Biocarburant : le réemploi des huiles alimentaires usagées bientôt autorisé ?

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    Le 22 juillet dernier, l’Assemblée nationale a voté l’autorisation d’utiliser l’huile alimentaire usagée, notamment l’huile de friture, comme carburant ; suite à l’examen du Sénat, le gouvernement doit rendre un rapport sur les conséquences d’une telle évolution d’ici le 1er janvier 2023. Plébiscitée par les Verts pour des raisons écologiques et sociales (peu coûteuse, elle émet jusqu’à 90% moins de gaz à effet de serre qu’un diesel classique), cette mesure est aussi réclamée depuis 2006 par le mouvement Roule ma frite, à l’origine de diverses expérimentations sur le territoire.

    « Il vaut mieux dépendre des baraques à frite du Nord que du pétrole des monarchies pétrolières. » Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Ecologie – Les Verts (EELV), a su trouver les mots justes vendredi 22 juillet pour porter un amendement sur l’autorisation de l’utilisation de l’huile alimentaire usagée comme carburant. La mesure, qui avait reçu l’avis favorable du gouvernement, a été adoptée par les députés dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le pouvoir d’achat. Les sénateurs n’ont pas quant à eux voté en faveur du projet de loi en l’état, mais la commission mixte paritaire (commission de six sénateurs et six députés qui a pour but d’aboutir à une conciliation des deux assemblées sur un texte commun, ndlr) a demandé un rapport au gouvernement d’ici le 1er janvier 2023 sur les « conséquences environnementales, économiques et techniques de l’autorisation d’utilisation des huiles alimentaires usagées comme carburant pour véhicules », en vue d’une éventuelle évolution de la législation.

    Selon Julien Bayou, 10 litres d’huiles usagées correctement retraitées peuvent fournir huit litres de biocarburant, qui rejette jusqu’à 90% moins de gaz à effet de serre qu’un diesel classique. Soulignant ainsi l’intérêt d’un tel produit énergétique aussi bien pour le climat, que pour le pouvoir d’achat.

    Néanmoins, si l’autorisation est actée, ces huiles devront être « décantées et filtrées » d’après l’amendement déposé par les écologistes, et ne pourront alimenter qu’une petite partie des véhicules diesel (environ 5%), notamment les vieux modèles.

    Ces huiles peuvent aussi alimenter des machines agricoles. ©Roule ma frite 17

    Travail de longue haleine

    En Europe, cette pratique est bien plus développée. Comme en Belgique, où environ 20% du biodiesel est fabriqué à partir des huiles de fritures. L’usage pour les particuliers y est d’ailleurs autorisé depuis longtemps.

    L’association Roule ma frite œuvre pour démocratiser ce type de carburant depuis 2006 en France. A leurs débuts, 80% du parc automobile faisait alors partie des vieux diesel et auraient pu rouler à l’huile de friture si cela n’avait pas été interdit. « C’était encore l’époque de la bidouille où l’on pouvait réparer nos voitures soi-même », exprime avec une pointe de nostalgie Grégory Gendre, coordinateur et fondateur de Roule Ma Frite 17, l’un des groupes pionniers, basé à l’île d’Oléron (Charente-Maritime).

    Cet ancien journaliste économique a découvert ce concept via le réseau militant « Roule ma fleur », lancé par des agriculteurs dans les années 1990 qui récupéraient l’huile des tourteaux de tournesol nourrissant leurs bêtes pour alimenter leurs machines. Puis en 2006, l’association Roule ma frite est née à Marseille. Grégory Gendre a alors décidé de reproduire l’initiative sur son île natale, à Oléron. Si le groupe de la cité phocéenne n’existe plus, de nombreuses antennes ont poussé un peu partout sur le territoire (Haute-Vienne, Haute-Garonne, Pyrénées Atlantiques, etc.).

    L’association Roule ma frite 17 collecte à ce jour environ 80 tonnes d’huile de friture par an auprès de 340 établissements répartis sur l’Ile d’Oléron, La Rochelle, Rochefort et Royan . Des chiffres qui ont augmenté depuis 2012, en raison de l’obligation légale des restaurateurs de gérer leurs stocks ; plutôt que de jeter ces huiles à la déchetterie, les commerçants peuvent ainsi donner leurs bidons à l’association (contre une adhésion annuelle de 50 euros). Les huiles sont ensuite filtrées à Saint-Just-Luzac (Charente-Maritime) via un procédé de dialyse afin de retirer l’eau ; grâce une collaboration avec l’entreprise spécialisée Hytac, le produit obtenu est conforme aux normes européennes pour les biocarburants.

    Chaque bidon d’huile est identifié par le commerce et la date de collecte pour améliorer la traçabilité des produits.
    ©Roule ma frite 17

    Alimentation d’un petit train touristique

    Roule ma frite 17 revend actuellement cette matière aux industriels français qui produisent avec de l’ester méthylique d’acides gras, un composé chimique que l’on retrouve à hauteur de 7% dans le diesel actuel. Un débouché « en dépit d’autres choix », précise le coordinateur, qui rappelle que cette transformation génère de nombreuses émissions de CO2 selon une étude de l’ADEME de 2010.

    Pour des raisons écologiques et économiques, Grégory Gendre, qui travaille actuellement en tant qu’ouvrier agricole dans une ferme bio, souhaiterait développer au contraire une filière de valorisation locale des huiles alimentaires usagées. Si 95% du parc automobile ne peut pas rouler avec ce biocarburant, et malgré la règlementation en rigueur, l’association a obtenu des dérogations auprès des services de l’Etat pour alimenter des véhicules spécifiques sur l’île. Comme un utilitaire Mercedes de neuf places employé pour le transport de personnes âgées sur la commune de Dolus-d’Oléron – dont Grégory Gendre a été maire pendant quelques années. Ou encore le petit train touristique de Saint-Trojean-les-Bains, fréquenté par 70 000 touristes à l’année – « notre Tour Eiffel à nous » plaisante l’Oléronais.

    Le petit train touristique de Saint-Trojean-les-Bains.©Roule ma frite 17

    Ces demandes de dérogations ont été facilitées par l’expérience professionnelle passée du fondateur de Roule ma frite 17, qui a travaillé pendant plusieurs années auprès de l’ONG Greenpeace. Ce dernier a également obtenu une analyse des émissions de gaz à effet de serre et des particules fines dans le cadre de l’expérimentation du petit train. Conclusion : un véhicule alimenté à l’huile usagée émet 30% de moins de polluants qu’un véhicule diesel, selon les résultats du laboratoire Creatmos basé à Poitiers. Sans compter le meilleur rendement énergétique lorsque que la collecte, la filtration et la redistribution se font en local.

    Une production dans et pour les territoires

    Pourtant l’expérimentation avec le petit train n’a duré que deux ans. Grégory Gendre explique cette frilosité des services de l’Etat par la crainte qu’une autorisation nationale entraine la multiplication de stations de raffineries de contrebande dans les garages, pour des visées personnelles. Une crainte légitime selon le coordinateur : « Beaucoup de personnes nous appelaient pour rouler à 70 centimes le litre, sans aucune préoccupation environnementale. Mais nous ne sommes pas des pompistes ! On répond aux besoins d’un territoire grâce au réemploi des déchets, c’est différent », assure l’ouvrier agricole. Pour ce dernier, il est donc primordial, dans l’éventualité d’une autorisation législative, que le décret d’application cadre les conditions de la mise en place de la revalorisation de ces huiles (en local avant tout et pour des usages collectifs).

    Avec ce projet de loi, Grégory Gendre rêve désormais d’un « vrai changement systémique » : « Si on réalise ce recyclage sur chaque commune, cela aurait une véritable ampleur au niveau national. » L’ancien journaliste se lance dans des calculs qu’il semble connaître sur le bout des doigts pour appuyer sa démonstration : « Prenons l’exemple du territoire Marennes-Oléron qui regroupe 15 communes et où nous récoltons 38 000 litres par an. Une fois l’amendement validé, nous pourrions consacrer 15 000 litres par an à la mobilité sociale, 10 000 litres au monde agricole pour la sécurité alimentaire (2 000 litres permettent de produire environ 60 tonnes de légumes), 5 000 litres par an pour les petits trains touristiques, participant à la sensibilisation des touristes, 8 000 litres par an pour quarante ménages habitant dans des passoires thermiques chauffées au fioul, en complément du chèque énergie. Imaginez ces chiffres sur 36 000 communes…». Sans oublier les emplois créés rappelle le coordinateur. Roule ma frite 17 compte à ce jour quatre salariés à temps partiel.

    L’association fera partie des six structures auditionnées par le gouvernement (aux côtés de la direction générale de l’énergie et du climat, d’un constructeur automobile, etc.)  en vue de produire le rapport sur les conséquences d’une autorisation du réemploi des huiles usagées.

     

    [Mis à jour le 29/08/2022 : Le 17 août dernier, la loi pouvoir d’achat a bien été publiée au Journal officiel, mais sans l’article consacré à la réutilisation des huiles alimentaires. Le Conseil constitutionnel a en effet retoqué l’article 46, estimant que ces dispositions ne présentaient « pas de lien, même indirect » avec le reste du texte de loi]

    Le camion de collecte de Roule ma frite 17.
    ©Roule ma frite 17

     


    Pour aller plus loin

    https://www.facebook.com/roulemafrite17Oleron/

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