Le 20 juillet, la loi Climat et résilience a été adoptée par l’Assemblée Nationale. Censée être issue de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), qui réunissait 150 citoyens – tirés au sort et représentatifs de la population française – autour de l’enjeu du réchauffement climatique, elle a été largement modifiée, au grand dam des participants. Reste un goût amer et une nouvelle volonté de s’engager pour les citoyens convoqués. Rencontre avec Benoît Baubry, 52 ans.
Comment s’est déroulée votre arrivée dans la CCC ?
J’ai été contacté début octobre 2019 par SMS, on me demandait si je portais une importance au réchauffement climatique, j’ai répondu un « oui »… qui voulait plutôt dire « peut-être » car je ne savais pas trop de quoi on parlait ! En arrivant au Conseil économique, social et environnemental (CESE), que je ne connaissais pas du tout, on a eu la lettre de mission du Premier ministre Edouard Philippe, qui nous demandait comment réduire de 40% les GES d’ici 2030 dans une justice sociale. On a été divisés en cinq groupes thématiques : consommer, se loger, produire et travailler, se déplacer, et se nourrir. Moi je faisais partie du groupe consommer. Au bout du cinquième week-end de travail, chaque groupe thématique présentait ses mesures, qui étaient validées par l’ensemble des autres groupes, ou étaient amendées. C’est pour ça que lorsque l’on a voté les mesures, la majorité étaient validées à plus de 80% : il y avait consensus.
Quelles différences y a-t-il entre la proposition de la CCC et la loi Climat finalement adoptée ?
Sur les 149 mesures, trois ont été retoquées directement par le Président quand on les a présentées à l’Élysée. Jusqu’en juillet on avait des échanges avec le Parlement, ils voulaient connaître nos réflexions pour savoir comment on arrivait à telles propositions… Mais pratiquement tout a été retoqué ou modifié, sept mesures seulement sont reprises à même le texte de la loi Climat [ndlr. après l’entretien, Benoît Baubry a vérifié ce chiffre : il y en a treize, pas sept]. On voulait supprimer les vols intérieurs lorsqu’il y avait une alternative en moins de 4h, eux sont passés à 2h30, mais ça concerne moins de six lignes en France ! On voulait un malus pour les voitures de 1 300 kilos ou plus parce qu’on touchait un vaste panel de véhicules, ils sont passés à 1 800 kilos, enlevant les SUV, qui ont une grosse consommation à effet de serre.
Comment avez-vous réagi après ces modifications ?
Jamais rien n’avait été fait, donc c’est déjà un pas, aussi petit soit-il. Mais c’est totalement insuffisant, et le processus est malsain. Le premier week-end, des intervenants nous ont présenté le réchauffement climatique : tout le monde prend une claque énorme, et après le temps passe… et rien. On me demande une réflexion, et à la fin on ne prend pas en compte notre réflexion collective ? On a servi de panneau publicitaire, de vitrine. On travaillait tous les week-ends dans cet hémicycle et personne n’assistait jamais à nos débats. Mais quand le Président est venu, l’hémicycle était plein, des politiques, des journalistes… Là on s’est dit qu’on était pris pour des cons, qu’on ne venait pas pour voir nos travaux pour la loi Climat mais pour lui. J’ai toujours eu du mal avec le politique, mais je l’ai ressenti encore plus dans les échanges qu’on a eu avec les parlementaires. Leur comportement, leur regard… cela m’a fait bizarre, j’ai ressenti une réticence du politique envers le citoyen. On parle beaucoup de celle du citoyen envers le politique avec l’abstention etc., mais l’inverse est vrai aussi.
«Je suis déçu d’avoir dit oui à la Convention »
Comment avez-vous géré cette «claque » en prenant conscience du réchauffement climatique ?
Je suis rentré à la maison, j’ai regardé ma femme, mes enfants, ma petite-fille, et je me suis demandé : « Merde, quel avenir ont-ils ? » Quand le sachant transmet son savoir, on peut enfin réfléchir. Quand vous savez, vous êtes obligé d’agir, surtout sur un sujet comme cela. Mais j’ai dit au Président : « Je suis déçu d’avoir dit oui à la Convention, parce qu’aujourd’hui je sais ce qu’il va se passer et je n’ai pas le pouvoir de faire quoi que ce soit, c’est vous qui avez le pouvoir ». Il m’a répondu : « Non, il faut être confiant. » Je ne suis pas confiant : moi ce que je voudrais c’est mettre au pouvoir une personne qui a le courage d’aller jusqu’au bout, d’éviter ces lobbyings, cette pression de l’économie. Quand on a conscience que l’urgence climatique entraîne une famine à Madagascar, des inondations partout, quand on voit cette urgence humaine, tous ces conflits sociaux qui se profilent, si l’on n’en a pas un qui est capable de dire « stop » à tout ça, non, on n’y arrivera pas.
Quels engagements avez-vous aujourd’hui ?
On a créé une association qui s’appelle Les 150. On reste pour beaucoup engagés, soit avec des partis politiques soit avec des associations. J’essaie d’échanger régulièrement avec des jeunes parce que c’est ce qui me tient à cœur, que ce soit dans des facultés pour parler de démocratie participative, comme dans des collèges pour parler d’environnement, de traitement des déchets… Je suis engagé sur nos 149 mesures, que je défendrai ad vitam eternam, parce que c’est notre bébé mais ce que je veux surtout, c’est que les gens prennent conscience du pouvoir citoyen qu’ils ont par le vote : on n’a pas le droit de se plaindre de nos élus si l’on ne prend pas la peine de déposer un bulletin de vote pour quelqu’un qui nous tient à cœur. Je suis l’un des parrains de la Primaire Populaire 2022, pour que la personne qui soit en haut soit présentée par le bas de la pyramide. J’habite dans les quartiers Nord de Marseille, ce sont des quartiers sensibles, avec une situation sociale très difficile. Il faut que ces gens-là prennent conscience que leurs paroles ont de la valeur, par les urnes ou par des manifestations.
Avez-vous l’impression que l’environnement est en train de prendre de la place dans ces quartiers ?
Dans ces quartiers sensibles, il est difficile de faire passer la valeur environnementale avant la valeur sociale. Quand on a parlé du financement de nos mesures, on a parlé de la légalisation du cannabis. Avant le vote de la loi Climat, tout le monde était pour, parce que ça rapportait 2 – 3 milliards à l’État. Je me suis levé pour dire : « Vous voulez légaliser le cannabis, mais tous ces gens qu’on a abandonnés et laissés vivre depuis toutes ces années dans cette économie parallèle on a quoi comme alternatives pour eux ? » C’est comme ce qu’ils ont voulu faire avec la taxe carbone : c’était une très bonne mesure pour réduire les GES, mais socialement c’était en dessous de tout, il faut résoudre le problème social de front.
Quelle vision avez-vous de la démocratie participative ?
Je suis pour la participation citoyenne, qui se fait beaucoup au niveau local, mais peu au niveau national : on doit y arriver. Il faut arrêter de nous laisser dans la rue, dans les rond-points, dans les barres d’immeubles, pour que l’on subisse des politiques prises de dessus. Dès le départ, les citoyens doivent être consultés, pour trouver des solutions collectivement. Si vous arrivez et que vous nous dites que sur cette proposition là ce n’est pas possible économiquement, on peut le comprendre ! Il y a autant de réflexion dans l’esprit de l’un de ces 150 citoyens que dans l’esprit d’un énarque, qu’ils nous laissent la possibilité d’apprendre. Pour ceux qui nous dirigent, la démocratie participative c’est nous inviter à leur table. Mais la démocratie participative, c’est quand je pourrais peser dans le choix du plat qu’il y aura sur cette table.
Pour connaître l’intégralité des mesures retoquées ou conservées dans la loi climat, vous pouvez suivre ce lien.
Si ils vous ont demandé l’avis du citoyen sur comment faire, c’est probablement pour savoir comment « fabriquer le citoyen zéro émissions » qui leur servira de base pour les prochaines « contraintes » de liberté au nom cette fois de « l’urgence climatique « . Pour leur galop d’essai c’est une raison sanitaire, la prochaine c’est notre impact sur le climat de la planète donc son avenir …