Partage de la charge contraceptive, reprendre en main sa fertilité, prendre conscience de sa paternité ou encore briser le tabou de la contraception dite masculine. Ces raisons mènent au développement et à l’intérêt grandissant porté à ces contraceptions. Pour en savoir plus sur les méthodes existantes lire « Tout savoir sur les contraceptions dites masculines ».
Maxime Labrit a créé l’anneau Andro-switch, en 2017. La commercialisation de cette méthode thermique a été suspendue par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) le 10 décembre 2021. Pour retourner sur le marché, l’anneau doit recevoir la certification européenne, garantie de l’efficacité et de la sécurité du dispositif. Près d’un million d’euros sont nécessaires en plus de la réalisation d’essais cliniques stricts.
Selon vous, pourquoi les hommes doivent-ils prendre en charge leur contraception ?
Il n’y a aucune injonction à faire quoi que ce soit. Les hommes ne doivent pas ! Chacun est libre de faire ce qu’il veut avec son corps. L’intérêt des pratiques contraceptives masculines est d’élargir l’éventail contraceptif. Ensuite, c’est un retour à la connaissance de son propre corps, plutôt basé sur une approche singulière et individuelle de la connaissance et de la maîtrise de sa propre fertilité, avant d’engager un processus contraceptif.
« On se rend compte qu’une pratique qui était censée favoriser une forme d’émancipation est devenue une charge pour les femmes »
Diminue-t-elle malgré tout la charge mentale des femmes ?
Oui, mais selon moi cela questionne surtout des enjeux sociétaux. Dans quelle société voulons-nous vivre collectivement ? Après 50 ans de pratique contraceptive, centré sur des personnes ayant des ovaires, on se rend compte qu’une pratique qui était censée favoriser une forme d’émancipation est devenue une charge pour les femmes. Finalement, la domination patriarcale a refait surface. C’est pourquoi, il est important pour les personnes ayant les testicules, de s’interroger à partir du moment où elles ont des coïts vaginaux. Encore faut-il qu’il y ait une pénétration vaginale, la sexualité est beaucoup plus large que cela. Mais s’il y a coït vaginal les deux personnes engagent leur responsabilité et leur pouvoir de fécondation. Et dans ce cadre-là, il est indispensable, que les personnes ayant des testicules aient accès à de l’information, un système d’éducation qui leur permet de comprendre leur corps et dans quelle mesure ils peuvent se responsabiliser dans leur démarche avec l’autre pour éviter une grossesse qu’ils ne désirent pas d’un commun accord.
Quels sont les modes de contraception pour les hommes ?
Il existe le retrait, qui est plutôt une méthode collaborative, mais elle repose beaucoup plus sur le corps de l’homme parce que ce sera à lui de se retirer. Le préservatif est une bonne méthode qui est aussi collaborative. Il est utilisé depuis quelques milliers d’années dans des pratiques contraceptives. Maintenant, il est plutôt employé pour éviter les IST (Infections sexuellement transmissibles) ou lors du démarrage de la vie sexuelle. Ensuite vient la vasectomie. Elle est pratiquée depuis presque un siècle. Officiellement, ce sont les seules méthodes qui sont proposées. Mais, il existe aussi des méthodes hormonales et thermiques. Elles sont disponibles mais peu accessibles et ne jouissent pas encore d’une bénédiction étatique.
Il existe des injections intramusculaires de testostérone, une méthode hormonale. Et sinon pour la méthode thermique, il y a le slip contraceptif, aussi appelé remonte couilles toulousain, qui n’est pas commercialisé. Seuls les couples monogames hétérocentrés pouvaient s’en procurer un, sur rendez-vous au CHU de Toulouse uniquement. Mais depuis décembre 2021 il n’est plus disponible. La consultation a été fermée pour des raisons administratives. Le jock-strap s’est développé en parallèle. Il suit le même principe que le slip contraceptif mais il est sans textile, juste avec des élastiques. Cela ressemble à un harnais. Dès les années 1980, des groupes militants ont travaillé pour la recherche et le développement de la contraception masculine. Ils ont émergé en Bretagne avec le collectif Thomas Bouloù, à Toulouse avec l’association GARCON, et un peu ailleurs en France. Ce sont des groupes basés sur l’auto-fabrication. On s’assoit ensemble, on fabrique nos modèles et en même temps, on prend le temps de discuter pour essayer aussi de se déconstruire. Il existe aussi l’anneau en silicone, dont celui que j’ai fabriqué, l’Andro-switch. Il est fait en silicone biocompatible.
[Pour comprendre comment porter ces moyens de contraception thermique, l’ARDECOM a réalisé des tutos en vidéo (Images pour adultes)]
Qu’avez-vous mis en place depuis la décision de l’ANSM ?
Depuis l’arrêt de la commercialisation de l’anneau, la Scic (société coopérative d’intérêt collectif) ENTRELAC nous accompagne pour trouver les financements nécessaires à la certification européenne, et l’association Slowcontraception nous soutient dans cette lutte pour l’équité contraceptive et la sortie de l’inaction manifeste des acteurs. Ces deux entités s’inscrivent dans le développement d’un réel partage de la charge contraceptive avec Thoreme qui fabrique les anneaux. Outre ce projet de coopérative qui vise à atteindre collectivement cette certification, l’achat d’un talisman réversible, un objet décoratif de l’artiste LSF, permet de soutenir notre démarche.
« Dans les années 1990, ces effets secondaires étaient inconcevables pour un homme »
Pourquoi la contraception hormonale n’a-t-elle pas été développée comme pour les femmes ?
Au début de la contraception hormonale pour les femmes (la pilule) on a développé à peu près les mêmes méthodes pour les hommes. Mais elle provoquait une baisse de la testostérone. Ils ont trouvé des solutions pour compenser et ça fonctionnait plutôt bien. Une étude a été réalisée dans une dizaine de pays dans les années 1990. Sauf qu’il y avait des effets secondaires indésirables, à peu près les mêmes que ceux pour les personnes ayant des ovaires, dont la prise de poids, l’apparition d’acné et de troubles de l’humeur par exemple. Mais dans les années 1990, ces effets secondaires étaient inconcevables pour un homme. C’est pourquoi les essais ont été arrêtés.
Comment l’expliquez-vous ?
Les lobbies pharmaceutiques sont en cause. Ils estiment que la contraception aurait un impact sur la virilité. Ils ont des approches très anciennes, conservatrices, dominantes et l’assument. Couplé à ça, ces lobbies n’ont pas un devoir à répondre aux enjeux de santé publique. La contraception masculine ne les intéresse pas, parce qu’ils ne gagneraient pas d’argent dessus. Les méthodes thermiques ne sont pas rentables : un anneau a une longue vie et un slip peut s’auto-fabriquer. Il n’y a pas besoin de passer à la caisse tous les mois, comme avec les pratiques hormonales.
« Cela fait 50 ans que la contraception masculine est taboue et que l’omerta dure »
En tant qu’association, collectif et fabricant, nous faisons le travail à la place des fonctions régaliennes de l’Etat. Alors qu’il y a un vrai enjeu de santé publique autour de la contraception. Cela fait 50 ans que la contraception masculine est taboue et que l’omerta dure. Il faut entamer des changements, que les politiques forcent les lobbies à revenir à des pratiques éthiques, pour la collectivité.
Quelle est l’origine de la contraception thermique ?
Cette méthode s’est inspirée dans le monde vivant. Dans le règne animal, il y a déjà des mammifères, type rongeur, qui pratiquent la remontée testiculaire. Hippocrate parlait déjà de la relation entre chaleur et spermatogenèse. Cette idée est très ancienne. On sait d’un point de vue scientifique que la chaleur altère la production de spermatozoïdes. Ça fait à peu près un siècle que l’on sait comment augmenter la fertilité des hommes : en refroidissant les testicules. Utiliser cette idée sur des modalités contraceptives est resté lettre morte très longtemps. Les Romains pratiquaient déjà le bain chauffant avec des chaises percées en Asie mineure. Ce n’est que dans les années 80 que cette idée a été reprise mais cette fois en utilisant la chaleur de son propre corps. Il y a une poche interne qui se trouve au niveau du pubis. Les testicules peuvent migrer à cet endroit et la chaleur du corps suffit à arrêter la production de spermatozoïdes.
Ce sont des méthodes pratiquées depuis une petite quarantaine d’années, mais elles n’arrivent pas à émerger et à être connues.
Comment pratique-t-on ces méthodes thermiques ?
La méthode thermique est à la fois efficace et réversible. On utilise un slip chauffant, un jock-strap ou un anneau pour que les testicules restent au chaud 15 heures par jour. C’est un acte rituel qui rentre dans la vie de tous les jours. L’anneau ne contracepte pas, c’est la chaleur du corps de la personne qui va avoir l’effet contraceptif. L’efficacité et la réversibilité de la méthode thermique sont différées. Il faut attendre trois mois pour être contracepté et de trois à six pour redevenir fertile. Par principe de précaution, il est important d’utiliser une autre méthode de contraception jusqu’à ce que la spermatogenèse soit revenue sur ses standards pré-contraceptifs.
Les tests de durabilité de l’anneau sont en cours avec un laboratoire. Même s’il y a des milliers de personnes qui l’ont utilisé, on est encore sur les retours de pratiques pour le moment. L’anneau a une durée de vie plus ou moins longue en fonction de la manière dont il est nettoyé et entretenu (exposition aux UV, au sel…). La sudation agit aussi énormément sur l’usure de l’anneau. Toutefois, le silicone garantit une durabilité supérieure au textile. Mais il est assez facile de perdre son anneau, plus rapidement que d’arriver à un degré d’usure important. Il faut le changer lorsque ses qualités de maintien ne sont plus optimales. Son utilisation est expliquée sur notre site Thoreme.
Pourquoi avez-vous lancé l’anneau Andro-Switch ?
J’ai commencé en 2019. Au départ, je le faisais pour moi. Au lieu de fabriquer un slip, il m’a été plus simple d’inventer un nouvel outil en mode DIY. J’ai fini par le diffuser parce que les copains et les militants trouvaient que c’était intéressant d’avoir une nouvelle alternative. J’ai commencé à le commercialiser avec un petit modèle artisanal. Les ventes ont pris de l’importance avec l’activité, soit médiatique, soit sur les réseaux, sous forme de témoignages. C’est comme ça que cette contraception s’est développée et est devenue accessible.
A l’heure actuelle, on est à peu près à 500 personnes qui s’y mettent tous les mois. Ce sont des utilisateurs francophones, anglophones et germanophones. Actuellement, il y a autant de personnes qui se mettent à la vasectomie que de personnes qui pratiquent la méthode thermique chaque année.
« Cette idée de castration associée à la contraception masculine est en train de se déconstruire à vitesse grand V »
Comment voyez-vous l’avenir de la contraception masculine ?
Collectivement, on est en train de se rendre compte qu’il existe des alternatives sur le domaine de la contraception et qu’il est possible de mieux répartir la charge contraceptive, qui était inacceptable il y a encore 5 à 10 ans. Cette idée de castration associée à la contraception masculine est en train de se déconstruire à vitesse grand V. Les nouvelles générations arrivent avec un degré d’aptitude et d’acceptabilité de ces pratiques beaucoup plus grandes, surtout parce qu’elles ont aussi des impacts écologiques positifs. La contraception se fera sous forme de partenariat, où chacun va questionner sa fertilité et son degré de responsabilité dans la parentalité. La mutualisation des méthodes naturelles va provoquer des indices d’efficacité beaucoup plus importants que des pratiques individuelles industrialisées et très médicales.
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« Contraception : place aux hommes », Kaizen n°59 Ralentir