Réguler la publicité, un enjeu sanitaire et écologique

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    Logos, panneaux publicitaires, affiches, audiovisuel… tout nous pousse à consommer, avec son lot d’impacts pour la santé et pour la planète. En plus de ne servir que rarement l’intérêt général, la grande majorité de la publicité n’est produite que par une petite partie des entreprises. Des associations comme des scientifiques luttent pour un usage plus raisonné de l’information dans l’espace public.

     

    Entre  50 et 5 000, c’est le nombre de stimuli publicitaires auxquels est exposé un citadin quotidiennement. Entre 50 et 100, si l’on ne prend en compte que les spots publicitaires classiques dans les médias audiovisuels et papiers. 5 000, si on y ajoute les panneaux publicitaires, les devantures, les affiches sauvages, les vidéos et autres promotions sur Internet, les logos. Didier Courbet est spécialisé dans l’impact de la publicité sur l’être humain1. Pour lui, ce phénomène de multiplication a un moteur : « Les publicités augmentent car les supports augmentent, notamment grâce au numérique. De plus en plus de marques s’épanouissent autour de nous.»

    Du point de vue de la théorie économique néoclassique, la publicité n’est là que pour permettre de faire un choix éclairé et d’informer sur les produits que l’on vend. Mais la grande majorité des entreprises ne communique pas de manière objective et créent des besoins artificiels pour obtenir de nouvelles parts de marché : la montre connectée ne manquait à personne, avant qu’on ne l’invente pour une utilité très relative. Or, la majorité des êtres humains ne résistent pas à l’appel de la carte bleue lorsqu’on les assènent de stimulis visuels à longueur de journée.

    Un problème éthique et sanitaire

    « C’est un problème éthique : les annonceurs utilisent de plus en plus la neuroscience pour pousser à l’achat », s’inquiète Didier Courbet. L’inconscient cognitif est stimulé par des messages qui vont marquer le subconscient des individus. Pour le prouver, le scientifique a réalisé une étude2 sur 250 personnes : elles devaient lire un article, sans regarder les publicités de marques qui s’affichaient dans leur champ périphérique. Pour le scientifique, le résultat est incontestable : « On a suivi les yeux des participants avec une caméra pour s’assurer qu’ils ne regardaient pas les publicités. Une semaine après, en leur montrant les marques concernées, ils avaient plus envie de les acheter que d’autres qui n’étaient pas apparues et ce sans pouvoir donner de raison.»

    Un des moyens de résister à la publicité dans les grandes surfaces est de se donner une limite : ne pas acheter en dessous d'un nutriscore "C" par exemple. ©Kaizen
    Un des moyens de résister à la publicité dans les grandes surfaces est de se donner une limite : ne pas acheter en dessous d’un nutri-score « C » par exemple. ©Kaizen

    L’enjeu est d’autant plus important que les publicités ont un impact sur la santé. Depuis des années, les études scientifiques montrent qu’il existe un lien de causalité entre la publicité et le surpoids. D’après Didier Courbet, « les enfants sont les plus touchés, car ils sont encore moins capables de résister aux influences de la publicité et de faire preuve d’un esprit critique». Une proposition de loi à laquelle a participé le scientifique était d’interdire à la télévision, sur une partie de la journée, les publicités pour les produits dont les nutri-scores étaient de D ou E. Cette proposition validée par l’Assemblée a été rejetée par le Sénat.

    Sur certains sites, les publicités sont partout : ici, plus de cinq annonces commerciales.
    Sur certains sites, les publicités sont partout : ici, plus de cinq annonces commerciales.

    Une plus forte exposition aux écrans entraîne aussi une baisse du sentiment de bonheur d’après une étude menée par Jean Marie Twenge3. Des résultats qui semblent en grande partie liés à la publicité selon D. Courbet : « On voit une causalité entre la publicité numérique et la diminution du bonheur, car elle est l’un des principaux agents vecteur de frustration. » Plus on est exposé à des publicités, plus on devient matérialiste et moins on est heureux, d’après une étude4 de l’Université d’Amsterdam. La frustration induite par le fait de ne pouvoir accéder à tout ce qui nous est proposé pèse sur notre bien-être.

    L’impact de la publicité sur la planète

    Or, les publicités touchent aussi l’environnement. Des associations, comme Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP), Communication Sans Frontières, les Déboulonneurs ou encore Alternatiba tentent d’alerter l’opinion publique en réalisant des actions non-violentes sur les emplacements des publicités. Maëlle Reneaume est militante chez Alternatiba Rennes depuis un peu plus de deux ans : « Dans les villes et les campagnes, la publicité promeut un idéal de vie basé sur la surconsommation, qu’Alternatiba ne reconnaît pas, et ce au détriment de la planète, mais aussi des commerces locaux en favorisant surtout les grandes entreprises, les grands distributeurs. » En 2016, la publicité en ligne a été source de l’émission de 60 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent de 60 millions d’allers retours Paris-New York en avion5.

    Alternatiba en action dans le centre de ville de Rennes pour sensibiliser à l'omniprésence des publicités. ©Alternatiba
    Des militants d’Alternatiba en action en juin 2021 dans le centre de ville de Rennes pour sensibiliser à l’omniprésence des publicités. ©Alternatiba

    Maëlle poursuit : « La publicité génère un grand nombre de pollutions : pour le papier, la production de papier, de colle, l’acheminement… Pour le numérique, une augmentation inutile de  la consommation d’électricité, d’utilisation de ressources rares… » La pollution lumineuse perturbe également les animaux sauvages et encourage des pratiques polluantes. En France, les dépenses publicitaires en ligne des agences de voyage ont presque été multipliées par trois entre 2012 et 2018, passant de 2,6 à 7,31 milliards de dollars, encourageant un mode de voyage polluant : l’avion6. En plus d’être mauvaises pour la planète, les publicités représentent une manne énorme pour les entreprises, qu’elles pourraient utiliser pour leur transition écologique : 31 milliards d’euros sont dilapidés dans le marketing et la publicité chaque année7.

    Réguler, sélectionner, critiquer

    Pour Didier Courbet, une chose est claire : « L’environnement est en train de faire les mêmes erreurs que la santé : on a perdu beaucoup trop de temps à interdire les publicités de cigarette en pensant que les industriels allaient s’autoréguler. L’État doit réguler. » Surtout que les entreprises les plus touchées par la régulation de la publicité ne seront pas les plus faibles mais les plus puissantes :  en 2014, sur 3 millions d’entreprises françaises, 0.02% représentaient 80 % des dépenses publicitaires, avec en tête Renault et Lidl.8

    Alternatiba Rennes, par la voix de Maëlle, est d’accord avec ce principe de régulation : « On ne demande pas une interdiction totale : ce n’est pas autorisé par la loi. On veut une diminution de la publicité, un plus fort encadrement, et une harmonisation dans les territoires. On aimerait aussi remplacer les publicités par de l’information utile au citoyen. » La maire de Rennes, Nathalie Appéré veut, entre autres mesures, diviser par deux le nombre de panneaux de quatre mètres sur trois. Une mesure saluée par Maëlle, même si cette dernière espère que la nouvelle alliance avec EELV encouragera la mairesse à prendre des mesures plus ambitieuses : « Concrètement, on veut que les panneaux publicitaires aient une taille maximum de 50 sur 70 centimètres, proscrire tout ce qui est lumineux, mais avant cela, il faudrait déjà appliquer la loi : il y a interdiction d’allumer les enseignes lumineuses entre 1h et 7h, mais ce n’est pas respecté.» À Grenoble, l’interdiction de la publicité est déjà une réalité : le maire Eric Piolle l’a interdite dès 2017 dans la ville, avec un manque à gagner de plus de 500 000 euros par an pour la ville.

    Un exemple de publicité pour du pain dans le magazine Kaizen. ©Kaizen
    Un exemple de publicité pour du pain dans le magazine Kaizen. ©Kaizen

    De leur côté, les médias ont une responsabilité et pourraient mettre en place une charte éthique avant d’accepter la proposition d’annonceurs : c’est ce que fait Kaizen dans son magazine. Mais c’est aussi un enjeu économique pour les médias, une réduction serait synonyme de pertes colossales, et l’État devrait alors financer davantage les lecteurs et les médias pour compenser ces pertes. Enfin, en dehors des pouvoirs publics, les consommateurs ont leur rôle à jouer selon le professeur Courbet : « Il faut mettre un peu de conscience dans l’inconscient : aller dans un supermarché en ayant des règles du type “je n’achèterai pas de produit en-dessous du nutri-score B” , permet de mieux résister aux signaux publicitaires. »


    Sources :

    1. Didier Courbet et Marie-Pierre Fourquet Courbet, Connectés et heureux ! Du stress digital au bien-être numérique, Dunod, 2020.
    2. Didier Courbet, Marc Vanhuele et Frederic Lavigne, Persuasive Effects of the E-advertising perceived without awareness in peripheral vision. Implications for Research on the Reception of Media in Questions de communication p. 197-219
    3. Twenge, J. M., Martin, G. N., & Campbell, W. K. (2018). Decreases in psychological well-being among American adolescents after 2012 and links to screen time during the rise of smartphone technology. Emotion, 18(6), 765–780.
    4.  Suzanna J. Opree, Moniek Buijzen and Patti M. Valkenburg, Lower Life Satisfaction Related to Materialism in Children Frequently Exposed to Advertising. Pediatrics, September 2012.
    5. Renaud Fossard (dir.), SPIM, Observatoire des multinationales, al., Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique, 2018, consulté le 16 juin 2021.
    6. Ibid.
    7. Ibid.
    8. Ibid.
    9. Ibid.

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