Ancien chercheur au CNRS en climatologie, puis directeur de l’association Colibris, Mathieu Labonne est aujourd’hui président de la Coopérative Oasis, fondateur de l’écohameau du Plessis et coordinateur du centre Amma dans l’Eure-et-Loir (28). Dans son livre Servir le monde. La voix de l’écologie spirituelle (Ed. Tana, 2022), il explore les voies de sagesses et des actions qui réconcilient l’approche holistique de l’être humain, de la société et de son environnement.
Vous êtes ingénieur de formation, ancien chercheur au CNRS en climatologie, formé au symbolisme, et en même temps un « chercheur spirituel », comme vous le décrivez dans votre livre : comment avez-vous réussi à faire converger sciences et spiritualité ?
Ce n’est pas incompatible. Le problème en Occident c’est que l’on a souvent associé la spiritualité au dogme religieux, or ce n’est pas la même chose. La spiritualité est une démarche éminemment rationnelle dans le sens où elle s’inscrit dans une démarche de quête de vérité, sans se voiler la face. Depuis plusieurs millénaires, les grands mystiques de l’Inde par exemple étaient véritablement des chercheurs qui exploraient intimement leur psychisme, leur intérieur, pour tenter de répondre à une forme de vérité. La science, elle, cherche des réponses dans la matière. Il y a une forme d’éthique de la vérité qui est commune, et il y a surtout cette démarche du témoin qui est en commun. Un vrai chercheur scientifique n’est pas là pour prouver ses croyances, il est là pour être à l’écoute de ce qui est. C’est la même chose dans la démarche du chercheur spirituel. Dans mon parcours personnel, j’ai rencontré beaucoup de scientifiques qui n’étaient pas fermés à la spiritualité. Ils avaient une démarche de vérité qui rejoint pour moi la démarche spirituelle. Car c’est une démarche d’ouverture pas d’enfermement.
D’ailleurs vous écrivez que la crise écologique a surtout des racines spirituelles. Pourquoi ?
En observant la crise écologique, on constate d’abord que c’est notre rapport au monde qui est remis en question. Ce n’est pas juste une question écologique ou politique, c’est plus global. Notre rapport à la vie et au monde interroge le sens de nos actions. Je suis convaincu que les racines de la crise écologique sont humaines et spirituelles, dans la mesure où son origine est aussi liée au fait que l’être humain s’est coupée du reste du vivant. Ce sentiment de séparation qui relève de l’ego, nous mène vers une sorte de frénésie à la consommation : en cherchant le bonheur dans la consommation au lieu de le chercher à l’intérieur de nous-mêmes. Alors qu’avec une approche spirituelle de la vie, on aurait nécessairement un mode de vie plus sobre, plus simple.
Vous attribuez cette séparation à notre ego. Pourquoi ?
Toute la démarche spirituelle consiste à arriver à prendre conscience que même si on a sa propre singularité, l’ego est le contraire d’une forme d’unité car on est plus profond que cela. L’idée est de retrouver un sentiment d’unité avec nos frères et sœurs humains, mais aussi avec tout le vivant. Ce n’est pas un simple concept intellectuel, c’est une démarche qui se travaille parce qu’il y a une forme d’érosion de son psychisme, qui n’enlève en rien une singularité personnelle. Pour être davantage dans l’unité avec le reste du monde, il est nécessaire de ne pas s’identifier à notre propre histoire, mais à quelque chose de plus grand que nous : la nature, le divin, chacun y met ce qu’il veut derrière. Retrouver une unité avec le vivant est une nécessité pour créer un monde écologique, et cela passe aussi par un travail sur soi.
Servir le monde, pour reprendre le titre de votre livre, n’est-ce pas une tâche infinie, voire impossible ?
En réalité, servir le monde n’est pas tellement vouloir changer le monde. C’est plutôt une posture : « Est-ce que je veux servir une forme de globalité ou mes propres convictions, mes propres idées ? » Servir le monde c’est plutôt servir ce qui est juste. Car même dans une démarche très militante, il s’agit parfois d’une démarche de l’ego, c’est à dire le combat contre ce que “je n’aime pas“, lié à ma propre histoire et mes propres préférences. Or la démarche spirituelle derrière la démarche écologique est d’essayer de mettre de côté sa propre histoire et ses propres blessures personnelles, pour tenter d’être dans une vision plus juste au niveau global. L’important est de dépasser ses propres idées, car si je ne défends que mes idées, je reproduis un mécanisme de confrontation des egos. Le but est d’arriver à ne plus être dans une confrontation qui divise.
Pour cela, il faut avoir beaucoup de recul sur soi…
Oui c’est un cheminement sans fin, toujours conditionné par notre histoire. C’est une vigilance intérieure permanente. C’est d’ailleurs plus une posture mentale qu’une finalité. Car dans une posture militante, le risque est de penser que l’on a raison et que tout le monde à tord. Or si on veut créer quelque chose de plus grand, il faut penser autrement. Et la rencontre avec l’autre est toujours très intéressante, pour dépasser son point de vue.
La voie de l’écologie spirituelle nous pousse-t-elle à aller plus loin ?
En tout cas, l’écologie intérieure demande une forme de vigilance. Dans les gestes écologiques extérieures par exemple on va essayer de ne pas gaspiller de l’eau, d’éteindre la lumière, de faire attention à qui on achète nos légumes, etc. Il y a une forme de vigilance extérieure qui part de notre vigilance intérieure. Dans l’écologie intérieure, il y a aussi un travail quotidien à faire sur soi-même, tout aussi essentiel pour incarner un mode de vie plus écologique et ne pas être déçu au final, de ne pas avoir changé le monde. Car le monde est long à se transformer.
Dans la démarche du colibri, chacun peut faire sa part, petite ou grande : faire tout ce qu’on l’on peut et le faire sincèrement, sans conditionner son bonheur au résultat de l’action, en étant conscient que le monde ne va pas changer que par moi. C’est un garde fou. Se réaliser soi-même en servant le monde n’est pas antinomique. On a tous des choses différentes à apporter et il est important d’accepter la diversité des contributions.
Vous parlez aussi de trouver la joie et la paix dans l’action, en évitant les écueils des dangers de la colère, notamment dans le militantisme, et l’importance de dépasser le manichéisme. Comment, vous qui êtes aussi très engagé dans l’action, trouvez-vous votre bonheur ?
J’ai un tempérament qui s’épanouit dans l’action, cela me nourrit parce que cela fait sens et que j’ai envie de contribuer positivement à un besoin global. Et aussi parce que cela me fait grandir. Dans l’action, je ne suis pas seul dans mon coin, je rencontre des gens différents. Le fait d’échouer dans des projets par exemple, c’est aussi ce qui amène de la matière pour mieux se connaître, lire dans son histoire personnelle et retrouver sa vraie nature sans s’identifier à son ego. Trouver une forme d’action qui nous rende heureux, nous permet de cheminer vers cela, car l’action est un outil. L’idéal est de maintenir une forme méditation en action.
Pourquoi selon vous, les écolieux collectifs, appelés aussi oasis, sont une des réponses clés aux enjeux écologiques actuels ?
Les oasis incarnent un mode de vie qui n’est pas seulement un modèle écologique mais qui vise aussi à rendre les gens plus heureux. Il y a une dimension collective qui est à l’échelle humaine, celle de la relation. Si on veut que le monde soit plus écologique, il faut que l’être humain puisse se transformer, en tout cas créer les conditions pour qu’il grandisse. Or la relation humaine est aussi une pratique spirituelle en tant que telle : quand on est en couple, qu’on a des enfants, cela nous fait grandir. Et lorsqu’on vit en collectif, encore plus.
Pourtant la vie en oasis ne protège pas du fameux PFH (P… de Facteur Humain)…
Oui, on se plante parfois aussi, ce n’est pas toujours merveilleux, mais en tout cas, on a vraiment une matière pour grandir, bien plus que dans un monde très individualiste où chacun vit dans son coin. C’est là où je pense que c’est un cercle vertueux. Car vivre en collectif nous permet d’être plus forts intérieurement…