Depuis près de dix ans, citoyen.ne.s et scientifiques travaillent main dans la main pour observer l’évolution de la biodiversité du littoral en France, dans le cadre du programme national de sciences participatives BioLit, coordonné par l’association Planète Mer. Cette collaboration a notamment permis de mettre en évidence que la quantité de certains mollusques pourrait représenter un indicateur performant de la qualité des écosystèmes sur la côte atlantique française. 2 400 participants, 55 sites explorés… Cette étude, « Algues brunes et bigorneaux », a contribué à la collecte de 2 652 échantillons.
« Sur un caillou, il y a très peu de places inoccupées par les mollusques. L’estran rocheux c’est comme à Paris, c’est la crise du logement », plaisante Tristan Dimeglio, chargé de mission à l’association Planète Mer, en train d’inspecter les petites bêtes qui vivent à marée basse sur la plage de plage Saint-Enogat, à Dinard, en Bretagne. L’estran constitue la zone de balancement des marées. Bigorneaux, patelles, balanes… Quand l’océan se recule, diverses espèces restent accrochées sur les rochers et se dissimulent sous les algues, afin de rester au frais le temps que la marée remonte.
Reconnaître ces mollusques et les comptabiliser. Voici tout l’enjeu de l’étude lancée par Planète Mer, association de protection de la vie marine, il y a un peu plus de dix ans, dans le cadre du programme national de sciences participatives sur la biodiversité du littoral, BioLit. Depuis, 2 400 personnes (bénévoles, chercheurs, travailleurs associatifs, etc.) ont participé à ces observations des estrans sur la façade ouest de la France, ce qui a permis de mettre en évidence que la présence et la diversité de gastéropodes (famille de mollusques dont fait partie les bigorneaux) pourraient représenter un indicateur de la qualité des écosystèmes côtiers. Ces mollusques sont notamment perturbés par des pressions environnementales d’origine humaine, en raison de la concentration d’azote et de nitrates, transportés par les grands fleuves et qui se jettent sur la côté ouest. Une pollution qui réduirait de 65% à 75% l’abondance des gastéropodes.
Pour mener cette étude, Planète Mer a collaboré avec les scientifiques de la station marine de Dinard du Muséum National d’Histoire Naturelle (CRESCO), du laboratoire Biologie des organismes et Ecosystèmes Aquatiques (BOREA) et de l’université Rennes 1. L’association s’est aussi appuyée sur une quarantaine de structures d’éducation à l’environnement, afin de relayer ce projet sur leur territoire et de former des milliers de citoyen.ne.s au protocole de la collecte et de réaliser un nombre conséquent d’observations.
« Eduquer son regard à la nature »
Seul ou en groupe, 15 minutes ou jusqu’à 2 heures. Chacun.e peut réaliser le protocole selon ses goûts. L’objectif : dénombrer les mollusques et les prendre en photo dans l’espace imparti, ou bien seulement les prendre en photo. « C’est pour accepter de se tromper, car c’est un frein pour certaines personnes », précise l’animateur. L’identification se fait alors plus tard sur la plateforme en ligne de BioLit (par d’autres participants), puis est validée par Planète Mer ultérieurement. Les données sont ensuite analysées par des chercheurs, de la station marine notamment.
Pour Tristan Dimeglio, qui scrute chaque rocher avec grande attention, ces observations sont un moment privilégié pour « éduquer son regard à la nature », en prenant le temps de regarder autour de soi. « Les participants sont souvent impressionnés par toute la vie qu’ils découvrent à marée basse. » C’est aussi le moyen de sensibiliser un large public aux enjeux des littoraux, en expliquant à chacun.e quelles espèces sont importantes pour le milieu. Et pour protéger ces dernières, l’inventaire constitue une étape primordiale.
Au-delà de la sensibilisation, le programme BioLit entend « faire monter en compétences » les citoyen.ne.s sur la reconnaissance des espèces et sur le fonctionnement de ces écosystèmes. « Certaines personnes observent tous les jours les changements qui surviennent sur le littoral qu’ils côtoient, ce qui leur a permis de développer un savoir de 30 ans sur ce même lieu. Mais bien souvent, ils ne connaissent pas la ou les causes de ces perturbations. La mise en relation avec les chercheurs dans le cadre des sciences participatives leur permet d’avoir des réponses à leurs interrogations », explique Tristan Dimeglio, tout en reposant délicatement chaque mollusque qu’il a comptabilisé. Quelques rencontres ont été organisées entre les chercheurs et le public au fil des années et les participants recevaient fréquemment un compte-rendu des avancées de l’étude.
Reconnaissance des sciences participatives
Le programme BioLit est né suite à la volonté de Planète Mer de faire participer les citoyen.ne.s à des projets scientifiques. Mais avant 2010, ces sciences collaboratives étaient peu reconnues, car bien souvent décriées d’un point de vue scientifique. Frédéric Ysnel, maître de conférences à l’université Rennes 1 qui a participé au projet, abonde dans ce sens : « Les scientifiques se méfiaient de la qualité des données collectées car les protocoles étaient forcément simplifiés, puisqu’ils doivent être accessibles à des personnes qui n’ont pas de formation scientifique. » L’enjeu a donc été d’établir un protocole qui puisse être réalisable par le grand public et validé par la communauté scientifique.
Pour l’encadrement, Planète Mer a sollicité la station marine de Dinard, qui a accepté de participer au programme et qui a orienté la recherche sur les algues brunes et les bigorneaux. Car une réduction de la couverture algale était observée depuis un certain temps mais peu d’études s’étaient penchées sur les communautés animales associées.
Eric Feunteun, chef de la station marine de Dinard, note une montée en puissance récente des sciences participatives, notamment grâce à des outils comme le smartphone. « Ce n’est plus seulement le scientifique qui fait un diagnostic et qui délivre un message. Nous ne nous posons plus en tant que prescripteurs, on travaille désormais en concertation avec le public. Le but est de construire ensemble des questionnements et des diagnostics sur l’état écologique de nos côtes rocheuses », analyse ce professeur au Museum national d’histoire naturelle (MNHN).
Ces observations citoyennes sont aussi une ressource considérable pour les chercheurs, dont les études peuvent couvrir des étendues spatiales et temporelles plus importantes. Forte de ce travail de dix ans et de ses 2 652 échantillons collectés sur la côté de l’Atlantique et de la Manche, les résultats de l’étude « Algues brunes et bigorneaux »d e BioLit ont été récemment publiés dans une revue scientifique prestigieuse, STOTEN, du groupe Elsevier. De quoi mettre en valeur la fiabilité des données issues de ces programmes réalisés avec les citoyen.ne.s.
« De la donnée utile, utilisable et utilisée »
De plus, les données issues de ce programme ont servi plus largement la station marine de Dinard, Planète Mer ou le MNHN, qui les a centralisées dans l’inventaire national du patrimoine naturel (INPN), connecté à des bases de données internationales. Au total, les ressources issues de ce programme BioLit ont enrichi plus 1 200 études scientifiques dans le monde. Tristan Dimeglio présente avec fierté le triptyque qui résume selon lui ce projet : « C’est de la donnée utile car elle répond à une problématique, utilisable car elle est validée scientifiquement, et utilisée car ses données brutes ont contribué à de nombreux programmes de recherche. »
Et ce n’est pas fini. Car le programme et les collectes se poursuivent sur le littoral, avec désormais d’autres champs d’exploration possibles. Parmi les pistes envisagées : la question de l’origine des perturbations, en ciblant les estrans les plus touchés, ou encore, la problématique de l’impact du changement climatique, en observant l’évolution des espèces dites sensibles au changement climatique. Des animations en lien avec ces thématiques devraient débuter prochainement sur le littoral.
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