Le gouvernement a « vidé de son sens » le concept d’aires marines protégées selon l’ONG BLOOM

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    Le mercredi 8 juin 2022, à l’occasion de la journée mondiale de l’océan, l’association BLOOM (ONG de protection des fonds marins) a engagé une procédure contre un décret gouvernemental qui amoindrit le concept des aires marines protégées (AMP). Publié le 13 avril dernier, ce décret prévoit notamment une « limitation significative » des activités humaines dans ces zones, alors que ces dernières devraient être complètement interdites dans ces espaces d’après les standards internationaux. Une « escroquerie », selon BLOOM, qui permettrait à Emmanuel Macron d’atteindre son quota d’AMP, alors même que  près de 50% des heures de pêche industrielle étaient concentrées dans ces aires marines dites « protégées » selon une récente étude de l’association. [Mis à jour le 07/10/2022]

    Le 11 février 2022, en clôture du « One Ocean Summit », sommet mondial sur la protection des fonds marins organisé à Brest, Emmanuel Maron a annoncé avec fierté que l’objectif de 30 % des espaces terrestres et maritimes classés en aires protégées était désormais dépassé[1]. Le président de la République a également déclaré que la France allait « doubler ses aires de protection forte » en les faisant « passer de 2 à 4% » pour atteindre 10% à horizon 2030.

    Si ces annonces sont apparues de bon augure pour la sauvegarde des fonds marins, elles résulteraient en réalité d’un « calcul cynique du gouvernement » a révélé l’association pour la défense des océans BLOOM le 8 juin dernier dans un communiqué. En effet, selon l’ONG, Emmanuel Macron a pu se permettre ces promesses car d’une part, les aires nouvellement protégées se situent dans les eaux australes françaises, où très peu d’activités de pêche ont lieu, mais surtout parce qu’un décret vidant de sa substance la notion de « protection forte » venait d’être rédigé, et dont la consultation publique était close depuis une semaine.

    Lire aussi : Les Soulèvements de la mer : le contre-sommet du One Ocean Summit

    Activités extractives industrielles autorisées

    Tel qu’il est rédigé, le texte prévoit un « évitement » ou une « limitation significative » des activités humaines qui peuvent avoir un impact et non pas leur interdiction catégorique, ce qui devrait être le cas dans n’importe quelle aire dite « protégée » d’après les standards internationaux. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une « aire marine protégée » ne peut pas comprendre d’activités extractives industrielles (y compris certaines pêches) ni d’infrastructures industrielles développées. Quant à la « protection intégrale », cette catégorie exclut toute « activité extractive ou destructrice », soit toutes les activités humaines, y compris la pêche artisanale.

    Ainsi, ce que la France appelle une « protection forte » – concept amoindri dans ce décret – devrait correspondre à une définition s’appliquant à l’ensemble de ses aires marines protégées (et non les 2% actuels), avec une interdiction totale des activités industrielles. Et cette « protection forte » ne correspond pas à la « protection intégrale » de l’UICN, car la conception française comprend des activités humaines, y compris celles qui peuvent avoir un impact.

    Dans une étude publiée le 7 octobre 2022, BLOOM a révélé l’intensité des activités de pêche industrielle dans les aires marines censées être « protégées » : En 2021, près de 50% des heures de pêche industrielle étaient concentrées dans les AMP (tendance à la hausse depuis 2019), alors que ces zones ne représentent que 43,5% de la Zone économique exclusive (ZEE) (zone maritime où un Etat dispose de l’exclusivité d’exploitation des ressources, ndlr) de la France métropolitaine. Pour rappel, de nombreuses études scientifiques pointent du doigt fréquemment les effets néfastes pour la biodiversité des techniques de pêche qui raclent les fonds marins, comme le chalutage de fond ou les dragues (destruction d’herbiers et forêts marines, libération de CO2 stocké dans les sédiments marins, capture indifférenciée de poissons, etc.).

    Un « imbroglio technique » et une « escroquerie »

    Après avoir analysé minutieusement – sous le contrôle de juristes – ce décret, paru le 13 avril 2022 au Journal officiel, l’association BLOOM dénonce un « imbroglio technique » et une « escroquerie ». « Le gouvernement français n’a pas la moindre intention de protéger l’océan des activités industrielles, comme le dicte pourtant la définition d’une « aire marine protégée » selon l’UICN, pas même sur une portion réduite à 10% des eaux françaises, fustige l’ONG dans son communiqué. Il s’agit de mentir méthodiquement pour masquer le parti-pris résolu en faveur des industries extractives destructrices contre celui des citoyens et de la planète. »

    Comme le rappelle Claire Nouvian, fondatrice et présidente de BLOOM, dans une tribune dans Le Monde, « 98 % des zones dites ‘protégées’ [françaises] ne protègent pas les écosystèmes marins des activités extractives à fort impact environnemental, comme le chalut de fond. » Une étude scientifique de 2018 a d’ailleurs dévoilé que la majorité des aires marines européennes dites « protégées » étaient 1,4 fois plus intensément chalutées que les zones non protégées.

    L’association de défense des océans et de la pêche et de la pêche artisanale a donc déposé un recours gracieux pour demander au gouvernement le retrait du décret en l’état actuel et d’adopter une définition claire des niveaux de protection des fonds marins, en se conformant aux standards internationaux, notamment les recommandations scientifiques du Guide des Aires marines protégées. Mais en l’absence de réponse du gouvernement suite à ce recours gracieux, BLOOM a finalement attaqué devant le Conseil d’Etat ce décret qui amoindrit la protection des océans le 7 octobre 2022.
    Alors que la France est la deuxième puissance maritime mondiale après les Etats-Unis, l’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de définir la norme qui servira de référence pour la gestion des aires marines protégées à l’avenir.

    [1] Cette ambition avait été mise en avant par le président de la République dès 2019, lors des Assises de la mer, et réaffirmée lors du Congrès mondial de L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), accueilli en septembre 2021 par la France à Marseille.


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