Laurent Tillon : « Se promener en forêt renforce notre système immunitaire »

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    Des profondeurs du sol jusqu’à la cime des arbres, en passant par le dessous de leur écorce, la forêt abrite un monde fascinant. Laurent Tillon, biologiste, ingénieur forestier à l’ONF, membre du Conseil national de la protection de la nature (CNPN)1 et auteur d’Être un chêne. Sous l’écorce de Quercus nous invite à sa rencontre.

    Pourquoi avons-nous besoin de la forêt ?

    En ces temps de pandémie, chacun réalise à quel point la nature peut lui manquer, et particulièrement les grands espaces comme la forêt, symbole de liberté. Nous en avons besoin d’un point de vue psychologique, et ce bien-être ressenti en forêt s’explique de façon biologique : pour résister aux attaques extérieures – un insecte dévoreur de feuilles, par exemple – les arbres produisent des molécules chimiques. Certaines de ces molécules sont transmises dans l’air pour prévenir les autres arbres de la forêt, mais il n’y a pas qu’eux qui en profitent ! Les promeneurs aussi. Elles déclenchent chez l’homme la production de lymphocytes, bouclier face aux bactéries et aux virus. Oui ! se promener en forêt ou s’asseoir au pied d’un arbre renforce notre système immunitaire !

    Mais ce n’est pas tout : après une agression, lorsque l’arbre cicatrise, il produit des ions négatifs, dont certains s’échappent également dans l’air et ont pour effet de réduire le taux de cortisol, l’hormone du stress chronique. Ces ions réduisent aussi le rythme cardiaque et, par effet domino, les risques cardiovasculaires. Ces découvertes sont récentes. Nous les devons notamment à des chercheurs japonais qui, dans les années 2010, ont étudié les bienfaits de pratiques comme la sylvothérapie (approche naturopathique consistant à enlacer des arbres et à pratiquer des bains de forêt, ndlr). La science a validé ce qui n’était qu’un ressenti mais, pour que cela soit efficace, il faut que l’écosystème forestier fonctionne correctement.

    Qu’est-ce qu’une forêt qui fonctionne bien ?

    Nombreux sont ceux qui pensent qu’un arbre mort est synonyme de mauvaise santé ; or, cela fait partie du cycle naturel. La lutte pour la survie amène justement la production de molécules protectrices. Durant longtemps, les gestionnaires ont eu tendance à retirer le bois mort, pour faire « propre », mais une forêt qui fonctionne bien est une forêt diversifiée, avec du bois mort naturel, de la végétation pouvant entraver le déplacement, des essences variées, des champignons, de la faune… Une biodiversité qui communique en réseau. Prenons l’exemple des champignons : ils ne savent pas synthétiser les sucres pour croître et fructifier. Ils ont donc besoin de l’aide d’autres organismes ; et quoi de mieux que les arbres ? Dans cette symbiose, le champignon récupère les sucres produits par l’arbre via ses racines. En échange, il lui permet d’accéder à des oligo- éléments et d’être connecté à ses congénères. Une souche peut ainsi survivre plusieurs années après avoir été privée de son feuillage.

    La faune joue aussi un rôle important dans cet écosystème, notamment le loup : prédateur des chevreuils et autres espèces qui mangent les jeunes pousses, il entraîne un comportement de vigilance et de fuite chez ses proies, permettant le renouvellement de la forêt. La connaissance de ces interactions devrait inciter gestionnaires et législateurs à revoir leur politique de la forêt. Personnellement, je trouve magique que les arbres, êtres si différents de nous, améliorent notre bien-être.

    Laurent Tillon © Ingrid Bailleul

    Comment revoir les modèles de gestion et de politique forestières ?

    Pour reprendre l’exemple du loup, il suffirait d’arrêter de le tuer. Il y a d’autres façons de gérer sa cohabitation avec le pastoralisme. Mais d’autres problématiques menacent les forêts. L’industrialisation notamment, qui concerne des parcelles privées, détenues par des investisseurs [la forêt est le troisième portefeuille d’investissement, après les valeurs boursières et l’immobilier, NDLR] et gérées comme des champs d’arbres. Ces plantations rectilignes, mono-essences, à croissance rapide, sont récoltées au bout de trente à quarante ans seulement et abattues en coupes rases [lire encadré ci-dessous], appauvrissant durablement le sol forestier. Certains pays, comme la Suisse, ont interdit les coupes rases depuis longtemps. Autre problématique : la crise écologique, qui frappe les forêts de plein fouet. Dans l’Allier, par exemple, 10 000 hectares de la forêt de Tronçais dépérissent en raison des sécheresses à répétition. Personnellement, je pense que si on laisse faire, la forêt va se transformer et des essences différentes suivront celles qui ne pourront s’adapter.

    Mais comment continuer à produire du bois ? L’humain a besoin de cette ressource autant que de contrôler tout ce qui l’entoure. Même si, dans l’imaginaire collectif, la forêt est perçue comme un espace sauvage, elle ne l’est plus du tout. Toutes les forêts de plaine et d’Île-de-France ont fait l’objet de l’exploitation du bois, à tel point qu’à la fin du XIXe siècle, le couvert forestier ne représentait plus que 13 % de notre surface métropolitaine. Depuis, ce chiffre a triplé, mais les forêts restent quasiment toutes gérées, coupées ou plantées en fonction de nos besoins humains.

    Une anecdote à ce sujet : dans les années 1950, l’État commande la plantation de millions de jeunes pins pour en faire des poteaux pour lignes téléphoniques, supposées désenclaver les campagnes. Mais les arbres poussent bien plus lentement que la politique des hommes et entre-temps est inventé le poteau en béton. Ainsi, la forêt évolue aussi en fonction des demandes, qui ne cessent de changer.

    D’un autre côté, je n’imagine pas que nous puissions nous passer de bois. Que se passerait-il si nous laissions toutes les forêts évoluer librement ? Il faudrait remplacer cette matière par du béton ou du plastique, se chauffer à l’électricité ou au gaz… Ce serait tout aussi catastrophique. L’équation n’est pas simple !

    Peut-on trouver un juste milieu ?

    Oui. Il existe des modes de gestion plus doux, comme la futaie irrégulière, pratiquée dans les forêts d’Île-de-France de l’ONF : plutôt que de tout raser sur 1 hectare, nous prélevons les arbres de façon à maintenir le couvert forestier. Sans introduction de nouveaux plants, nous laissons la forêt se régénérer seule. Mais toutes les forêts publiques ne sont pas encore gérées ainsi et les deux tiers des forêts sont privés.

    Il faut changer de logiciel sociétal. En politique, l’homme a toujours une vision en silos. Il ne voit pas les interactions. Or des décisions simples peuvent être prises, comme interdire les coupes rases, ou l’huile de palme qui contribue à la déforestation tropicale. Je crois beaucoup à la prise de conscience des individus qui composent la société, les associations, les collectifs, lesquels transforment localement la manière dont on appréhende notre environnement. C’est lent, mais cela pourrait aller plus vite avec davantage d’éducation à l’environnement : la plupart des citoyens ont perdu le contact avec la nature, ils ne savent plus reconnaître les essences d’arbres. Cela devrait faire partie des programmes scolaires.

    Êtes-vous optimiste ?

    Oui, car le public et les médias s’intéressent de plus en plus à la forêt et, lorsqu’on agit, les bénéfices sont visibles assez rapidement. Un exemple avec la chauve-souris Grand Rhinolophe, très sensible aux pesticides. Des mesures de protection ont été mises en place dans les années 1980, comme des conventions signées avec les exploitants agricoles garantissant la limitation des traitements chimiques dans un rayon d’au moins 1 kilomètre autour des colonies de mise bas. Grâce à cela, les populations ont augmenté de 30 % ces dix dernières années ! Autre exemple avec les réserves biologiques intégrales (2)  : des îlots de vieux bois, dans lesquels l’homme n’intervient pas. Résultat : des espèces resurgissent ! Changer de gestion fonctionne et les efforts finissent par payer. Il ne faut pas avoir peur de ce défi !

    1. Composé d’une soixantaine d’experts, le Conseil national de la protection de la nature est rattaché au ministère de la Transition écologique et donne son avis sur les questions de biodiversité.
    2. Les RBI représentent près de 22 000 hectares en Métropole et près de 100 000 hectares en Outre-Mer (chiffres 2016 du ministère de l’Agriculture).

     

    BIO EXPRESS

    1977 : Naissance en Eure-et-Loir

    1998 : Intègre l’ONF

    2005 : Chargé de la biodiversité à la direction générale de l’ONF

    2015 : Docteur en biologie et écologie

    2017 : Scientifique expert de la forêt et des chauves-souris au CNPN


    Coupe rase, la méthode radicale

    L’inventaire forestier national la définit comme « l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle ». Egalement appelée « coupe à blanc », cette méthode a un impact désastreux sur le paysage et la biodiversité : des espèces d’oiseaux perdent leur habitat et la vie du sol, denude, est mise a mal. Mal encadrées par la loi, ces coupes ne font pas l’objet de statistiques officielles. Elles sont pratiquées aussi bien en forêt publique que privée et ne sont pas interdites par la certification PEFC, censée garantir une gestion durable de la forêt.

    Source : association Canopee-Forets vivantes


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    Retrouvez notre dossier consacré aux forêts dans notre K57, disponible ici.

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