« Le regard sur les végétariens a beaucoup changé »

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    Alors que les végétariens ne représentent toujours que 2,5% de la population française en 2018, un tiers des Français ont réduit leur consommation de viande. Cette tendance de fond pousse les marques à proposer de plus en plus de produits simili-carnés mais qui peinent à convaincre malgré une offre pléthorique. Entretien avec Magali Trelohan, chercheuse spécialisée dans le végétarisme et sa perception. 

     

    Comment le végétarisme a-t-il évolué dans la société française depuis quelques années ? 

    Le végétarisme en lui-même n’a pas tellement augmenté (un peu plus de 1,7 millions de Français sont végétariens, ndlr.), en revanche le regard que l’on porte sur les végétariens a beaucoup changé. Des institutions comme Santé Publique France ont organisé des campagnes pour alerter sur les dangers de la surconsommation de produits carnés. En parallèle, il y a eu une augmentation de l’offre en produits simili-carnés, comme les steaks végétaux, les saucisses végétales… auparavant, on ne la trouvait que dans les magasins bio. La grande distribution les a démocratisés, et des marques de produits carnés ont initié une production. Il y a de plus en plus de gens qui mangent moins de viande mais qui ne sont pas stricto sensu végétariens car ils continuent d’en consommer dans certaines occasions.

     

    Comment expliquer que le végétarisme semble se limiter à certaines populations ?

    La viande a longtemps été un marqueur social de richesse : pouvoir se payer de la viande, c’était ne pas être pauvre. Dans les milieux défavorisés, ne pas manger de viande peut être associé à la pauvreté, alors que dans les milieux plus aisés, il n’y a pas besoin de ce marqueur social pour montrer que l’on s’en sort. On retrouve donc plus de végétariens chez les plus aisés. Le caractère viril de la viande influence aussi le profil du végétarien. Il y a plus de femmes végétariennes que d’hommes parce que la viande est assimilée à la masculinité. Cela remonte à de vieux stéréotypes, qui n’ont pas nécessairement de sens biologiques, historiques, scientifiques. Ils véhiculent l’idée que l’homme ayant une masse musculaire plus développée que les femmes, ils auraient besoin de plus de viande. L’image préhistorique de l’homme qui chasse et de la femme qui reste à la caverne renforce l’idée que la viande serait l’apanage du genre masculin. Le végétarisme est ainsi assimilé à la féminité, et beaucoup d’hommes le rejettent par peur des moqueries, d’exclusion sociale.

     

     

    Comment expliquer la perception négative des produits simili-carnés, que vous avez étudiée ? 

    C’est souvent la faute au tofu ! Le tofu mal cuisiné n’est pas exceptionnel gustativement parlant, il suffit que les individus aient goûté une fois du tofu pour les convaincre que tous les produits simili-carnés sont mauvais. C’est un « effet de halo négatif » : un seul produit végétarien n’a pas de goût, donc tous les produits végétariens n’ont pas de goût. Cela montre la force de la perception gustative : la plupart des personnes qui sont freinées par le goût sont pourtant convaincues de l’impact positif du végétarisme sur la santé et l’environnement.

     

    Quelle part de responsabilité ont les distributeurs et les consommateurs dans les changements de comportements pro-environnementaux ? 

    Ce sont des vases communicants. Il faut être réaliste, les distributeurs et les producteurs ont un objectif financier. Il y a une nouvelle niche qui émerge, ils se positionnent dessus. Pour moi, ils n’ont pas d’ambition de changement sociétal, c’est très pragmatique : de plus en plus de gens souhaitent des alternatives à la viande, la consommation de viande diminue, donc ils s’adaptent. Cela renforce leur image mais pour moi leur motivation principale reste de faire du profit. Les pouvoirs publics ont aussi un rôle à jouer, celui de pousser à réduire la viande avec des recommandations alimentaires, des campagnes de promotion.

     

    Qu’est-ce qui pourrait inciter les personnes à réduire leur consommation de viande ? 

    J’ai travaillé sur des techniques liées au conformisme social. En règle générale, un comportement dit déviant sera beaucoup plus suivi si l’on voit les autres faire la même chose. Il vaut mieux mettre en avant des comportements effectués par la majorité. Si l’on dit que 2,5% des français sont végétariens, le reste ne suivra pas. En revanche, si l’on promeut le fait que 90% des Français ont diminué leur consommation de viande au cours des dix dernières années, on pourrait faciliter le changement comportemental. On n’aime pas trop se sentir à part, c’est plus confortable de faire ce que tout le monde fait. Autre idée : de temps en temps, des magasins mettent les saucisses végétales dans le rayon des saucisses carnées, et je pense que c’est ce qui va permettre aux individus d’essayer, de se rendent compte que le goût n’est pas si terrible que ce qu’ils en pensaient… déjà, rien qu’en se trompant de produit !

     

    Vous êtes végétarienne, en tant que chercheuse, comment prenez-vous du recul vis-à-vis de ce qui fait votre quotidien ? 

    En recherche, on s’intéresse quasiment exclusivement à des sujets qui nous intéressent, qui nous passionnent. Il n’y pas de chercheurs qui soient totalement extérieurs à leur sujet de recherche. Si on aborde un sujet, c’est qu’on a un intérêt pour le sujet. Après, quand on fait de la recherche, on apprend à avoir une démarche scientifique et à l’appliquer même si l’on a ses propres convictions. Quand on est chercheur, on a surtout envie de comprendre. J’ai fait des constats qui allaient parfois à l’encontre de mes convictions, j’ai ainsi été étonnée de voir que les produits simili-carnés étaient mal perçus par la population, mais cela donne encore plus envie de comprendre, d’où ça vient, comment on l’explique.


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