Né en 1965 à Colmar, Laurent Tixador est, selon sa description, un « artiste de la transition ». Lauréat du Prix COAL Art et Environnement 2013, il aime se mettre dans des situations extrêmes et décalées et développe une œuvre qui questionne notre rapport à l’espace, à la matière et au temps. La Maison Forte où il habite est pour lui « un véritable aquarium ». Plongée en eau claire…
La Maison Forte a croisé son chemin sans crier gare. Il ne connaissait pas le lieu, les fondateurs ne connaissaient pas son travail. Invité par une membre de l’équipe qui avait entendu parler de lui, il a débarqué à son habitude, sans proposer de projet. « Je ne savais pas ce que ce lieu me voulait, je suis allé dans l’inconnu, c’était parfait ! ».
Notre échange commence entre Denain et Tourcoing, le nom qu’il a donné aux deux fours à briques qu’il a fait sortir de terre près de la source en contrebas de la forteresse de Monbalen. « En début d’année 2020 je suis venu une première fois pendant quinze jours. L’argile présente en quantité m’a donné l’envie de travailler la terre. J’ai cuit une petite boule qui est ressortie orange, d’où l’idée de faire des briques, puis d’ériger un bâtiment avec des matériaux trouvés dans les 50 mètres à la ronde. »
Après la construction d’un premier four d’essai (Denain), il bâtit un four de production (Tourcoing). Réalisés sous forme d’igloo en terre crue, ces fours se solidifient à la première cuisson et permettent de produire d’autres briques qui vont venir renforcer la voûte. Pourquoi ces petits noms ? Un clin d’oeil à ces villes détruites au début du XXème siècle tout autant qu’un rappel de ses origines ouvrières. Avec un message surtout : « Un four à brique, c’est une activité industrielle. En tant qu’artiste, je me considère comme un ouvrier qui développe des moyens de production pour ses œuvres. »
« Dans une vie précédente je créais des décors de cinéma : j’avais beaucoup d’argent mais pas de temps. Maintenant c’est l’inverse, je suis entré dans un cycle court du plaisir et de la récompense, sans travailler pour économiser et acheter ce temps en vacances plus tard… »
Son intention se précise : « C’est pas tant l’autoproduction de briques qui m’intéresse que l’autoproduction de savoirs. Je ne me suis pas renseigné sur la meilleure façon de fabriquer des briques, c’est par l’expérimentation qu’on fait des découvertes ! Ainsi, j’ai eu des soucis avec quelques briques qui ont explosé à la cuisson. Elles contenaient des cailloux calcaires : à la cuisson ils se transforment en chaux. J’en ai déduis que je pouvais fabriquer mon ciment. » Il va compléter son installation empirique d’un abri pour mettre au sec les outils et le bois de cuisson.
S’alléger
Créer l’essentiel, aller vers l’épure. Comme un art de vivre. Avec divers complices, ses pérégrinations se transforment en performances. Ainsi, ses expéditions l’ont conduit de Nantes à Metz pour une randonnée en ligne droite, aux Îles du Frioul pour une opération de survie, sous terre pour le projet “Horizon moins 20”, en ski pendant huit jours pour atteindre le Pôle Nord géographique, aux Îles Kerguelen, en Sibérie, au Groenland qu’il a parcouru deux fois…
« Marcher en se donnant des contraintes ouvre des opportunités. On crée des situations dans lesquelles on se perd, on explore autrement. Sans passer par les chemins balisés. On ne voit pas le même paysage, on brouille les pistes, dans la tête comme dans le comportement » retrace Laurent Tixador, en ajoutant que le plus dur, dans ce processus « c’est de porter… D’où mon travail en architecture, pour alléger mon sac » résume-t-il avec malice, transformant une pesanteur en une adaptation au terrain.
La sobriété, entre source de créations et art de vie
Ses œuvres architecturales, conçues avec les ressources environnantes peuvent rester sur place une fois retravaillées. « Économiquement ça ne me coûte rien, écologiquement je reste “propre”… » estime-t-il, nourrit par l’expérience de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes où il a effectué plusieurs séjours. Il a d’ailleurs décidé, avec l’étudiant qui l’accompagnait alors, de construire une annexe à l’école des beaux arts. « On a récupéré le bois d’un châtaignier mort sur pied pour créer un plancher. Avec les chutes de bois on a fabriqué des chevilles, on a ajouté un four à céramique qui évolue en fonction des besoins de chacun. Et on ne laisse rien qui pourrait constituer un déchet. »
S’il laisse des traces, il ne pollue pas : « Je cherche à faire avec la nature, loin des enjeux économiques. La majorité des objets que je fabrique ont une forte valeur d’usage. Ce sont des technologies simples que je maîtrise, que je peux répliquer, réparer et abandonner sur place sans dégrader les lieux » explique-t-il encore, satisfait de se passer ainsi d’argent et d’y prendre plaisir, simplement.
Et lorsqu’il a besoin d’acheter du matériel, il va d’abord le chiner aux puces, se débrouiller pour le récupérer, le modifier lui-même. Et en prolonger ainsi l’usage. « En définitive, je suis contre la production d’objets, je suis même pour la disparition de l’objet d’art : on peut communiquer autrement et fabriquer autrement de la pensée qu’en passant par les objets » déclare cet adepte du mode de vie frugal, qui aime s’enfermer pour avoir le moins d’impact possible.
« La majorité des objets que je fabrique ont une forte valeur d’usage : ce sont des technologies simples que je maîtrise, que je peux répliquer, réparer et abandonner sur place sans dégrader les lieux »
Dès lors, le confinement n’a guère changé ses habitudes, si ce n’est ses longues marches. Depuis la Maison Forte, il l’a vécu comme une la possibilité de voyager sans bouger, de redécouvrir le temps. Une ressource précieuse à ses yeux : « Dans une vie précédente je créais des décors de cinéma, j’avais beaucoup d’argent mais pas de temps. Maintenant c’est l’inverse, je suis entré dans un cycle court du plaisir et de la récompense, sans passer par le modèle économique, sans travailler pour économiser et acheter ce temps en vacances plus tard… »
Sculpter l’instant, s’appuyer sur la nature.
Aussi ce rapport au temps éclaire-t-il cette manière bien à lui de se laisser guider par le hasard et les découvertes. « Ne rien planifier à l’avance permet de se mettre à la portée de tout ce qui se met face à toi. Sans projet précis, pas de plan, pas besoin de faire venir les matériaux » assure-t-il, marqué profondément par les rencontres faites lors de ses séjours en Arctique ou aux Îles Kerguelen. Il faut l’entendre parler de cette côte de baleine trouvée sur une plage, qu’il a rapatrié sur son dos pendant deux heures, jusqu’à la base de cette île des Terres australes françaises, pour la sculpter. Gentiment, on lui fait remarquer que cette baleine est protégée et que son œuvre fera la promotion d’un animal mort, même s’il n’en est pas à l’origine… De quoi bousculer son approche alors académique de la sculpture.
Il rapportera alors la côte de baleine sur la plage et opte pour du bois de rennes. Ainsi va Laurent Tixador ! Créer à partir des ressources abondantes, renouvelables, est un impératif pour lui. « A la Maison Forte, je décide avec le paysage, avec l’argile, c’est l’inverse du brutalisme, qui met le terrain à plat pour réaliser le projet. Cela permet de faire de très belles choses certes, mais ça ne m’est plus possible d’agir ainsi avec la nature ! » .
Son éthique, exigeante, n’empêche pas la légèreté. Laurent Tixador a conservé son âme d’enfant et une capacité à se jouer de tout. « Mes fours et mes usines sont une cour de récréation. Je suis là pour m’amuser, pas pour travailler ! » lâche-t-il devant une pile de voitures en briques récemment sorties des fours. « En cuisant cette trentaine de formes de voitures, agrémentées d’essieux et de roues, c’est ma proposition de reconversion pour l’automobile… ». Une plaque d’immatriculation domine la pile: NCC-1701, celle de l’USS Enterprise dans Star Trek. Un clin d’oeil, là encore.
Pour aller plus loin
- À la Maison Forte, la culture comme vecteur de transition / Colibris le Mag
- Le Tour de France des écolieux / Colibris le mag