas lourds d’un ours ». Les tables ont été poussées légèrement sur le côté et les élèves se sont répartis en binômes dans les allées autour des chaises. Aujourd’hui, c’est séance de massage.

    « Cela vous surprend d’apprendre le massage à l’école ? » avait questionné Sophie Colombié, l’intervenante du jour, spécialiste du massage à l’école, avant de commencer son cycle de sept séances. « Oui, ce n’est pas courant ! » avaient alors répondu la plupart des élèves de cette classe de sixième. Quelques semaines plus tard, l’étonnement a fait place à l’enthousiasme et à l’action. Dans la salle de classe, les bruits et les rires étouffés de la première séance se sont transformés comme par magie en doux silence. Les paupières, peu à peu, se sont fermées, les corps se sont détendus, apaisés. Seules les indications de Sophie Colombié continuent de rythmer la séance hebdomadaire d’une heure, dont environ quarante à quarante-cinq minutes de massage. Parfois, un élève chuchote à son camarade : « Ça va ? Je n’appuie pas trop fort ? » Mais le ton ne monte jamais plus haut. À peine les entend-on changer de place lorsque la première routine de quinze gestes est terminée et que le massé se lève pour endosser à son tour le rôle de masseur.

    Sophie Colombié accompagne les élèves pour qu’ils effectuent les bons gestes. ©Véronique Bury

    « Je suis très impressionnée depuis trois ou quatre séances par le silence, mais aussi par la qualité des massages des élèves et leur capacité à fermer les yeux. Même les plus bavards, qui se déconcentrent rapidement, ont réussi à s’abandonner. On sent qu’ils sont vraiment investis dans ce qu’ils font, qu’ils prennent plaisir à donner, mais aussi à recevoir », savoure la professeure de français à l’initiative de ce projet atypique lancé il y a deux ans. « Sophie était ma prof de yoga, explique Raphaëlle Labbé. Un jour, elle nous a raconté son expérience de massage dans une école primaire et j’ai trouvé l’idée super intéressante. » Après avoir essayé de convaincre en vain l’institutrice de son fils, la jeune femme s’interroge sur le fait de tenter l’expérience avec une de ses classes et en souffle l’idée à la principale de son établissement. Laquelle adhère aussitôt.

    De nombreux bienfaits

    Deux ans plus tard, l’initiative s’est élargie et ce sont désormais deux classes du collège qui bénéficient de ce cycle : une sixième et une classe Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) d’une quinzaine d’élèves présentant des troubles de l’apprentissage et de la concentration. « Au début, j’étais un peu réticente sur l’idée du massage à l’école, notamment avec le public que je peux avoir. Il faut rester très attentif, car certains élèves ont pu vivre des situations compliquées dans le passé avec leur corps », rappelle Béatrice Granier, la professeure en charge de cette classe qui regroupe des enfants de 11 à 15 ans. Mais après discussion avec l’intervenante et l’infirmière scolaire, et une première inclusion réussie de deux élèves de la classe Ulis au cycle massage via leur classe de rattachement l’année dernière, la professeure s’est laissée convaincre. « Le massage est effectué dans un cadre précis, avec des règles. On masse sur les vêtements, uniquement le dos, les bras, les épaules et la tête et on demande la permission de masser. C’est important. »

    La routine est constituée de divers massages. ©Véronique Bury

    Aujourd’hui, la jeune femme reconnaît même que « c’est très bénéfique pour des élèves de classe Ulis. Non seulement ça les apaise et les aide à se concentrer pour leur journée de classe, mais ça leur permet aussi d’aller vers autrui tout en se respectant les uns les autres. Sans compter qu’il y a énormément d’apprentissages transversaux très intéressants pour eux. » Les élèves apprennent, par exemple, grâce à ce cycle de massage, à faire de la géométrie par le geste : ils dessinent des ronds de lunettes, découvrent les parallèles en imitant le geste du patineur ou les diagonales en traçant les ailes du papillon. Ils s’enrichissent aussi de tout un vocabulaire nouveau « en s’asseyant sur leurs ischions » (os du bassin) ou en « pétrissant tel un boulanger » les trapèzes (muscles reliant le cou aux épaules) de leurs camarades. « C’est une façon de réhabiliter ce côté kinesthésique que l’école traditionnelle met souvent à la marge parce qu’elle n’a pas l’espace pour ça. Or on sait que l’on a des élèves plus visuels ou plus auditifs et d’autres plus kinesthésiques. Cela prouve que l’on peut apprendre sans forcément être toujours assis derrière un bureau. »

    Dans les rangs, les élèves des deux classes sont unanimes. « C’est vraiment génial, ça me détend et j’oublie tout », sourit Omnia qui a bien failli s’endormir aujourd’hui. « Moi, je ne pensais pas que l’on apprendrait autant de choses », lâche Cassandre, fière de pouvoir prodiguer cette routine de quinze gestes [lire encadré] aux membres de sa famille. Même Florent, habitué à papillonner en classe, s’étonne d’avoir si bien adhéré au concept : « À chaque séance, je me sens plus tranquille, je pense moins à jouer ou à la prochaine récré, le temps passe plus vite et j’arrive à me détendre. » Pour Roxane et Alice, « ce cycle de massage est une excellente idée, surtout en sixième, parce que cela nous apprend à moins stresser. » Maelys n’hésite d’ailleurs pas à utiliser les outils de relaxation donnés par Sophie au fil des séances pour s’apaiser lorsqu’elle a une évaluation. « Je fais le triangle avec les doigts et je cale ma respiration dessus, ça m’aide à me calmer et à mieux me concentrer… »

    Les élèves témoignent d’un meilleur bien-être grâce à ces séances de massages. ©Véronique Bury

    Faciliter le travail en classe

    Face aux réactions de ses élèves, Raphaëlle Labbé sourit. Elle aussi savoure les bénéfices que ce cycle de massage apporte à sa classe. « Ils se recentrent et se remettent au travail beaucoup plus vite », remarque Raphaëlle. De ce fait, « la classe devient plus facile à gérer, avec une bonne ambiance. Avant, je parvenais à ce résultat, mais c’était plus progressif, plus lent et plus laborieux. Là, ce cycle de massage, placé en début d’année scolaire (entre les vacances de la Toussaint et celles de Noël), me fait gagner un temps fou. »

    Mais les effets positifs vont bien au-delà du bien-être apporté aux élèves et de la qualité de concentration qui s’en trouve améliorée. « Cet atelier améliore aussi énormément les relations entre les élèves, notamment entre les garçons et les filles », ajoute Raphaëlle Labbé qui les invite, sur une ou deux séances, à former des binômes mixtes afin de se rencontrer autrement. « Le massage en classe est un outil en or pour amener la parité à l’école. Car tout d’un coup, masser une fille ou un garçon, ce n’est plus problématique. Cela leur permet d’intégrer dès la sixième que le toucher peut être dénué de sexualité. » « Les enfants deviennent plus conscients de l’impact de leur comportement sur les autres et une forme de respect s’installe entre eux », acquiesce Sophie Colombié qui a vu une cour d’école primaire entière (à Saint-Hilaire, près de Toulouse) changer d’atmosphère après l’instauration du massage dans toutes les classes.

    Les massages se sont aussi en binômes mixtes. ©Véronique Bury

    Du côté des parents, l’enthousiasme est perceptible en ce 19 décembre, jour de la dernière séance à laquelle ils ont été invités à assister. « C’est une excellente initiative, surtout pour des petits ados comme eux qui peuvent être pressurisés et stressés par l’école, confirme Galina, la mère de la jeune Tessa. Je trouve même que cela devrait être carrément intégré au programme de toutes les classes. » Un voeu qui pourrait bien être exaucé dans ce collège. « On réfléchit en effet à instaurer ce cycle de massage pour toutes les sixièmes dès l’année prochaine », confirme la principale adjointe, Cristelle Fevre. « Nous trouvons en effet intéressant dans un collège numérique comme le nôtre, où nous sommes tous connectés, de pouvoir se déconnecter des appareils pour se reconnecter à soi-même par le massage. » Pour un « mieux-vivre ensemble » aussi.


    MISP : un programme international

    Le programme du MISP (Massage In Schools Programme) a été créé en 1999 par deux passionnées et pionnières dans leurs pays respectifs du massage pour bébé : la Suédoise Mia Elmsäter et la Canadienne Sylvie Hétu. Il consiste en une routine composée de quinze mouvements, chacun illustré par une image, qui s’effectue en une dizaine de minutes. Cette routine se pratique entre enfants âgés de 4 à 12 ans, habillés, et uniquement sur la tête, la nuque, le dos, les bras et les mains. L’objectif étant de « contribuer au bienêtre des enfants, au respect de soi et des autres, ainsi qu’à la baisse de violence dans les écoles et les collectivités », peut-on lire sur le site de l’association française, MISA France, créée en 2007. D’après cette dernière, en dix ans, plus de 1 500 instructeurs auraient été formés en France (dont 700 sont actuellement membres actifs de l’association) et, en 2017, 7 000 enfants auraient profité d’un cycle de massage au sein d’un établissement scolaire public.


    misa-france.fr/



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