Une étude sur les leviers de l’économie circulaire a été publiée en ce mois d’avril 2021. L’occasion d’interroger Emmanuelle Ledoux, directrice de l’INEC (Institut National de l’Economie Circulaire) sur ce que pointe cette étude et les enjeux de ce nouveau modèle.
Les industries au cœur de la transition écologique et solidaire ? C’est ce que permettrait l’économie circulaire. Aujourd’hui, le modèle économique dominant s’inscrit dans une dynamique linéaire : extraire, fabriquer, consommer et jeter. A l’inverse, l’économie circulaire ambitionne de produire de manière durable en limitant les déchets et les ressources. Après la promulgation, en février 2020 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, l’Institut National de l’Economie Circulaire réalise une étude pour comprendre, repenser, et accélérer la transition vers le modèle circulaire. L’INEC est une association regroupant entreprises et collectivités et a pour ambition d’encourager ce modèle économique. Entretien avec la directrice générale, Emmanuelle Ledoux.
L’Institut National de l’Economie Circulaire et le cabinet de conseil OPEO viennent de publier une étude sur l’économie circulaire. Pourquoi maintenant et dans quel cadre ?
Pendant un an, nous avons interrogé soixante entreprises de tout secteur, mais aussi des investisseurs et différents acteurs environnementaux. Nous avons commencé à travailler à ce sujet en février 2020. Avec la crise sanitaire, il y a eu une accélération sur ces réflexions à propos du « monde d’après ». A l’INEC, on avait la crainte que cela ne soit qu’un feu de paille. On s’est dit : « Ok tout le monde a conscience de l’urgence écologique, maintenant comment fait-on ? ». Aujourd’hui, il n’y a plus besoin d’être mobilisé par la protection de l’environnement pour se rendre compte qu’il y a un vrai problème de ressources avec des modèles économiques qui ne tournent plus. On se rend compte aussi que les innovations technologiques et numériques ne sont pas suffisantes, et qu’elles ne sont pas responsables non plus.
Cette étude montre aussi la volonté de changement de la part des citoyen.nes. L’exemple du projet loi climat à la suite du travail de la convention citoyenne, et les actions ne peuvent pas marcher si l’industrie et les organisations territoriales ne suivent pas le mouvement. Il y a toute une organisation à mettre en place en mobilisant tout le monde.
Concrètement, que peut-on retenir de l’étude que vous avez menée ?
Elle montre plusieurs choses. Celle sur laquelle nous insistons le plus, c’est que le cœur d’usine n’est pas forcément le centre de l’enjeu ! Notre étude constate qu’il ne représente que 5% de l’empreinte environnementale de l’entreprise. Le plus important concerne donc l’amont et l’aval : la priorité devient dont l’approvisionnement et la ressource. Le deuxième point important concerne la nécessité d’anticipation sur les prochaines années. Elle est significative car les changements à mettre en place sont des processus longs demandant engagement et transformation des métiers. L’étude met aussi en évidence le besoin de sécuriser les approvisionnements, ce qui permet le fléchage des investisseurs. Et c’est ici le plus gros avantage pour les entreprises elles-mêmes !
Si on s’intéresse davantage à la dernière partie de l’étude qui se concentre sur l’accélération de la mise en place de ce modèle d’économie circulaire, quels sont les freins existant et les leviers possibles ?
Pour chaque frein il y a son levier ! La mise en place de ce modèle nécessite des investissements importants, donc le frein principal est bien sûr économique. Dans l’étude, nous avons interrogé des investisseurs car on pense que c’est important qu’on mobilise tous les fonds pour transformer l’industrie. Pour lever ce frein, il faudrait que cette dimension environnementale soit prise en compte systématiquement dans chaque investissement public.
Au niveau réglementaire, l’économie circulaire est aussi freinée. On se rend compte qu’il faut vraiment donner des horizons. Dans certains cas, il existe des désavantages fiscaux à aller vers cette économie pour une partie des acteurs. Beaucoup de petits détails peuvent être désincitatifs, et cela freine grandement le changement.
Et enfin surtout : la transformation des comportements de consommation qui peut évoluer grâce à cette forte volonté citoyenne. C’est à la fois un frein et un levier, qui ne dépend pas uniquement de l’industrie.
« La transformation des comportements de consommation » est peut-être le frein le plus difficile à lever ?
Oui et c’est normal. Il s’agit de toute une organisation à mettre en place. En l’occurrence, on explique actuellement à des gens qui font bien leur métier qu’il va falloir faire complètement autrement ! C’est une question d’engagement. Au niveau des consommateurs, nous nous sommes trop habitués à une offre bon marché depuis une vingtaine d’années. Mais ce n’est pas immuable !
Le frein politique est aussi difficile. Au moment des discussions sur la «loi anti-gaspillage pour une économie circulaire », il y a avait une peur bleue de « l’écologie punitive »… mais nous n’avons pas les ressources pour tenir comme ça.
Selon-vous, ce modèle économique plus responsable gagne-t-il du terrain ?
C’est un modèle qui s’installe dans les esprits en tout cas. Et c’est un bon démarrage. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet connu mais qui reste encore fortement exploratoire ! Cela va s’accélérer avec les mesures réglementaires qui sont en discussion depuis la « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire ». On peut déjà remarquer que certains secteurs sont plus avancés que d’autres, comme dans la gestion des déchets du bâtiment : ce sont des volumes conséquents qui sont bien valorisés. En revanche, pour tout ce qui est électronique, nous sommes très loin du compte.
Enfin, quel est le principal pivot à mettre à place pour concrétiser et lancer cette économie circulaire ?
Les réponses sont différentes pour chacune des entreprises, mais les questions sont les mêmes. Il faut qu’elles comprennent leur modèle sur l’ensemble de la chaine et pas seulement sur le cœur d’usine. Il y a une nécessité d’alignements des positions dans une entreprise. C’est pour cela que les changements de comportements… concernent surtout les dirigeants !
L’intégralité de l’étude est disponible sur le site de l’INEC.
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