Loom : La petite boîte de mode qui voulait ralentir

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    Cette petite entreprise a peut-être un impact « nul » dans le secteur de la mode, mais le fait est qu’elle sait se faire remarquer. Par ses actes, ses valeurs et son discours, Loom fait figure d’extra-terrestre et fait tout pour ralentir la fast-fashion. Histoire d’une petite boîte qui ne voulait surtout pas grossir.

    Nous sommes dans le 10e arrondissement de Paris, près du canal Saint-Martin. Entièrement rénovée, la caserne de pompiers de Château-Landon vient de rouvrir ses portes. Ce nouvel écrin de la mode durable est monumental : 4000 mètres carrés répartis sur six corps de bâtiments disposés en triangle avec, en son cœur, une vaste cour intérieure. Ici sont accueillis une quarantaine de labels qui souhaitent activer leur transition écologique. Parmi eux, une locomotive du grand ralentissement : Loom et ses cinq salariés.

    « Pourquoi on ne veut pas être une start-up »

    La genèse de Loom remonte à six ans environ. À l’époque, Guillaume Declair, 37 ans, est à la tête d’un média sur internet diffusant toutes sortes de bons plans parisiens : « Une grosse communauté nous suivait et beaucoup nous demandaient où trouver des fringues de qualité. » Le point de départ est là : l’impossibilité d’identifier des marques au bon rapport qualité/prix. « On a déconstruit un vêtement pour comprendre ce qui faisait la qualité et j’ai commencé à rencontrer des gens travaillant dans des usines. Je leur disais “qualité”, ils me répondaient “nouveauté”. On ne se comprenait pas. » Guillaume décide alors de se lancer, le nez au vent et la fleur au fusil. Julia Faure, 33 ans, ingénieure agronome qui ne connait rien non plus à la mode, le rejoint. Loom naît. Presque sur un malentendu.

    La question du financement se pose immédiatement : « Passer par un fonds d’investissement, c’était se lancer dans ce qu’on savait déjà ne pas vouloir, explique Guillaume. On allait obligatoirement nous demander de faire de la croissance pour espérer nous revendre. On s’est dit que les seuls à pouvoir comprendre notre démarche, et éventuellement investir, étaient nos futurs clients. On leur a donc écrit un très long texte intitulé “Pourquoi on ne veut pas être une start-up”, où l’on explique ce que l’on pense des fonds d’investissement et pourquoi on a besoin de gens comme eux. » Tout est là, dans ce texte percutant. L’écho est hallucinant. « Peut-être parce que personne n’avait encore eu ce discours », concède Guillaume. « Peut-être aussi parce que personne n’avait osé », se dit-on en l’écoutant. La plateforme de crowdfunding où le texte est publié appelle les deux « Loomers » au bout de vingt-quatre heures : ils n’ont jamais vu ça. La levée de fonds qui aurait dû prendre des mois est bouclée en trois jours. L’histoire de la petite boîte qui voulait changer le monde sans grossir peut commencer.

    Faire beaucoup moins

    La philosophie de Loom ? De façon schématique : faire mieux et surtout faire moins. Mieux en ayant d’abord une grosse exigence de qualité. « Pour le jean, par exemple, on s’est retourné le cerveau pour comprendre pourquoi apparaissaient ces trous aux genoux et comment faire en sorte que le jean résiste plus longtemps, raconte Guillaume. Avec notre laboratoire, on a créé des tests de R&D qui n’existaient pas auparavant. On a fait quantité de prototypes, avec des tissus différents. On voulait que, tests à l’appui, notre jean résiste à une infinité de cycles d’abrasion. » Mais faire mieux, c’est aussi : avec quoi ? « Au début, on n’était pas sûrs de vouloir faire du bio. Était-ce vraiment utile ? Si oui, pourquoi ? On a fait nos recherches et on a découvert un truc méconnu : on parle beaucoup des néonicotinoïdes pour les betteraves, mais pour le coton, c’est bien pire ! Fabriquer en coton bio signifie ne pas utiliser de néonicotinoïdes. Dès lors, le choix était simple : notre coton serait bio. Enfin, mieux, c’est aussi, voire surtout, où ? « Il faut que le score carbone soit prioritaire dans la façon dont on fabrique les vêtements, du coup cela veut dire fabriquer localement. Nous fabriquons en France et au Portugal où les machines fonctionnent à l’électricité et non au gaz ou au charbon. »

    Entreprise de mode Loom
    Entreprise de mode Loom

    Là où Loom sort vraiment du lot, c’est dans le moins. Et même dans le beaucoup moins. Faire moins, cela veut dire n’avoir aucune sorte d’incitation à la consommation. « Le cœur de la fast-fashion, c’est un renouvellement permanent des collections, constate Guillaume. Chez nous, pas de renouvellement. Vouloir créer du désir en permanence n’a aucun sens et Loom n’aura toujours qu’une seule collection. » Moins signifie aussi pas de publicité, ce rouleau compresseur qui nous fait acheter toujours plus. « On compte uniquement sur le bouche-à-oreille – et sur la presse qui est curieuse du modèle qu’on porte. » Moins veut également dire jamais de soldes, jamais de promos et pas de slogans du type « Moins 10 % à la première commande ! » ou « Dépêchez-vous, nos stocks sont limités ! » « Un vêtement sur deux en France est vendu en décote, constate Guillaume. La majorité des prix ne correspondent à rien. On est juste dans un truc d’incitation à la consommation pour que les gens achètent ce dont ils n’ont pas besoin. » Moins signifie encore ne pas se tuer à la tâche : « Je tiens à aller chercher mes enfants à l’école », dit Guillaume. Les 35 heures, on y est largement, ce qui est déjà pas mal pour une jeune boîte. Peut-être qu’un jour on visera les 32 ? » Enfin, moins signifie peu cher, c’est une question d’éthique. Le t-shirt Loom est à 25 euros et sera toujours à 25 euros. C’est le vrai prix tout le temps et il est bas parce qu’ils n’ont pas de dépenses inutiles : cinq salaires, c’est tout. Pas de collections, pas de pub, pas de RP, pas d’animation de réseaux. « Pour l’instant, on arrive à un truc assez vertueux que l’on veut entretenir », dit Guillaume qui reste vigilant. « Parce que l’on pourrait très vite retomber dans le piège, on met en place une culture de non-croissance. Ce qui amène régulièrement à se poser pour se dire : OK, la taille optimale d’une entreprise n’est pas forcément sa taille maximale. On est très bien, grossir davantage ne nous rendrait pas plus heureux. »

    La seule forme de communication de la marque est un blog où Guillaume et Julia parlent surtout de ce qu’ils comprennent de l’industrie textile. Sensibiliser, éduquer, décrypter : le secteur a besoin d’un changement complet de paradigme et leur rôle est politique. « On passe énormément de temps à lire. Pas uniquement des newsletters ou des textes de loi, mais des idées, des auteurs, des spécialistes, des économistes. On veut être le lien entre le business, la pratique et les idées, pour retransmettre tout ça et le diffuser au plus grand nombre. »

    Un système tellement tordu

    Avec 1,3 million de chiffres d’affaires cette année, Loom se porte bien. Le paradoxe est là : plus l’industrie textile va mal et plus une marque comme Loom peut fonctionner. « Notre discours est tellement dissonant par rapport au reste du secteur que nous attirons facilement un certain type d’acheteurs, dit Julia. Si on était des cyniques et qu’on voulait simplement s’enrichir, on aurait tout intérêt à ce que le monde ne change pas. On serait les gentils dans un monde de pourris. Le problème, c’est que ce système nous retourne les tripes ! »

    Loom ne dit pas « copiez-nous ». C’est impossible de les copier. Non parce qu’ils sont géniaux, mais parce que le système est trop pervers : « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de place pour beaucoup de marques vraiment éthiques, dit Julia. On ressort tellement du lot qu’on se fait remarquer. C’est le bénéfice du premier. Mais si dix autres, cent autres, mille autres font la même chose que nous, comment se différencier ? Le système est tellement tordu qu’il fait émerger quelques marques éthiques qui ont tout intérêt à être uniques parce que cela porte leur business. »

    Entreprise de mode Loom
    Entreprise de mode Loom

    On ne change pas le système en montant une boîte éthique, cela n’a aucun impact. « Au contraire, dit Julia, ça fait des îlots, des alibis, des cautions au capitalisme sauvage. En laissant des entreprises éthiques émerger, que dit-on dit ? Regardez, c’est possible ! On en est au stade où on est devenus la caution du système. Au ministère, ils adorent nous recevoir, ils sont fans de nous. Pourquoi ? Parce que Loom fonctionne très bien. Du coup, ça les rassure. Développement durable, croissance zéro : regardez Loom, y’a rien à changer, ça marche ! »

    Loom est devenu militant par la force des choses et que veut Loom ? Changer l’industrie qui l’a vu naître. Or, pour changer vraiment le système, il faut changer les lois. « On a monté une boîte éthique pour devenir un acteur influent et pour pouvoir faire du lobbying afin de changer les règles et les mentalités. C’est notre stratégie. C’est un boulot d’être lobbyiste. On n’a pas les codes, mais on apprend. Comme on a appris dans le textile. Et comme on a appris à faire des trucs stylés. »

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