Quelques semaines après les récentes annonces du One Ocean Summit organisé par le président Emmanuel Macron, le mois de mars prochain verra les Nations Unies débattre d’un projet de nouveau traité international de la haute mer. C’est l’occasion d’oser l’impensable : un gouvernement mondial des océans.
L’état des océans constitue une urgence écologique absolue. Les déchets plastiques humains s’y sont accumulés à un point tel que ce « sixième continent » s’étale sur une surface maritime égale à trois fois la France et pèse environ 80 000 tonnes. A force d’absorber de plus en plus de dioxyde de carbone, dont la quantité augmente sous l’effet des activités humaines, les océans deviennent de plus en plus acides, ce qui menace de raréfaction voire d’extinction de nombreuses formes de vie marines, y compris aussi indispensables que le plancton. Selon le WWF, à partir de 2050, c’est-à-dire dans moins de trois décennies, ils contiendront en poids plus de plastique que de poissons et ces derniers, progressivement, disparaîtront. L’eau de mer sera si gravement altérée, qu’à terme les coquilles des mollusques marins se dissoudront. Plus largement, dans l’hypothèse d’un réchauffement planétaire de 2 degrés d’ici 2100, scénario le plus « optimiste », la limite au-delà de laquelle l’acidification océanique relève d’une catastrophe écosystémique sera très largement franchie. Il s’agit donc bien, si rien n’est fait, d’un désastre écologique programmé.
Dans ce contexte objectivement cataclysmique, il est temps d’oser sortir des sentiers battus. En 2013, des représentants de la société civile de toute la planète lançaient l’Appel de Paris pour la haute mer, qui, constatant que l’espace maritime était devenu tout à la fois une zone de non-droit, de pollution massive, et de vaste pillage des ressources, sommait les gouvernements du monde d’instaurer une gouvernance mondiale. Puisque dix ans après la situation n’a fait que s’aggraver, osons en tirer toutes les conséquences : puisqu’aucun Etat ne détient la souveraineté sur la haute mer, profitons-en pour la donner aux Nations-Unies.
Il s’agirait ainsi du tout premier gouvernement mondial de l’histoire de l’humanité, immédiatement souverain sur la moitié du globe. Cela se ferait sans violence ni conflit, puisque ces aires maritimes sont aujourd’hui totalement inhabitées par l’espèce humaine. Ce gouvernement mondial des océans aurait pour tâches évidentes la protection active des immenses espaces maritimes sous sa responsabilité, leur exploration scientifique, et surtout, la stricte réglementation des activités humaines en haute mer – dont en particulier le fret maritime, la pêche, ainsi que l’exploitation minière des grands fonds. L’Assemblée des Nations Unies, en bonne logique, deviendrait le Parlement compétent pour adopter les lois régissant la haute mer. Il élirait ce gouvernement mondial, par exemple sur proposition du Secrétaire général de l’ONU.
Une telle révolution dans la marche du monde n’a rien d’utopique : il suffirait d’un vote de l’Assemblée générale des Nations Unies, à la majorité simple, pour reconnaître officiellement la souveraineté de l’ONU sur la haute mer ; il suffirait de transférer à ce gouvernement l’Organisation maritime internationale, et une partie de l’administration du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, pour qu’il soit rapidement opérationnel. Les travaux imminents de finalisation d’un nouveau traité international sur la haute mer, prévus en mars prochain au siège new-yorkais de l’ONU, seraient d’ailleurs pour l’Assemblée générale l’occasion idéale de prendre ces deux décisions.
Réponse à la hauteur de l’urgence écologique océane, la naissance de ce tout premier gouvernement mondial de l’humanité créerait également un précédent formidablement positif. Car il deviendrait dès lors concevable et plaidable, à chaque fois qu’une portion du monde ou de l’espace échappe aux Etats, de la confier à ce gouvernement de toute l’humanité. A rebours des grands replis identitaires et xénophobes qui sont la triste marque de notre époque, ce serait là, pour les très nombreux êtres humains qui se sentent citoyens du monde, une immense source d’espérance.
Tribune de Thomas Guénolé, politologue et essayiste.
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